Barcelone : un guide pour se perdre. (1/2)


– Dis, tu n'aurais pas une ou deux adresses à Barcelone ?…
Question rituelle à l'approche des vacances, des week-ends. Il ne s'écoule pas un instant sans que ne tombe dans ma boîte un email me demandant les tuyaux pour boire et manger à Barcelone. 
D'où l'idée de ce récapitulatif dont la première édition remonte à 2012 et qui comporte aussi bien des restaurants et bars dont j'ai déjà parlé dans Idées liquides & solides (auquel cas les habituels hyperliens orangés vous conduiront vers les chroniques qui les évoquent) que d'autres sur lesquels je me suis moins étendu.


Tous ces établissements, évidemment, sont décrits de façon libre et subjective. Libre, car ignorante de la vicieuse caresse des communiqués de Presse, de la soumission aux inquiétudes de je ne sais quelle régie publicitaire, des désidératas d'un éditeur soucieux de conformisme. Subjectif, parce qu'en matière d'objectivité, je me vois mal concurrencer l'Internationale du "sujet-verbe-compliment" dont les membres éminents ne se souviennent même plus qu'un repas se termine par une addition.


Peu d'esprit de consensus, donc, une nécessaire impertinence et un vrai parti-pris: défendre une cuisine la plus naturelle possible, loin des enculages de mouches et des tricheries à la mode. Dans une ville submergée par le tourisme de masse, il importe plus qu'ailleurs de tenter de mettre en avant ceux qui respectent leurs clients en ne leur faisant pas manger et boire n'importe quoi. Du coup, les empoisonneurs de type chimico-industriel, "moléculaires" comme ils s'intitulaient avant de devenir des chantres (comiques) du terroir, ne sont évidemment pas vraiment mis à l'honneur, laissons ça aux palais Coca-Cola/Nutella. J'en évoquerai bien un ou deux ici et là, comme on annonce un nid-de-poule sur la chaussée.


Compte tenu de la masse d'adresses et de photos (important la photo!), ce guide a été divisé en deux parties.
La première, ci-dessous, traite du centre historique de la cité: Ribera, Sant Pere, Santa Caterina, Gótico, Barceloneta et Raval. Sa forme peut dérouter, plus qu'une liste, je l'ai voulu comme une déambulation, au rythme du marcheur, ou du cycliste, au rythme de l'errance à laquelle ma ville se prête, au rythme des vacances aussi. En fait, je crois que c'est un peu un guide pour se perdre.


Enfin, comme vous pouvez le constater, cet ouvrage numérique, bien que maqué avec rien ni personne, est gratuit. Pour autant, ce n'est pas parce que, pour l'éditer, on n'a pas bousillé les arbres dont auront besoin nos enfants qu'il n'a rien coûté.
Donc, si vous estimez qu'il vous a été utile, libre à vous d'avoir la gentillesse de m'en remercier par une contribution de votre choix, quelques piécettes ou de gros billets. Ça paiera de nouveaux pneus à mon vélo (et vous savez que les pneus, pour un guide…).
Pour exprimer votre générosité, tout est expliqué ici, au bout de ce lien sécurisé.



La Ribera, (dont El Born), Santa Caterina & Sant Pere

Avec le Barrio Gótico et la Barceloneta, nous voilà au cœur battant, animé et cosmopolite, de la Barcelone touristique. Idéal donc pour se faire enfiler, mais rassurez-vous, d'autres quartiers, d'apparence plus pépère, ne sont pas avares en la matière. Prenons-le par ses bons côtés.


Dans le Born (le cœur de la Ribera), j'ai, comme beaucoup de marins, mon port d'attache: L'Ànima del Vi, estaminet naturiste de la première heure (le taulier sévissait auparavant à Gracia). La sélection de vin est immense, et doit peu aux achats sur catalogue. Nous partageons avec Benoît Valée le même amour pour les modes, leurs suiveurs ainsi que l'hypocrisie, l'ignorance et le manque d'épaisseur qui les emballent. À L'Ànima (qui n'ouvre qu'à 18 heures), les soirées peuvent durer "jusqu'aux oiseaux", on y boit du cahors-qui-rend-fort et du pineau d'Aunis qui-rend-agréable-la-pisse. Parfois même, grâce à Núria, la femme de Benoît, arrosées d'un jazz de la meilleure facture, comme dans la vidéo ci-dessous où la nouvelle star barcelonaise Andrea Motis (une habituée), son fiancé et les musiciens du barrio nous offrent un joli moment.



Sachez qu'on mange très bien également dans ce bistrot de la carrer de Vigatans, simple et naturel, sans mariconadas de l'œuf-mayo parfait aux excellents ris de veau en passant par la référence, le cap i pota de Núria.
Désolé de vous avoir infligé cette longue séance de "sujet-verbe-compliment", mais ça la vaut!


À deux pas (vraiment deux pas!), a ouvert plus récemment une grosse machine (un Disneyland disent les mauvaises langues) du vin naturel, le Brutal.
Le lieu, une ancienne bodega, a vraiment une super gueule, la cuisine en revanche est à géométrie variable. Pour ce qui est de la carte des vins, on trouve tout ce qu'un établissement de ce genre doit proposer à une clientèle friande d'étiquettes: Ganevat et vins oranges y sont à l'honneur. Plus prosaïquement, le Brutal propose à la pression (on dit caña en espagnol) une excellente bière artisanale.
Adresse incontournable en tout cas pour exhiber ses derniers tatouages.


Parmi les produits recherchés à Barcelone, ceux de la mer, les mariscos. Et pour ça une excellente adresse qui ne paye pas de mine, Mari y Rufo, carrer de Freixures, tout contre le marché (frappé de gonflette architecturale) de Santa Caterina. Les espardenyas y sont de haut vol, comme les coques et les calamars. Ambiance rustique.


Dans ce même secteur de Santa Caterina, une italiennerie, de l'exotisme, avec un four à pizza simple et de bon goût, le NAP. N'y cherchez pas d'horrible version à l'ananas ou avec je ne sais quel ingrédient loufoque, ici, on est à Naples, il n'y a guère plus de cinq propositions à la carte.


