Barcelone se met (enfin) au vin!


Jusqu'au dernier moment, on a eu du mal à y croire. Il est vrai qu'à Barcelone, on sait (à peu près) quand débute un chantier, on a en revanche aucune idée de la date de fin. Les mauvaises langues racontent que les Catalans, à commencer par leurs artisans, sont tellement occupés à répéter qu'il travaillent, qu'ils travaillent, qu'ils travaillent (pendant que selon eux les autres Espagnols se la coulent douce) que du coup ils n'ont plus assez de temps pour le faire vraiment…
N'empêche que, "à l'arrache" pour reprendre l'expression du nouveau taulier, Benoît Valée, le premier bistrot à vin de Barcelone, L'Ànima del Vi, a ouvert ses portes samedi soir. 


Comme il se doit, la dernière ligne droite avant l'ouverture a été épique. L'électricien a percé l'arrivée d'eau, le menuisier s'est cassé le genou, si bien que ce sont les copains et des amoureux du vin (j'y ai même vu le responsable d'un restaurant chic) qui sont venus prêter la main jour et nuit, pour la bonne cause, pour qu'enfin ouvre à Barcelone un bistrot "à la française", un bistrot décontracté, normal, sans desiño en plastoc et dont le vin serait l'élément central. Et pas le vin à la sauce catalane, celui des poseurs, des pijos pour lesquels acheter une bouteille chère relève de l'étalage (vulgaire) d'un statut social, au même titre que la grosse bagnole, la fausse blonde et la montre tapageuse. Pas le vin qu'on "étudie" dans les livres anglais, qu'on note grossièrement à la yankee, dont on parle plus qu'on ne le boit, non, celui des rues, plein de gouaille et de soifs rigolardes, celui qui ne pète pas plus haut que son cul, dont le premier verre appelle les suivants.


Le taulier, Benoît Valée, que vous avez connu sur ce blog dissertant de Spinoza et la sodomie alors qu'il tenait sa boutique L'Ànima del Vi, dans le barrio de Gràcia, plus épris de passionarias que de fillettes, de bibines industrielles que de jus paysans, a donc décidé d'émigrer vers des barrios plus ouverts, plus accueillants aussi aux idées liquides.
Coup de pot (le genre de chance qui demande quand même un peu de travail et d'opiniâtreté), il a trouvé ce bar idéalement situé à l'entrée d'El Born, le secteur le plus ouvert de Barcelone. L'adresse: Vigatans, 8, à moins d'une minute du métro Jaume 1°, pas loin du Port Vell, à mi-chemin de la cathédrale et de Santa Maria del Mar, bref, le "vrai" Barcelone pour tous les étrangers qui arrivent en ville. Le local, au rez de chaussée d'un bel immeuble ancien en cours de ravalement était intérieurement dans un état de délabrement assez catastrophique, recouvert en prime d'une couche de crasse digne d'un bidonville du Caire.


La nouvelle Ànima del Vi, comme l'ancienne, est plutôt orientée vin "nature". Mais il y en a pour tous les goûts, de l'érotisme soft au hard-crad, du français beaucoup, ça va de soi, mais aussi de l'espagnol et quelques italiens. Moi, n'étant pas un naturiste forcené, ni syndiqué, j'ai trouvé ce qui me va bien, du bourgogne rouge de Fanny Sabre, du rosé de L'Anglore, du champagne de Francis Boulard et de l'arbois d'Étienne Thiébaud. Les rares précurseurs catalans de cette même tendance, dont le turbulent Laureano Serres, font évidemment partie de la sélection du taulier qui fut, rappelons-le, le premier à leur donner une tribune*.
Contre toute attente, cette inauguration "en travaux", bordéliquement sympathique, a rassemblé une foule considérable, cosmopolite, joyeuse, qui a envahi jusque tard dans la nuit les ruelles environnantes. Un évènement incroyable dans une ville qui fuit le vin, évènement bien sûr soigneusement snobé par les blagueurs et publi-reporters de la Presse régionale assermentée**, pourtant très friands de cocktails et de repas gratuits; il est vrai que là, fort logiquement, passée une longue rafale de bouteilles et de magnums inauguraux offerts par le taulier et les vignerons, on payait ce qu'on commandait).


Après cette nuit d'ivresse, le bistrot ouvrira réellement ses portes en fin de semaine, jeudi vraisemblablement dès que les artisans auront fini leur travail. Toutes les fins d'après-midi (sauf dimanche et lundi) et le samedi midi et soir. Benoît Valée et sa compagne Núria y serviront du vin au verre et à la bouteille accompagnés de charcuterie et de fromages de bons faiseurs, ainsi que des plats chauds le week-end. Les tarifs ne sont pas touristiques: prix caviste plus six ou sept euros.
Bref, tout ça donne envie de boire un coup, et, surtout, autre chose que la pisse d'âne, pardon de burro català brassée dans des usines ou du Coca-Cola***. Après l'inauguration, il y a un an, du Plaça del Vi, 7 à Gérone, les choses bougent enfin en Catalogne, région œnologiquement déshéritée de l'Espagne. Tant mieux!




* Depuis quelques mois, Benoît Valée est rejoint dans sa quête naturiste par des résistants de la dernière heure qui l'an dernier encore ne juraient que par la soupe de chêne glycérinée, un ou deux négociants locaux fraîchement (et bruyamment) convertis au "vin vivant" et dont ils expliquent les tenants et aboutissants à ceux qui ont la politesse de faire encore semblant de les croire. C'est tellement gros que je ne résiste pas au plaisir de leur dédicacer cette belle chanson de Jacques Dutronc.
** Eux aussi récemment repeints en vert, comme les suiveurs de la ligne du dessus.
*** C'est d'ailleurs un drame pour les sommeliers barcelonais dont le palais est formé au Coca-Cola: pour contourner les nouvelles taxes mis en place par le conseil régional catalan, la multinationale a annoncé qu'elle regroupait toutes ses activités espagnoles, jusqu'à présent décentralisées, à Madrid. Le Coca ne sera donc plus une boisson identitaire catalane, un vrai drame culturel dans cette région qui bat des records en matière de consommation de cette horreur. À quand un boycott?

Commentaires

  1. On se réjouit pour Benoît et Nuria, et on se réjouit pour Barcelone. Vive le vin dans son ensemble (de l'érotisme soft au hard-crad) et vive les gens :-)
    Dominique

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