Du vin "nature" espagnol ? C'est possible ?


Les vins "nature", c'est exactement comme le reste de la production vinicole, il en existe de sublimes et d'autres parfaitement infects. Dans certains pays, comme la France ou l'Italie, il est difficile de pas admettre que le niveau progresse, ne serait-ce que parce qu'au delà des vignerons "de souche", les néos se rôdent, se professionnalisent*. Ou disparaissent. Et aussi, parfois, parce que passées les foucades des débuts, on remet ici et là quelques grammes d'anhydride sulfureux…


En Espagne, c'est un peu plus compliqué. J'avoue avoir vu passer de drôles de trucs qui dépassaient guère le stade de l'intention. Ou le besoin forcené de coller à une mode.
À la décharge des (rares) vignerons de la Péninsule ibérique, les raisins qu'on y produit ont généralement un pH haut, ce qui ne facilite pas la tâche de ceux qui veulent vinifier avec peu ou sans SO2. Ce problème du manque d'acidité, vous me direz qu'il y a des moyens de le résoudre, partiellement en tout cas. À la vigne bien sûr, par le travail des sols, la régulation de la fertilisation, le contrôle de la vigueur ou (ce qui est plus chirurgical) en changeant de porte-greffes et/ou de bois. À la cave ensuite, parfois "violemment", en acidifiant les moûts, technique qui nous éloigne un tant soit peu du concept de "nature" même si, soyons honnêtes, nous nous sommes tous pâmés un jour devant de vénérables flacons à côté desquels le C4H6O6 n'était pas passé bien loin… J'ajoute qu'il m'est arrivé de goûter, chez un producteur australien renommé, des chardonnays assez magiques qui pourtant avaient été acidifiés trois ou quatre ans auparavant.


Alors, évidemment, le truc branché pour obtenir des raisins plus acides et des vins "frais", c'est d'avancer la date des vendanges. Et à ce niveau-là, on voit depuis quelques années un peu tout et n'importe quoi. Avec, pour justifier certaines verdeurs, les discours de circonstance et d'acerbes moqueries à l'égard des vins "sirupeux" issus de la "sur-maturité". La sur-maturité, je suis d'accord, les vins mous, épais, je m'en passe, mais croquer dans une pomme bien verte, je m'en dispense aussi!
Sur ce thème, je préfère de toute façon laisser la parole à Jules Chauvet, le pape du vin "nature", négociant-éleveur en Beaujolais et diplômé de l'École de Chimie de Lyon, qui écrivait pour son Mémento de vinification en rouge du numéro de septembre 1960 du Bourguignon viticole:
          "Les Anciens disaient :
          « si tu veux faire le bon vin, tu vendangeras le dernier. »
          Aujourd'hui encore, cueillir le raisin mûr demeure la « règle d'Or » de la vinification."


Quittons La Chapelle-de-Guinchay et filons plein sud, pour revenir en Espagne. À une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest d'Alicante, entre les villages de Villena et Cañada. C'est là, sur les hauteurs, que sont installées les Bodegas Bernabé Navarro. Rafa Bernabé Aguilar m'avait fait parvenir quelques échantillons, il y a deux ans, les rouges étaient encore un peu gauches mais j'avais bien aimé un rosé/orange dont le nom, je crois, était Musikanto, avec un accordéoniste sur l'étiquette, un rosé de lladoner pelut (cépage appelé garnacha peluda en Espagne).


Le vin dont il est question aujourd'hui, Los Cipreses de Usaldón, est également élaboré à base de lladoner pelut. Si ma mémoire est bonne, j'avais goûté le 2010, un vin un peu raide alors que le 2012 que j'ai fini hier soir** était à la fois plus tendu et plus rond. Plus tendu, ça s'explique: sans tomber dans la verdeur, on est là sur un lladoner tout juste mûr, rendu plus aimable par une macération semi-carbonique. Cela donne tel quel un jus très agréable à boire, bien frais, à grosses gorgées, avec ce petit côté "vin d'ivrogne" sans lequel un "nature" n'en est pas tout à fait un. Un jus droit sans trop d'arômes parasites (en Espagne, ça monte encore plus vite!), bref, l'archétype de ce que l'on attend de ce genre de bouteilles à moins de dix euros. Bravo!




* J'élimine de ce propos les petits malins qui jonglent entre la bentonite, la flash-pasteurisation et d'autres procédés encore moins avouables, je les élimine car ils se mettent d'eux-même hors-jeu, comme tous les tricheurs. Ils sont en tout cas l'occasion de rappeler qu'ils serait temps de réglementer, de certifier le "nature" comme je l'écrivais ici.
** La bouteille provenait de L'Ànima del Vi, à Barcelone.

Commentaires

  1. Merci pour cette piste, Vincent.

    Je dois bientôt goûter le Monstant "nature" La Comedia 2013 du Celler Comunica (il y a aussi les vins peu protégés d'Olivier Rivière)

    LlEdoner Pelut (Bizeul le travaillait à une époque, si mon souvenir est bon - Borie la Vitarèle aussi).

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    Réponses
    1. Lladoner ou lledoner, indifféremment.
      http://www.vinsduroussillon.com/civr-2100.php?CatID=47&ArtID=16
      Je crois effectivement qu'Hervé en met dans son Vieilles Vignes. Il y en a aussi, je pense, chez Luc Charlier, dans La Coume Majou, ou encore à Combebelle et Borie-La-Vitarèle.

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