Parce que j'y ai de bons souvenirs, j'ai envie (malgré un communautarisme barbu un peu envahissant qui la grignote) de vous faire marcher jusqu'à la jolie place Sant Augustí Vell. On allait jadis y déjeuner à L'economic, malheureusement fermé en tant que tel, il reste le Joanet, ou le Mundial.
Quoiqu'il en soit ce quartier est en mouvement, Notamment vers Sant Pere, dès que l'on s'éloigne un peu du Palau de la Musica. On espère y voir éclore bientôt des choses intéressantes, d'ores et déjà, on y innove pas mal dans la fringue.


Revenons vers le Born, avec le genre "bar à tapas" que recherche frénétiquement le touriste moyen (avec la rage de celui qui voudrait débusquer un cassoulet à Strasbourg ou une bouillabaisse à Lille…). Vous pouvez, près de la carrer Princesa, faire un stop au Bar del Pla, joli endroit à la cuisine agréable et à l'ambiance sympathique.


Si vous descendez la rue (carrer de Montcada) en direction du port (où se trouve également le musée Picasso) vous passerez devant deux adresses qui font le bonheur des photocopilleurs qui remplissent au kilo les colonnes des guides officiels et des magazines sur papier glacé qu'on vend dans les kiosques mais qu'il vaut mieux voler dans les avions.
D'abord, le superbe Palais Dalmases pour boire un cocktail, parfois en musique (classique ou flamenco), dans une cour Renaissance (il n'y a pas d'enseigne, mais un portier/vigile à l'entrée).


Et bien sûr cette institution qu'est depuis des décennies le Xampanyet; ce bar de toda la vida où se succèdent les générations connait un tel succès touristique qu'on oublie parfois d'aller y boire un verre de la boisson éponyme, une espèce de mousseux populaire un peu sucré dont notre crâne nous sera reconnaissant d'éviter l'abus. Très Barcelone des années 80 (pas au niveau du look, mais du mouvement).


Deux haltes sympa à proximité: les épices à Casa Gispert (carrer de Sombrerers, 23) où l'on trouve notamment le sel des Pyrénées, de Gerri, et surtout l'épicerie Casa Perris, face au musée qui ne sert à rien et qui fut jadis le superbe marché de La Comercial. Casa Perris, c'est le vendeur de légumes secs, de farines, de riz en vrac. Essayez leurs incroyables "tarbais espagnols", les planchetas. Bien meilleur et bien moins cher que le pousse-caddie!
À éviter, en revanche, les empoisonneurs moléculaires de Espai Sucre, anciennement sur la gauche du marché et désormais un peu plus au nord, carrer Sant Pere Més Alt.


Sinon, face à la belle basilique Santa Maria del Mar, on peut toujours prendre un verre à la terrasse de la Vinya del Senyor (spot splendide mais carte des vins un peu molle et tapas internationaux). Au passage, calle Agullers, on jettera un œil à Vila Viniteca, la grosse boutique de vin de Quim Vila, le premier distributeur de vin de luxe en Espagne. Sa sœur tient une épicerie fine à côté, on peut y manger un peu de jambon et de fromage CSP+ en se tapant un excellent jerez.


Au niveau des boutiques, vous trouverez dans le secteur, carrer Argentería, deux fournisseurs attitrés de Ma Majesté, Sans & Sans pour le thé, et, en face, El Magnífico pour le café. Un peu plus haut, un hôtel pas mal, le Banys Orientals, tarifs très très corrects pour le quartier, sous les 100€.


Au cas où brutalement vous vous preniez pour un Américain (ce qui n'est vraiment plus du tout à la mode depuis #Covfefe), allez sur le Pla del Palau manger un beau hamburger "de Galice" chez Sagàs. Attention, il faut lourdement insister pour demander une cuisson bleue afin de ne pas l’avoir trop cuit! Commandez aussi des patatas bravas et une sublime porchetta (cochon de lait farci à la broche). Le restaurant a été monté, en association avec le groupe basque Sagardi, par Oriol Rovira le bon chef catalan d'Els Casals avec les produits de son village.


Dans la même veine, allez manger du cochon dans l'autre établissement de cette association, Pork, à deux cent-mètres de là, dans cette carrer del Consolat de Mar où, souvenir du port de voyageurs, tous les commerçants vendaient jadis des valises (il en reste). Pork, donc, c'est le cochon (un bon Duroc X Ibérico, des Pyrénées) sous toutes ses formes, à la braise principalement, arrosé d'une surprenante et très complète carte de champagnes (en rouge, en revanche…). En cas d'envie de bulles plus roturières, la pression artisanale est de qualité.


Enfin, pour les oiseaux de nuit, ceux qui en tout cas aiment l'exclusivité et la mixologie comme on dit depuis quelques années, il faut se la jouer VIP pour aller dans LE bar à cocktails qui cartonne, Le Paradisocarrer de Rera Palau, une rue qui aboutit sur l'ancienne Estación de Francia. Attention, ici, on se la joue speakeasy comme le veut la tendance, pas d'enseigne, pas de plaque dans la rue, juste la devanture d'un (bon) vendeur de pastramis. Et derrière, dans une ambiance musicale feutrée, un lieu exclusif avec sur la carte les cocktails les plus dingues de la ville. Pour les ultra-VIP, sachez que derrière les toilettes du personnel, une porte dérobée conduit à une seconde salle (uniquement sur réservation), tapissée du cuivre de la distillerie Macallan, et évidemment consacrée à ce whisky à la mode.




Barceloneta

On a parlé de ce quartier populaire de travailleurs de la mer et du port, qui possède son propre drapeau (un peu ukrainien sur les bords), jusque dans la Presse internationale. Ici ont eu lieu les premières manifestations contre la marée touristique. La Barceloneta est une presqu'île volontiers gitane, quasi indépendante de la capitale catalane dont les rues étroites et et ombragées par les étendoirs à linge finissent toutes à la mer. Je l'ai connue sauvage, elle s'est beaucoup assagie.


