Le restaurant de James Bond.


Le voiturier était là, fidèle au poste, bravant sous son parapluie Old England une pluie venue de l'Est, digne du Berlin de la Guerre froide. La DB5 étant au garage (saloperie d'Anglaises!), il se contenta d'ouvrir la portière du taxi noir et jaune, le regard vers le haut, grand genre. Le vestiaire était toujours là, à droite en entrant, juste avant le bar gainé de cuir Chesterfield. Juste le temps de nous débarrasser de nos macs trempés, de rectifier ma cravate (désolé, pas de nœud-pap'…), et le maître d'hôtel, empressé, nous proposait une coupe de champagne.


Bon, je range mon Walther PPK, nous sommes pas sur le Ku'damm, ni "dans quelque pub anglais du cœur de Londres" ou dans une cantine huppée de la 65th st., mais en Espagne, calle Ganduxer, 10, Barcelona, où Bond, James Bond, n'a, à ma connaissance, jamais fichu les pieds. Pourtant, il aurait pu. Le décor du Via Veneto où nous venons de pénétrer, sixties tendance fifties n'aurait pas dépareillé dans un épisode de 007. Le restaurant, symbole d'un certain chic barcelonais a ouvert ses portes en 1967. Contrairement à ce que son nom peut faire penser, on n'y a jamais servi la moindre spécialité italienne, c'est tout sauf une trattoria. Il se trouve simplement qu'au moment de le baptiser, la via Veneto de Rome était très tendance, c'était en Europe (James a du y passer) une des places-to-be; Fellini y tourna une partie de La dolce vita.


Au Via Veneto, on mange bien sûr assez classique.  Car même si, pour arrondir ses fins de mois, on tente de faire boire à James de la Heineken et de la soupe de chêne pour palais mal dégrossis, le Commandeur Bond demeure un officier de la Marine de Sa Majesté, donc… Huîtres de Galice, soupe à l'oignon, tartare de homard et millefeuille de carn d'olla (pot-au-feu régional) en entrée et, en plat, on n'échappe pas à la spécialité maison, admirablement servie à l'ancienne: le canard au sang. La bête arrive évidemment de France, dans le même train que la recette, on vous la joue façon Tour d'Argent, et, franchement, ça a de la gueule! Belle cuisson, découpe virtuose, presse originelle et jus confectionné au moment, le spectacle est dans la salle, en Technicolor, tendance Albert R. Broccoli. Franchement, à soixante-treize euros pour deux, on en prend plein les yeux.


Je n'ai pas vérifier, mais il y a sûrement du vieux Bollinger en cave, pas de problème non plus pour la vodka Martini, au shaker. En cave aussi, on sait qu'outre sa licence-to-kill, James a un crédit illimité et, par voie de conséquence, un faible pour les grosses étiquettes françaises. Il ne serait pas déçu en descendant à la cave, on y trouve ce qu'il faut de Romanée-Conti, de Pétrus, et éventuellement, pour se la jouer couleur locale (important dans le scénario!) des vieux riojas dont certains ont débarqué dans les entrailles du Via Veneto du vivant de Franco. Revers de la médaille, les prix, pas aussi cher qu'en France, mais relativement élevés pour l'Espagne. Bond n'en a cure, nous nous rabattons sur du beaujolais de Thévenet ou un excellent Château Fonroque 2001, très à l'aise sur le canard.


Classicisme absolu pour les desserts aussi, visiblement la poudre de perlimpinpin qui rend les desserts locaux si magiiiiiiques n'a pas encore débarqué ici, profitons-en! On finit le fromage et arrive un soufflé au Grand-Marnier, en français dans le texte, et un autre moment de grâce, l'épluchage et la découpe en salle des oranges, apportées sur un lit de glace. Le spectacle continue, pour la plue grande joie des Russes de la table d'à côté (sûrement des types du KGB…).
Bref, à Via Veneto, on paye assez cher, mais le restaurant, outre un beau moment de cinéma, offre un agréable voyage dans le temps, à une époque où les hommes portaient le nœud-papillon, les femmes des faux-cils et des robes longues échancrées. Parfois, ça a son charme. N'est-ce-pas, James?


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