Vous aimez le mouton ?


C'est une viande que l'on ne consomme plus guère. Pourtant, ceux qui ont un minimum de culture gastronomique ont forcément des souvenirs parfumés de ragoûts, de la saveur si particulière du navet qui a fondu dans la graisse de mouton, celle-là même qui signe au moins autant que la cassonade et les épices l'authentique petit pâté de Pézenas. On versera une larme aussi sur le haricot de mouton dont la recette originale, comme son vrai non (harigot*) l'indique, ne comporte aucune légumineuse (leur introduction en Europe lui est postérieure). Pas plus que ma chère pistache du Comminges**, dotée elle de tarbais, ne contient de vertes graines de Pistacia vera.
Tant qu'à nous régionaliser, les lecteurs attentifs de Mistral, plus que son antisémitisme, auront retenu, noyé au cœur du Poème du Rhône, la carbounado, cette daube de mouton avignonnaise bien aillée dont s'empiffrent les mariniers de Condrieu, obsédés par l'Anglore, avant de se battre, à la remontée, contre le puissant courant du fleuve.


Mais ce n'est pas de cuisine ni même de boucherie qu'il est question ici mais du comportement si particulier de cet ovin qui constitue peut-être la viande la plus intéressante, devant le cochon, dont nous disposions en Espagne. J'en reviens comme souvent*** au grand Rabelais, au célèbre épisode des "moutons de Panurge".

« Panurge sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons crians et bellant en pareille intonation commencerent soy jecter et saulter en mer aprés à la file. La foulle estoit à qui premier y saulteroit aprés leur compaignon. »
                                              Extrait du Quart Livre, chapitre VIII.


Comment ne pas s'y référer le buzz que vient de susciter un utilisateur espagnol de Twitter. Pour s'amuser, mais aussi un peu je crois afin de montrer le ridicule aveuglement des hordes de trolls qui, sur Internet, ici comme ailleurs, combattent aux côtés des nationalistes en polluant les réseaux sociaux, il a publié la photo d'une grande célébration populaire, chez lui, à Bilbao. Une photo pas vraiment d'actualité puisqu'elle remonte au 18 août 2015. La veille, le club de foot local, l'Atletico, avait remporté la Supercopa, face à Barcelone, plusieurs dizaines de milliers de supporters s'étaient rassemblés pour fêter ça devant la mairie de Bilbao, foule impressionnante.
Le petit "coup de vice" d'Íñigo, le twitto en question, a consisté à assortir sa photo de toute la série de hastags qu'utilisent les indépendantistes catalans pour diffuser leur propagande et à la relier à l'actualité récente, à savoir la décision du gouvernement espagnol d'appliquer l'article 155 de la Constitution****. Et ça n'a pas manqué, immédiatement, les militants de base ont tweetté et re-tweetté victorieusement la photo du 18 août 2015. À leurs yeux, les Basques étaient devenus leurs alliés, la masse des supporters de l'Atletico venait de s'engager sans le savoir dans la légion sang & or.


Le plus amusant, c'est qu'il n'y a pas que l'armée éructante****** des trolls anonymes (et leurs étonnants amis russes) à avoir rapidement emboîté le pas. Plusieurs hommes politiques ont sauté sur l'occasion, à l'image du député européen national-populiste Ramon Tremosa (PDe-CAT, le parti de Carles Puigdemont). Il est vrai qu'en plus dêtre un mouton de Panurge, cet élu national-populiste est célèbre pour sa fabrication et propagation des fake news sur Twitter.
Toujours est-il que de RT en RT, la blague basque d'Íñigo est devenue virale, et un des sujets de rigolade des réseaux. Comme un pied de nez à l'égocentrisme catalaniste, chacun y est allé de sa version de la foule unanime soutenant l'indépendantisme catalan, des fêtes de Pampelune à la Guerre des Étoiles en passant par les manchots empereur du Pôle Sud, la Kaaba et les défilés de Pyongyang.
Profitons-en: pour une fois que le nationalisme fait rire…



* Du vieux verbe français, harigoter = déchirer, couper en morceaux.
** Une sorte de cassoulet pyrénéen bâti autour de la viande de mouton.
*** Si vous n'avez pas, avec moi, visité sa maison, suivez le guide, c'est ici.
**** Article qui suspend les décentralisation du pouvoir aux autorités catalanes.
***** Retweet, pour les déconnectés qui me lisent.
****** Comme le soulignait encore récemment Reporters sans Frontières, cette "armée" (parfois constituée de mercenaires payés par les impôts), cette armée dégueulasse, s'en prend à tous ceux qui pensent différemment ou qui ose sortir de l'orthodoxie indépendantistes. Un exemple parmi tant d'autres, cette phrase (ci-dessous) lancée à la gueule du correspondant d'Europe1 à Barcelone par une mère de famille sécessionniste: "ton temps ici se termine!"


Histoire de détendre l'atmosphère et de chasser les miasmes, j'en profite pour rendre ici hommage à une poète trop méconnu de la photographie, René Maltête, auteur notamment du cliché qui ouvre cette chronique. Pour en savoir plus, n'hésitez pas à consulter le site que son fils a créé afin de lui rendre hommage.



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