À la Barceloneta, quartier que je chéris donc depuis trente ans (eh oui…), mon trois-étoiles, mon meilleur restaurant du Monde, c'est évidemment La Cova Fumada, carrer de Baluard.
Dans ce musée de la haute gastronomie populaire, enfumé, s'agite encore le fantôme de Pepe Carvalho qui continue d'y commander des bombas, des pois chiches au boudin et des calamars parfaits. Toujours bondé, on y vient tôt (c'est aussi un endroit d'esmorzar, de petit-déjeuner "à la fourchette"), on commence au bar en attendant une table, on mange toute la carte et on boit des litres de vin a granel (au pichet). Attention, en fin de semaine, La Cova n'est ouverte que pour le déjeuner du samedi, n'arrivez pas après douze heures, il n'y a pas de frigo, donc quand y'en a plus…


En face de La Cova, de l'autre côté de la place du marché, on peut également grignoter quelques olives et de la cochonnaille arrosés de vermut maison à Electricitat, c'est devenu un poil trop folklo dans la chasse au Yanqui (Yankee) mais ça fonctionne. Toujours pleine à craquer, la brasserie (au sens propre) El Vaso de Oro est un bon choix alternatif, surtout si on aime manger debout.


Dans la même carrer de Balboa, la Bitácora également (il en existe une succursale dans le quartier de Poblenou), tapas classiques et cañas au menu, avec en option le match du Barça en direct ou en différé à la télé.


Une adresse un peu moins connue, très familiale également, le Bar Leo au 34 de la carrer Sant Carles. N'y allez pas en smoking, mais franchement ce temple du flamenco des années 70 et d'un rock plus récent vaut le détour. La cuisine est certes un peu grasse, à l'image du juke-box et de la morue préparée par la mama. En contrepartie, ça a vraiment du goût, comme à l'époque de la Barceloneta d'avant le tourisme, quand elle faisait encore un peu peur.


Comment ne pas évoquer l'autre Barceloneta, celle du front de port, face aux yachts de luxe, sur le passeig Joan de Borbó? C'est évidemment le royaume de l'attrape-couillons: malbouffe surgelée, glaces d'usine, pickpockets (finalement moins voleurs que certains restaurateurs…). Un ou deux lieux surnagent cependant, comme le Suquet de l'Almirall. Carlos Abellan vient également d'y ouvrir un restaurant de poisson pour touristes aisés (ci-dessus), ça a de la gueule, mais ce n'est pas nécessairement là que j'ai envie de vous envoyer en premier (sauf si vous devez vider le compte d'un Russe descendu de son bateau ou du W tout proche)


Une adresse correcte, moins coûteuse, si vous tenez à manger au milieu des bateaux, le One Ocean Club, au sein même du port de plaisance. On vous y accepte sans Ferrari. Prenez un riz ou une fideua, ce ne sont pas les meilleurs de la ville, mais l'emplacement est de première catégorie pour ceux qui aiment le côté yacht club (réservation obligatoire).


Enfin, sur la plage, au milieu des pièges à touristes, les riz biens grillés et le merlu du Barraca ne sont pas si mal que ça, surtout le dimanche, quand la plupart des bons endroits sont fermés. En plus, c'est vue sur mer garantie et, de mémoire, il y a un bon rouge canarien sur la carte!




Barrio Gótico

Nous voilà maintenant au cœur du cœur de la ville, dans la Barcelone originelle. Pour tout vous dire, c'est mon quartier, et globalement, on y mange mal. Pas pire que dans tous les spots ultra-touristiques de la Terre, mais vraiment, ça ne fait pas envie. Bon, quand on connaît cet intra-muros, ses recoins et ses traverses, on lui pardonne beaucoup, car il donne beaucoup.


À Barcelone, les bonnes soirées commencent généralement par un vermut. Vous trouverez tout au long de ce guide plusieurs adresses spécialisées dans cet apéritif dont le succès ne se dément pas. Là, carrer Dagueria, il s'agit peut-être du plus petit bar de la Ville des Prodiges. Le Zim (d'enzymes) est accolé à ma fromagerie préférée, uniquement espagnole dans l'approvisionnement mais tenue par une Écossaise francophile. Des tapas de fromage, donc au Zim, et de la belle charcuterie (n'échappez pas à la sobrasada!), quelques vins sympas et l'in-con-tour-na-ble vermut casero, maison. Buvez-en quelques uns, et au final, Francesc, l'âme du lieu, vous crayonnera l'addition sur le bar, à même le marbre de Macael, dans la plus pure tradition du port, qui n'aime pas les caisses enregistreuses.


En poussant un peu plus haut, au delà de l'église de La Palma de Sant Just, filez par la rue éponyme vers la bodega éponyme. Les employés de la mairie voisine viennent y déjeuner du menu du jour, on peut aussi s'étendre plus longuement sur la carte tout en buvant des canons corrects. La Palma est dans son jus, comme avant l'arrivée du plastique. L'hiver, on peut aller se serrer dans la salle du haut.


Savez-vous qu'en général, il vaut mieux éviter de prendre son café au restaurant à Barcelone? Entre un café médiocre, torréfié au caramel brûlé, et une eau dégueulasse, c'est presque aussi mauvais qu'un Nespresso. Heureusement, Vinnie-les-bons-tuyaux a une adresse pour ça, à midi en tout cas: le Satan's, carrer de l'Arc de Sant Ramon del Call.
Oui, je sais, le Satan's, c'est hyperbobo, d'ailleurs avec Marco, le patron, on fait des courses de fixie… Et alors? Vous préférez hyperbeauf? Dans cette caféteria, qui propose également de merveilleux chocolats de grande origine, on boit les meilleurs petits noirs de la ville, sous toutes leurs formes. À propos de formes, les filles qui viennent y feuilleter la collection de magazines branchés y sont parfois inoubliables.


Plus conventionnel, à deux pas du Satan's, et toujours dans le Call, l'ancien ghetto construit autour d'une des plus anciennes synagogues d'Europe, allez boire des coups de rouge (et casser la croûte) à La Vinateria del Call, un des plus anciens bistrots à vin de Barcelone. J'ai connu l'époque où l'on ne pouvait y manger que des boîtes de conserves, le lieu s'est agrandi et doté d'une cuisine.


Tant qu'à être dans le Call, trois petites adresses, et d'abord une boutique de vin, Zona d'Ombra. Rien d'exceptionnel (on y vend toutefois l'excellent Exibis du Pla de Bages), mais sa particularité est d'être ouverte le dimanche.


Si vous voulez boire des bières et de l'alcool le soir, éventuellement en musique (en vivo), faites un tour au bar du coin, l'Idea.
Plus pépère, on trouve dans le secteur un des derniers restaurant à menu de midi que le tourisme et ses tapas d'usine n'ont pas tué, La Cassola, carrer de Sant Severn. Hop! Un billet de dix et deux piécettes sur la nappe à carreaux, vous avez déjeuné.


