J'aime le sang.


Pendant qu'à La Tour d'Argent, au nom de la tendance (un peu fanée d'ailleurs), on maquille les assiettes avec des fleurettes*, j'ai eu la chance l'autre jour de manger l'ex-plat-fétiche de cette table qui a longtemps fait partie du patrimoine gastronomique français. Pas à Paris, en plus, où (je plaisante bien sûr…), on est davantage occupé à soigner son véganisme ostentatoire et sa verdeur forcée, qu'à rôtir, griller et braiser.
Calmos, amis Parigots! Ne ruez pas dans les brancards, je ne suis pas une tête de veau, je sais bien qu'on continue de manger de la viande dans la capitale de la France, et de la bonne**! Mais comment ne pas se moquer de la sur-représentation, de l'ultra-représentation médiatique des régimes végétarien, végétalien & Cie? Tous ces articles écrits par des foodistas anorexiques et esthétisantes finissent par donner le tournis. Et surtout prêtent à rire, voire à se moquer des victimes de la mode***.
Tiens, tenez, pour me faire pardonner ces persiflages, je vous offre les états d'âme tellement contemporains d'une blogueuse, Morgane Enselme. Elle était justement jusqu'à peu une pasionaria du véganisme et elle nous annonce, avec les intonations qu'il faut, qu'elle recommence à becqueter de la bidoche. Eh oui, se nourrir d'herbe, de lentilles et de graines, à la longue, ça fait péter…



Cette désopilante parenthèse étant refermée, ne comptez pas sur moi pour succomber à la normalité de l'air du temps. Les Français ont voulu élire un président "normal", et on a vu ce que ça a donné… J'aime la viande, j'aime le sang, pourquoi me mettrais-je donc à jouer le tartuffe?
Car c'est bien de sang qu'il est question aujourd'hui, pas celui du boudin ou de la sanquette, celui du célèbre canard à la rouennaise (auquel nous amenait évidemment mon clin d'œil du début à La Tour d'Argent). Ce plat intemporel, somptueux et spectaculaire a ses adeptes chez moi à Barcelone. Je vous avais parlé de celui du "restaurant de James Bond", plus vintage que nature, en voici donc un second, munificent, j'ai presque envie de dire parfait. Au moins aussi exceptionnel que celui que servait Jean-Paul Barbier au Lion d'Or, à Arcins en Médoc.


Nous sommes dans un lieu qui symbolise un peu le Barcelone d'avant. Je l'ai connu, il y a plus de vingt-cinq ans, à une époque où on l'appelait encore le Ritz****. Aujourd'hui, c'est El Palace, tout simplement, le lieu n'a d'ailleurs pas (en apparence) énormément changé, et tant mieux.
Le restaurant gastronomique, à droite en entrant, le Caelis est une entité indépendante du Palace, . C'est un Catalan de Toulouse, Romain Fornell, passé par Ducasse et Sarran, qui, depuis le début des années deux-mille, gère intégralement cet étoilé dont il loue en fait les installations à l'hôtel.


En fait, ce n'est pas sous les lambris que nous avons déjeuné mais en cuisine. Comme beaucoup de restaurant maintenant, le Caelis dispose d'une table d'hôte vaguement VIP en prise directe avec la brigade; j'étais avec des personnalités, donc…
Évidemment, ça change tout à l'ambiance, et au passage, ça permet de prendre le pouls de l'ambiance de la maison. Là, franchement, calme olympien, assez impressionnant.


Je ne vais pas vous détailler le menu auquel nous avons eu droit car c'est le plat de résistance qui nous intéresse. Pour autant, il y avait quelques préliminaires de haut vol, d'autres plus convenus, plus de moda (sans tomber toutefois dans les saloperies de gadgets barcelonais pour Américains ou Russes que servent les empoisonneurs de Tickets ou Disfrutar). Deux choses en tout cas m'ont impressionné, un magnifique mariage de caviar et de céleri-rave, ainsi qu'un remarquable beurre blanc, allégé sans perdre de son sex-appeal. Un bon point aussi pour le foie gras, ce cauchemar espagnol qui faisait mieux que tenir la route, et la tortillita de camarones (que je place toutefois un tout petit peu en dessous de celle d'Ángel León.


Mais voici venir, sur son chariot, l'outil iconique, la presse d'argent. Escortée d'ailleurs d'une jeune femme amoureuse de son métier qui va faire de cette découpe et de ce dressage un spectacle et un merveilleux crescendo, propres à réveiller l'appétit des plus blasés d'entre nous.
Car, c'est aussi ça, le canard au sang, ce beau, ce grand cérémonial qu'on en train de revenir à la mode, pour peu que les restaurateurs trouvent du personnel compétent et motivé.


Comme il se doit, les canards (de gros canetons en fait) arrivent en deux services, les filets dans la sauce liée au sang, voluptueuse, puis les cuisses, croustillantes, intelligentes, terminées au grill, avec une touche asiatique du meilleur aloi.
C'est beau, c'est bon, bravo Romain Fornell! La bête n'est pas morte pour rien, on l'honore, mesdames et messieurs les vegans, on la respecte, on lui rend hommage! Non pas que je veuille (au contraire de vous qui venez nous les briser quotidiennement) faire du prosélytisme, simplement que vous compreniez que la viande, ce ne sont pas que des hamburgers de cadavres industriels ingurgités par des gros porcs formés au ketchup et au Caca-Cola.
Bref, on ne vous demande pas de faire comme nous, on souhaite juste, si ce n'est pas trop demander, que vous nous laissiez jouir de notre viande, de nos œufs, de nos fromages, de nos poissons en toute quiétude, sans nous faire passer pour des "barbares", ou des vampires. Que vous nous laissiez déjeuner en paix, merde!




* Souvenez-vous, la vente des bijoux de famille, c'était ici.
** La viande, la belle viande, la "viande profonde", j'en parlais .
*** Au passage, on a malheureusement envie de rapprocher ce délire pseudo-journalistique sur l'animalisme d'autres déconnections, autrement plus graves entre les médias et le peuple, en matière politique notamment où prendre ses désirs pour des réalités conduit généralement à de grandes catastrophes.
**** Époque qui a duré jusqu'après les Jeux Olympiques, jusqu'à 1996 très exactement où, à la suite d'un imbroglio judiciaire avec les anciens propriétaires, toutes les références à ce nom prestigieux ont du être supprimées de la façade. Seul subsiste un R forgé sur la porte de service (ci-dessous). Il faut savoir que ce Ritz ainsi que celui de Madrid, ont été créés par le Suisse César Ritz comme ceux de Paris et de Londres, en 1919 exactement pour Barcelone. Quelques images d'archives dans ce reportage (malheureusement en catalan) de Barcelona TV où l'on voit notamment Dali y faire entrer son cheval


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