Tant qu'à être dans cette rue, allez vous recueillir sur l'émouvante place Sant Felip Neri (j'en parlais ), juste derrière le Neri, un Relais & Châteaux qui compte parmi les plus hôtels les plus élégants de Barcelone.


Montez ensuite admirer le retable de la petite église Sant Severn, l'église de l'archevêque, et les jardins de la cathédrale. Sans oublier, de l'autre côté de Santa Eulalia, via la tranquille carrer de la Pietat, cet étonnant cabinet de curiosités qu'est le musée Frederic Marès, dédié à la sculpture sous toutes ses formes, artistique, religieuse et même populaire et utilitaire.
Allez également jeter un œil au Palais des Rois d'Aragon, et aux anciennes archives de cette dynastie née à Huesca et qui régna sur Barcelone.


Pour goûter à d'autres cultures, on peut traverser l'avenue de la cathédrale et manger japonais au Shunka et au Koy Shunka. Ces deux établissements ont longtemps été pour les touristes les symboles de la vague niponne qui a submergé la cuisine barcelonaise. Franchement, même si la partie sushi de la carte du Koy est remarquable, le reste m'a laissé un peu dubitatif. Vous trouverez d'ailleurs dans le second tome de ce guide subjectif de quoi vous régaler de la grande gastronomie de l'Empire du Soleil levant?


Dans ce même secteur, pour ceux qui auraient le mal du pays, un bistrot français assez récent, Le bistrot de Pierrot, carrer de Julia Portet, sur le côté de la tristement célèbre Jefatura de Policia, la Préfecture de Police, où sous Franco l'on savait "poser des questions". On y parle camembert, et un français, justement, Ludovic Darblade, d'Human Vins, s'est penché sur la carte des vins, ce qui change un peu des espagnolades stéréotypées.


Et, carrer de Montsió, un lieu célèbre Els 4 gats dont la carte, entre autres, a été dessinée par Picasso dans son époque barcelonaise. La nourriture n'y est pas plus mauvaise qu'ailleurs, mais le lieu vaut le déplacement, y compris la salle du fond avec son bruyant côté thé dansant. Pour ce qui est des chemins du Maître dans le quartier, entre bistrots et bordels, lire cette chronique.


Au bord de l'horrible Via Laietana, de son architecture grandiloquente, pré-franquiste (mais on s'y croirait déjà), et de son air saturé de gaz d'échappement, une "nouvelle" adresse, le Caelis. On a connu ce restaurant à l'ancien Ritz, sur Gran Via. Il vient de se rapprocher du centre, et de changer d'hôtel puisqu'il squatte désormais le Ohla et ses étonnantes façades piquées de drôles d'yeux de plastique. Aux manettes, toujours Romain Fornell, Catalan de Toulouse. L'an dernier, il m'a fait manger un canard au sang d'anthologie, passé par une des presses de la Tour d'Argent.


Non sans vous avoir d'aller jeter un œil à la petite église Santa Ana cachée derrière la plaça Catalunya, je vous invite à revenir vers le cœur du barrio Gótico en filant vers chez moi, vers Santa Maria del Pi, une des basiliques barcelonaises (les deux autres étant Santa Maria del Mar et la Sagrada Familia).
Puisque l'on revient dans le religieux (c'est le quartier des églises), mangeons quelques gâteaux de bonnes sœurs arrosés de vin de messe au Caelum, à la fourche de La Palla et de Banys nous.


Sur la plaça del Pi, elle-même (en fait un réseau de trois places), pas grand chose si ce n'est l'historique Bar del Pi, refuge des peintres du coin dont les œuvres tapissent les murs. L'endroit arrive à rester "quartier" malgré le tourisme. Dans un coin, une plaque de cuivre indique que c'est là qu'a été fondé le Parti socialiste catalan.


En face de la rosace de Santa Maria, un autre monument historique, la coutellerie Roca, temple de ce qui taille, tranche, découpe. Incontournable pour les cuisiniers. À propos de cuisine, il faudra un jour que je vous parle de mon atelier, le Secret(o), en hauteur, à l'aplomb du palais Fivaller où Napoléon installa son quartier-général. Quand on me le demande gentiment, il m'arrive d'organiser (uniquement sur réservation) des repas privés.


Retour dans la carrer de Banys nous avec deux lieux intéressants.
D'abord, au numéro 8, dans un style éminemment espagnol, la churreria Manuel San Román. des beignets, donc, des churros, ceux qui tombent sur les hanches des belles Andalouses passés trente ans. Là, ils sont franchement excellents, pas si gras que ça et connaissent un succès spectaculaires avec les Coréens depuis que l'établissement à eu droit à un prime time à la télévision locale.


Juste à côté, pour un mojito impeccable, une bière du quartier, voire une bouteille de bon rioja, dans une ambiance jeune et cosmopolite, arrêtez-vous au Stoke, le bar de la rue. Il n'est pas rare d'y parler trois ou quatre langues à la fois. Et d'en partir tard.


Un peu plus bas, à l'angle de la rue qui monte vers la Generalitat et la mairie de Barcelone, une maison de tradition, autre fournisseur officiel de Ma Majesté, la sombreria Obach. Chapeaux, bérets, casquettes de marins… on y trouve même, pour les amateurs du genre, la folklorique barretina catalane, cet espèce de bonnet rouge et noir.


Traversons la carrer Ferran et ses pièges à touristes, faufilons-nous carrer d'Avinyó. On s'arrêtera éventuellement acheter une paire d'espadrille ou de chaussures de corde à La Manual Alpargatera afin de marcher dans les pas d'Ava Gardner et de Penelope Cruz, et, en cas de besoin, manger une grillade au Gran Cafè, la brasserie touristico-classique du coin. L'endroit est amusant, un peu hors du temps, photogénique. Une nuit en rentrant tard, il m'est arrivé d'y voir le tournage d'un film qui sortira bientôt.


Dans le secteur, les végétariens et autres clients à problèmes trouveront leur bonheur au Rasoterra (ci-dessous), carrer del Palau. Inutile de vous dire que ce n'est pas ma tasse de thé, mais j'y ai mangé des trucs rigolos, et la carte des vins réserve deux trois bonnes surprises. Juste à côté, n'oublions pas un des rares kebabs potables de Barcelone, le Damasc.


En reprenant la carrer d'Avinyó, saluons le bordel où Picasso inventa un tableau qui modifia le cours de l'art du XXe siècle, Les demoiselles d'Avignon qui, comme je le rappelle dans cette chronique, n'ont strictement rien à voir avec la préfecture du Vaucluse, enfermées qu'elle étaient derrière cette porte aux lourds lions de bronze.
J'ai évidemment aussi une pensée pour mon copain Bado. Il est uruguayen, plus barcelonais en fait que beaucoup puisqu'il y a installé son atelier dans les années quatre-vingt-dix. Sa peinture, qui chine dans la mémoire de la Ville, dans les poubelles de sa tête, m'enchante. Elle est polymorphe, comme lui, cuisinier, professeur, collectionneur, fabricant de gin en Priorat, Dj de musique russe… 
Je vous invite à une expo privée, chez lui, c'est un de ses derniers boulots, à l'inverse des grands formats qu'il aime tant. L'idée est née en récupérant dans la rue un vieil atlas de l'Espagne. Chaque province est devenue une œuvre.

Tenez, je vous mets ici un lien vers le site de Bado, je sais qu'avec sa cote, il n'a pas besoin de moi, mais quand même…
En sortant de l'atelier, pourquoi ne pas aller prendre un drink au bar d'un autre hôtel chic du quartier. Récent, caché juste après l'étonnante rondeur de petite plaça Milans, le Wittmore du groupe Dorchester, caché, vraiment caché au fond de la carrer de Riudarenes, une impasse repeinte de gris anthracite.


Retour sur Avinyó, toujours en descendant vers le port. Bien sûr, on pourrait aller, à deux mètres du premier atelier de Picasso, au Bar la Plata devenue branché depuis qu'un TV cook américain y a découvert les tapas. Ce n'est pas plus mauvais qu'ailleurs, et en plus, ça permet de travailler son accent new-yorkais.


mais on va rester sur Avinyó jusqu'à ce qu'elle devienne carrer de Simó Oller et croise la carrer de la Mercè qui conduit à cette église fondatrice de Barcelone dont on aperçoit la statue depuis les toits. À cet angle est établie le Bar Celta, une pulperia populaire, galicienne, ouverte le dimanche où l'on peut aller se rassasier de poulpe bien sûr, épais, tendre, parfumé et sans ces saloperies de sauces douçâtres que j'ai vues apparaître ici et là dans les assiettes maniérées de certains cuistots branchés. Mais ne négligeons pas l'épaisse tortilla de patatas ou les anchois frits. Le tout s'arrosera d'albariño bu dans des bols de porcelaine comme le veut l'usage (ce qui lui fait perdre son nez trop clinquant à mon goût).


Après avoir salué la Mercè (qui tient tête à Poséidon), direction plaça Reial via le joli passatge de la Pau à côté duquel Pepe Carvalho avait son bureau. On y trouve désormais à la place un jolie boutique de mobilier vintage, un bistrot "de nanas" et une l'intéressante fondation Enric Miralles consacrée à l'architecture.


Sur la route, deux haltes possibles. 
Un soir de rugby, le pub Flaherty's où l'on boit des pintes de rousses avec des irlandaises brunes (ou le contraire). Attention, je précise bien un soir de rugby; j'y suis tombé par malchance un soir de match de football, c'était l'enfer, on se serait cru dans un meeting de Nigel Farage!


Tard dans la nuit, quand la troisièmes mi-temps nous a pris dans ses bras amoureux, le second stop, c'est le Marula, boîte idéale pour les filles qui aiment les blacks et les types qui ne détestent pas s'embrouiller, bourrés, à cinq heures du matin. Pour ne pas passer inaperçues dans ces horaires où la brume du port remonte jusqu'à la carrer d'Escudellers, certaines n'hésitent pas se jucher sur des Louboutin, modèle Pigalle de douze centimètres.
En attendant l'aube, pourquoi ne pas aller boire une limonade maison à l'Ocaña, ce vaste bar-hommage à un des grands travelos de Barcelone, qui ouvre sur les palmiers de la place.


Pour conclure ce tour du Barrio Gótico, je vous propose une visite d'un restaurant assez incroyable, un des premiers haut-lieux touristiques en fait du quartier, Los Caracoles. Est-ce une priorité d'y aller manger? Peut-être pas, mais, un peu comme son concurrent le Can Cuilleretes, l'endroit nous raconte toute une histoire de l'Espagne telle que l'on vue (et parfois continuent de la voir) pas mal d'étrangers, américains notamment.
Los Caracoles, ce sont les poulets qui rôtissent dans le rue, cette cuisine du XIXe siècle, avec ses fourneaux au charbon rougis par la chaleur que l'on doit traverser pour aller à table, les photos souvenir des stars du Monde entier (il y a même notre Johnny national), ce décor tellement kitch qu'il en devient dingue.
Suivez le guide!






Le Raval

Voici le mauvais élève de la ciutat vella, de la vieille-ville de Barcelone. Et ça ne date pas d'hier. Quartier d'immigrés, d'anars, d'ouvriers pauvres, de truands, de drogués et de putes, l'ancien Barrio Chino de Genet, Mandiargues, Carco, Montherland, Kessel et même un peu Hemingway a mauvaise réputation.


Sans être aussi noir que dans la légende, le Raval a ses côté sombres, renforcé par l'omniprésence pesante, dans certains de ses secteurs, des barbus et des apicultrices.
Mais ce vaste quartier est en fait plus complexe, d'autant que la gentrification aidant, il est aussi devenu branché, "bobo" comme disent les vieux aigris. 


Ce Raval, nous allons attaquer sa visite par un espace hybride, les Ramblas. Hybride parce qu'à cheval sur le Barrio Gótico. Les Ramblas, cette avenue emblématique de Barcelone qui a remplacé un oued et les remparts qui protégeaient le cœur historique, sont devenues une sorte de cour des miracles du boire et du manger. Faux tapas, sucreries de merde, kebabs d'origine douteuse, fast-foods… l'élite de la malbouffe a ici pignon sur rue. Un des frères du Celler de Can Roca a même ouvert un glacier qui ne pourra que ravir les amateurs de saveurs chimique (Jordi Roca est d'ailleurs conseiller spécial de Givaudan qui parfume le papier-cul et les chewing-gums), de vrais Sundae® comme au McDo d'en face. Mais plus chers évidemment, si non, ça ne le fait pas…


Globalement, donc, sauf envie "d'expérience" ou pulsions suicidaires, fuyez les gargottes des Ramblas. Personnellement, je n'en retiendrai que quatre adresses (dont une pour rire). D'abord, La Cazalla, un des plus petits bars à tapas de la ville, tout en bas, au niveau de la rambla de Santa Mònica, sous le porche qui ouvre sur la carrer de l'Arc del Teatre. J'écris "bar", mais c'est en fait juste une fenêtre qui s'ouvre dans le mur, une pincée de tabourets à même le pavé, quelques chips, une soucoupe d'olives et une bière. Étonnant.


Une mention aussi, encore plus bas, carrer de Santa Monica, pour le bric-à-brac francophile et musical du Bar Pastis.


Plus haut de gamme,  et presque en haut des ramblas, sur la rambla dels Estudis, il faut absolument aller boire un pot sur la terrasse de l'hôtel 1898. L'entrée est vaguement filtrée, jouez d'assurance, et on ne vous posera aucun problème. Le panorama est remarquable, un des plus intéressantes des terrasses d'hôtels de Barcelone car proche de la mer contrairement à celles de l'Eixample. Vue imprenable sur cette épaisse coulée verte que représente les Ramblas.


Enfin, un peu plus haut sur cette même rambla dels Estudis, une adresse importante pour les amoureux de la cuisine chimique, l'endroit du casse-croûte préféré de Ferran Adrià (qui a ses bureaux plus bas, dans le Gótico). Ça s'appelle Viena, et on y sert des frankfurts industrielles avec du ketchup et de la moutarde sucrée. Une certaine idée du vide…


Bon, un peu de sérieux maintenant avec la "grosse" adresse des Ramblas, le mercat de Sant Josep, connu des touristes sous le nom de La Boqueria. C'est là que je fais mon marché, que j'essaye en tout cas tant ce marché est rongé, bouffé, cannibalisé par le tourisme bas-de-gamme. 


J'en parlais récemment ici avec horreur, une à une, les loges authentiques disparaissent et sont remplacée par des attrape-couillons de premier ordre, jus de fruits aux pesticides, crêpes au Nutella, brochettes au porc roumain… Les clients habituels sont exaspérés, et peu à peu fuient le marché; par cortoplacismo, cet esprit de lucre à très court terme, et par paresse politique, on est en train de tuer la poule aux œufs d'or. Alors, par pitié, si vous visitez La Boqueria (il existe une vingtaine d'autres halles de ce types à Barcelone), n'achetez pas ces horribles trucs à emporter!
1°) Ça vous évitera de passer pour un beauf.
2°) Ainsi vous ne collaborez pas à la destruction, à l'assassinat d'un élément du patrimoine de la ville.


Cette (importante) mise en garde étant posée, faisons un peu nos courses dans La Boqueria.
D'abord, je voudrais commencer par hommage, à ma "Gitane blonde" du rond des poissons puisqu'elle partie engueuler les photographes d'opérette au Paradis. Dès qu'elle voyait un touriste sortir son appareil, elle le pourrissait. Oh, bien sûr, elle était parfois un peu voleuse, mais elle m'en a appris un rayon en produits de la mer. Heureusement, derrière le ban, sa fille a pris le relais: "¡hola Rey! Que quieres mi amor?"


Des personnages, il en reste à La Boqueria, à l'image de Petràs, le vendeur de champignon et de choses rares, ou du charcutier malaimable qui me vend de délicieux choricitos gentiment pimentés avec lesquels je confectionne des fabadas, mes cassoulets d'ici. 
Les poissons, on en a parlé, c'est un must, comme la morue, incomparable avec les saletés au goût de vieux torchon qu'on évite d'acheter en France, et les olives. Pour les légumes, c'est compliqué, mais ça c'est amélioré, surtout avec les cultivateurs des environs qui viennent vendre sur la plaça de Sant Galdric le matin.
La viande, c'est contrasté. L'agneau, et dans une moindre mesure, le cabri, aucun problème. Avec le bœuf, ça se complique; vous savez que cet animal est allergique à la Méditerranée… On peut trouver des merveilles, comme les chuletones de la Bodega Capricho de León, ou les côtes de bœuf basques de Boket, mais au niveau tarifaire, il faut viser, on peut atteindre des prix parisiens, ou pour Américains, comme vous préférez. Le veau, depuis que cette chère Amparo a vendu sa micro-loge à des empoisonneurs de touristes, c'est la loterie.
Pour les volailles, allez chez Avinova, dont les escargots et le gibier font rêver mon Docteur qui ne craint pas la goutte.
Allez, en route, et en images !


Le cabas plein de victuailles, peut-on quand même manger à la Boqueria? Oui, bien sûr, surtout si on ne le fait pas debout, comme des clébards. J'aime bien par exemple, entre deux japonaises qui forcément veulent qu'on fasse un selfie (le côté poilu/caveman…), aller prendre une tortilla chez l'inaltérable Pinotxo. Sans âge, Pinotxo, avec toujours cet entrain qu'il devrait enseigner à tous les barmen et à tous les serveurs du Monde. On apprend mieux en le regardant que dans les écoles à socquettes blanches.


Plus imposant, surtout depuis son récent agrandissement, il y a le Quim de la Boqueria, c'est simple, bien envoyé malgré le côté usine. Attention toutefois à l'addition quand on va chatouiller les produits de la mer, ça peut piquer un peu.


Enfin, un petit nouveau, sur le flanc droit du marché, le Basco-Toulousain Jérôme Etchalus, au commande du Joël Oyster's Bar. Les célèbres huîtres du Cap Ferret importées dans un pays, l'Espagne, où l'huître un resté un produit de luxe. Ici, elles sont franchement excellentes, et l'accueil comme au pays du rugby.


Pour une table un peu plus raffinée, il faut longer la colonnade gauche jusqu'à la carrer de Jerusalem. Ne vous fiez pas à la banalité du nom de l'établissement en question, Bàcaro, c'est une splendide table italienne, plutôt vénitienne comme son foie de veau. On y mange et y boit excellemment, bien mieux que dans pas mal de mangeoires de La Boqueria. En prime le cadre est charmant.


De l'autre côté de l'esplanade de béton qu'un architecte a eu la drôle d'idée de coller derrière la Boqueria, vous pouvez désormais retourner au Carmelitas, le rez-de-chaussée d'un ancien couvent qui a connu toutes sortes de vicissitudes commerciales. Le lieu a été repris en main, la cuisine coachée par l'excellent Alain Devahive, du coup, les tapas modernes sont de très bon niveau. J'y ai même bu un excellent priorat à l'ancienne, sans pipe-à-Pinocchio!


Si prend l'envie de vous sucrer le museau, allez prendre le dessert de l'autre côté du marché, dans la minuscule carrer d'En Xuclà, à la Granja Viader. Vous voilà au classique des classiques, avec son éternel serveur longiligne dont on pourrait croire qu'il a servi de modèle au croquemort de Lucky Luke. L'hiver, c'est chocolat épais, biscuits à la cuillère et jus d'orange. Mais en toute saison, les mousses au chocolat et les flancs sont excellents.
Pour la petite histoire, c'est ici, il y a longtemps, en 1931, qu'on a inventé un batido inspiré de la Hongrie, le Cacaolat, cousin du Cacolac bordelais.


Plus au nord, à deux pas des ramblas, mais dans une ambiance bien différente, le secteur regorge désormais de bars, de restaurants, de boutiques sympas. De grosses machines au marketing bien huilé, des restaurants exotiques "de luxe", mais aussi des petits trucs qui puent encore Barcelone, à l'image de la modeste Bodega La Clau sur la carrer del pintor Fortuny (qui se gentrifie à vitesse grand V).


Coup de cœur, presque en face de La Clau pour la brasserie Caravelle. Un lieu élégant tenu par des Anglo-Saxons où l'on brasse dans le local mitoyen d'excellentes bières; j'adore la Ill Kids, pale ale dry, amère, à la mousse dense. Jolie ambiance un rien berlinoise.


Pour rester dans cet axe Berlin-Barcelone, quoi de mieux, carrer d'Elisabets, que la Casa Camper, du nom des célèbres chaussures majorquines dont chacun possède au moins une paire dans son placard? Casa Camper, à Berlin comme à Barcelone, c'est un hôtel stylé, pour des jeunes friqués, ou des vieux qui se croient encore jeunes. Une boutique Camper se trouve juste à proximité, ainsi qu'un bar-restaurant, le Dos Palillos tenu par Albert Raurich, un ancien du Bulli. Franchement, il y a quelques années, je vous l'aurais volontiers conseillé (j'en avais dit du bien ici), mais ma dernière expérience était vraiment gustativement désastreuse, gastronomiquement vide de sens et de matière, juste sauvée par une excellente compagnie et quelques bouteilles d'Overnoy-Houillon. Serait-on passé du "côté sombre de la Force"?
Pour en revenir à la Casa Camper, une autre adresse dans le coin, pleine de chic elle aussi mais à un budget plus raisonnable, l'Hostal Grau.


Au bout de carrer d'Elisabets, vous entendez ces claquements secs sur le granit qui pave les alentours du MacBa? Les skateurs bien sûr, le parvis du musée d'art contemporain (plus intéressant de dehors que de dedans?…), la place joliment baptisée "dels Àngels", est devenu leur paradis. Boutiques et bistrots à l'unisson.


En allant vers la carrer de Joaquín Costa, arrive un autre Raval. Un authentique "Boboland" disent les vieux, un savant mélange en tout cas de styles et d'horizons. Dans cette rue et quelques unes de ses perpendiculaires comme Ferlandina se mêlent dans un bordel assumé d'innombrables bars (magnifique Casa Almirall), des boutiques bobo, donc, comme Les Topettes où je vais acheter du sent-bon d'Ibiza, des vendeurs de vinyles, la librairie anar, de la fripe sélectionnée, du mobilier vintage, des barbiers, un opticien top, une torréfacteur chic, des légumes en direct de la ferme, un restaurant végétarien (pas très bon, mais ça fait partie du package…) et les habitants classiques du quartier, chinois, arabes et pakistanais, toujours à la tête de primeurs et d'épiceries bigarrées. À ce propos, en bas de la rue, à la jonction de Carme, on peut aller manger un curry au Shalimar.
Allez, casquette sur la tête, on se fait Joaquín Costa, sans bla-bla, en images !


On refait une pause, au bas de Joaquín Costa, en retrouvant la carrer del Carme. Nous voici dans un bar historique de Barcelone, ouvert dans les Années folles, transformé un temps en boutique de morue, puis bousillé, enlaidi, oublié. Par bonheur, le Bar Muy Buenas vient d'être repris. On va y manger (bien normalement puisque Rafa Peña de Gresca a jeté un œil à la carte), et comme le veut la tendance, on y sert, avec un mélange d'accent italien et colombien, des cocktails. Le lieu a retrouvé son lustre, un grand bravo au taulier, Enric Rebordosa; enfin un Catalan qui a respecté le patrimoine de sa capitale!


Via la carrer de la Riera Baixa, ses fripes rock n'roll et son joli Bar Resolis (ou par la carrer d'en Roig), on descend vers un Raval plus dur, où les dealers "tiennent les murs" sous l'œil désapprobateur des habitués du temple Sikh ou des bouchers marocains.


Vous voici carrer de l'Hospital du nom de ce magnifique édifice, premier hospice de Barcelone, fortifié, car installé à l'époque hors les murs pour accueillir entre autres les pèlerins de Saint-Jacques; la nuit, on peut boire un coup et danser dans ses jardins.


À l'autre bout de la rue (à l'opposé des ramblas et de la Boqueria), c'est ambiance barbus et apicultrices comme je le disais plus haut. On se croirait presque en France (je plaisante…), mais tout cela reste assez maîtrisé, avec d'ailleurs une présence policière persuasive; on ne rigole pas avec les Mossos d'Esquadra (la PJ régionale) qui ont conservé certaines méthodes du "bon vieux temps".


Nous voilà donc sur la rambla del Raval, voulue pour aérer l'ex-barrio chino. D'un point de vue urbanistique, c'est plutôt bien vu, même si la réalisation architecturale est calamiteuse, simpliste, bas-de-gamme. Heureusement, il y a les arbres…
Quitte à vous étonner, mon adresse préférée, ici, c'est un kebab, l'impeccable Baba (non, pas bobo…) où l'on ne sert pas d'immondes agglomérés de minerai de viande dignes de McDo ou de la cuisine moléenculaire.


Du mouvement un peu plus bas, à La Rouge. Bar, bar musical, bar à cocktails, aux dernières nouvelles, c'est là qu'officie le Mozart de la mixologie barcelonaise, Miguel Angel Palau Bianchi, dont je vous avais notamment parlé ici.


Tant qu'à être là (non sans avoir salué la mémoire de Manuel Vázquez Montalbán, L'écrivain de la Barcelone moderne dont la municipalité a collé le nom à une des places les plus laides de la cité), pourquoi ne pas aller aux putes?
Sur le chemin, on s'arrête Casa Leopoldo, table mythique de l'époque de Pepe Carvalho, face à l'horrible place sus-citée, qui enrobe le Barcelo Raval, un hôtel peut-être pas du meilleur goût mais bien placé et dont les vues embrassent cette partie de la ville. Casa Leopoldo a été reprise par le chef  Romain Fornell dont je vous ai parlé plus haut dans ce guide à propos du Caelis. On y déroule la cuisine locale, version soft de qualité, dans un lieu qu'on a voulu conserver tel quel mais où le décorateur a eu (comme souvent) la main un peu lourde. Savoir s'arrêter à temps, éternel problème.


Plusieurs adresses "pour Anglais" sur cette rambla, comme la Taverna del Succulent qui hésite entre le tapas et le cocktail C'est bien, c'est looké, mais on a un peu l'impression de descendre de l'avion. Quand on paye aussi.


Dans le même genre "tapas internationaux", il y a le Cañete, carrer Unió. J'ai bien aimé, il y a quelques années, en particulier la tortillita de camarones digne de Sanlúcar de Barrameda. La bouffe est toujours pas mal, en revanche, la carte des vins est devenue un peu ridicule, genre espagnol lourdaud, et à des prix tels qu'on se croirait à Paris!
Pour vous consoler, allez pisser un coup afin d'admirer cette belle affiche de boucherie taurine dans le couloir des toilettes.


Bon, et les putes ? Ben oui, après vous avoir rappelé que dans un immense assaut d'hypocrisie, le racolage et la prostitution de rue sont interdites en Catalogne, région où l'on doit compter au moins autant de bordels que de bibliothèques (mais l"'honneur est sauf, il se dit que seuls les étrangers y vont…), je dirige vos pas vers la place Sant Pau, sa cinémathèque, sa mosquée intégriste, ses boutiques de téléphones bidouillés et ses pauvres filles. Faites ce que vous voulez, moi, le pain de fesses… 


En revanche, puisqu'il est question de débauche, pourquoi ne pas aller boire une absinthe au Marsella? Quoi? Vous ne connaissez pas? Impossible! Allez, je vous affranchis, c'est ici qu'on en cause entre initiés (interdit aux moins de 18 ans). 


Et puis, si vous avez survécu à la fée verte et que voulez boire un vermut avec trois olives, passez chez Ruben, carrer dels Robadors. Ici, on ne chante pas, monsieur! Sinon, encanaillez-vous au 23 de la même rue.


Retraversons la rambla del Raval et enfonçons-nous encore un peu plus profond dans la jungle de ce quartier sauvage. Tout bouge ici, au grand dam des barbus qui, nuit après nuit, constatent à quel point la charia, cette tendance vestimentaire et alimentaire aussi ringarde qu'un disque de Bernard Tapie, se démode au profit de la mini-jupe et du gin-tonic.


Carrer de Carretes, il y a une adresse que j'adore (ça rime): Lo de Flor. "Flor, j'adore" dit le slogan à propos de cette Italo-Catalo-Argentine et de ses drôles de dames. Un concentré de l'énergie de Barcelone que ce restaurant du soir à la cuisine fraîche et à la clientèle éclairée. Des acteurs, des artistes, des rencontres, Flor sait rendre la vie caressante (y compris le dimanche soir), sa maison est devenue un classique du Raval. En plus, voilà qu'elle s'intéresse au vin.


Pas très loin, entre une boucherie pakistanaise et un vendeurs de chaussures d'occasion pour unijambistes, l'autre classique, c'est l'incroyable Alfonso de la Mota, dans son onirique Nevermore. Restaurant, atelier de cuisine, et éventuellement bar d'ivrognes. Il faut montrer patte blanche, mais ça vaut le déplacement.


Quelques images pour finir cette déambulation dans l'incroyable Raval, entre Babel, Sodome et Gomorrhe. Du Palais Güell, qu'on dirait échappé de Gotham City aux émouvantes créatures du Bagdad, la première salle de striptease (et plus si affinités) de Barcelone, symbole de la libération de l'après Franco. Des concours de tags au musée maritime de Drassanes (dont je vous recommande chaudement la visite), près de la statue de Colomb, en passant par d'insolites bars de nuit dont parfois les ivrognes sont réveillés par les sirènes du port.


Voilà donc pour cette première partie, n'oubliez pas le guide ! La seconde arrive dans peu de temps, entre Eixample et des quartiers périphériques qui, sans bénéficier de l'aura de Ciutat Vella, la vieille-ville, possèdent eux aussi ont leurs petits trésors.
En attendant, j'ajoute un ou deux conseils pratiques. Un concernant la sécurité, non pas que Barcelone craigne (ce n'est pas une ville violente), mais les pickpockets y sont parmi les meilleurs du Monde, aussi réputés en tout cas que le Barça. Attention si vous venez en voiture, ils sont à l'œuvre dès l'autoroute, et la maudite Avenida Meridiana (le coup du pneu crevé…), à éviter absolument avec des plaques étrangères.
Autre conseil, à propos du calendrier. Évitez les dimanches, qui même à Barcelone ressemblent à des dimanches. Et fuyez le mois d'août! L'Espagne ne connaît pas l'étalement des vacances, la plupart des bonnes adresses sont fermées, et le climat y est redoutable, chaleur et humidité.
En tout cas, bienvenue ici.





Commentaires

  1. c'est qui Nigel Machin ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On voit vraiment le Médoquin dans ce qu'il a de pire.
      En même temps, classique comme on est…

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés