La resaca, la laideur et les fleurs.


Le vin goûtait mal hier soir, c'était pas son jour. Pas non plus celui du Racing tout à l'heure en demi-finale du championnat de France de rugby. Pas un jour Racing, mais un jour "racine" affirme l'indispensable calendrier de Maria Thun qui devait sûrement être meilleure en jardinage qu'en dégustation… Je plaisante bien sûr, enfin pas tant que ça. Autant je ne conteste absolument pas certains aspects agronomiques de la biodynamie, et notamment cette observation, ce rapport plus étroit, plus intime avec la plante, autant, verre en main, les jours "fruit", "racine", "feuille" me laissent un peu de marbre. Le Garbi, le vent de mer qui soufflait hier, sa brume moite, molle, lourde, les pressions atmosphériques m'ont toujours semblé avoir davantage d'impact sur la dégustation du vin et ceux qui le boivent que les histoires de Lune. Désolé pour les Sélénites convaincus.


Ce que ne prévoit pas en revanche le fameux calendrier (intéressant pourtant quand il s'agit de déterminer la date de la visite chez le coiffeur), c'est si le jour suivant fera mal aux cheveux, genre jour "bois", ou gueule-de-bois". Rien de tout ça, en fait, ce matin. À défaut de s'être montré séduisant, le vin était resté amical.


La resaca n'est venue qu'en arrivant au marché. Pas loin de la nausée. À la Boqueria, le pont de l'Ascension vaut toutes les descentes du Monde. Toute l'horreur du tourisme de masse, de cette pollution comme disent les Catalans. Nu-pieds, pantacourts, bananes, sac-à-dos, perches à selfies… on se croirait au pousse-caddie. 
La populace, dont une importante partie croit encore que l'effet du déodorant dure les quarante-huit heures promises par la réclame de la télé, déambule sans but, les bras ballants, bouffe de la merde colorée debout, comme les clébards, prend des mines horrifiées devant les fiers étals des tripiers. Rauque et glauque.


Se faufiler. Bousculer. Ne jamais hésiter à bousculer. C'est un vieux monsieur distingué qui me l'a enseigné. Bousculer les mangeurs, les photographes. "Ici, c'est un marché! Pour faire ses courses!" Lui le sait, les boutiques à touristes sont un cancer qui grignote inexorablement la Boqueria. L'argent qui pue, l'argent facile, qui détruit. Au delà des discours, personne n'agit contre ça*, à commencer par cette pauvre mairesse de Barcelone qui n'a pas encore compris qu'elle était élue, que la campagne était finie et maintenant il fallait se mettre au travail. "Res non verba", il faudrait le rabâcher à tous les extrémistes, à tous les populistes.

Dans cinq, dix ans, on pleurera (larmes de crocodiles), le marché mort. On cherchera les coupables. Ce sera la faute des étrangers, de Madrid, de pas-de-chance. Toujours on évitera soigneusement la remise en question. En attendant, on maugrée, on incante.
Enfin non, en attendant, ce qui compte, c'est de trouver un morceau de viande pour le déjeuner. Oh, du veau, du vrai veau! "Vedella blanca" comme on dit ici, un beau bout de quasi de quatre doigts d'épaisseur. Quelques cerises aussi. 
Puis de nouveau fendre la foule hostile, en apnée. Je sais que vous trouvez mon mépris méprisable. Je m'en fous. C'est de termites, de doryphores dont je parle.


Et puis, soudain, tel un rappel à l'Humanité dans cet hymne à la laideur, tel en tout cas un rappel à la beauté, voici la loge, le 'cabinet de curiosités', de Petràs, le vieux vendeur de champignons**. Des girolles, de la très mode ornithogale des Pyrénées (hors de prix forcément…), des fleurs pour ceux qui veulent colorer l'insipide comme au restaurant, des asperges qui ont oublié qu'elles étaient espagnoles, et, ce bouquet de fleurs, sublime, arraché à un potager du Llobregat. La lumière.




* La solution serait peut-être, comme on l'a fait pour sauver le Parc Guëll de la marée humaine, de rendre ce marché payant pour les non-résidents.
** Vous ne l'avez pas oublié bien sûr, je parlais de lui ici.



Commentaires

  1. "La remise en question". J'ai failli m'étouffer de rire. Farceur, va.

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  2. Le vin goûtait mal....
    Il faudra un jour qu'on prouve de manière scientifique un caractère plus labile aux vins qu'aux dégustateurs...
    Et puis en attendant sourire ou pouffer en désignant le protagoniste du verre comme gâcheur de fête....
    Santé avec un chasselas capsulé (là on est plus d'accord), et si le bougre n'est pas en forme on peut avantageusement le mettre au coin le temps qu'il cesse de bouder! ;-)

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    1. « les pressions atmosphériques m'ont toujours semblé avoir davantage d'impact sur la dégustation du vin et ceux qui le boivent que les histoires de Lune. »

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    2. «… et ceux qui le boivent… »

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    3. Après, comme coexistent la sexologie et le sexe, il y a la dégustation et la boisson. Vous imaginez le coitus interruptus de retirer toutes les bouteilles d'une nuit de fête parce qu'elles ont un problème avec la Lune? Méchante partouze…

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  3. Mais j'avoue que c'est l'expression que je trouve comique.... Car rarement on dit aujourd'hui je dégustais mal mais le vin se goûtait mal...
    Faites le test avec du parfum sur touche que vous sprayez plusieurs jours d'affilé. Ce n'est qu'au nez, pas censé être un produit vivant(excuse fourre-tout), mais il est peu probable que vous le trouviez identique et agréable au même niveau chaque jour.....

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    1. Il existe encore heureusement, loin de l'industrie, des parfums 'naturels', qui ne doivent rien aux usines pétro-chimiques de la Ruhr, aux empoisonneurs de Givaudan. Et effectivement, ils sont variable, eux, au support notamment.
      Pour le reste, la variabilité du buveur peut être atténué par la dimension du groupe de buveurs, non?

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    2. Pas sûr.... Qui n'a pas participé à une réunion où, avant même son début, sans parole ou concertation, il y a une tension générale?
      Et concernant l'influence du groupe elle existe mais je ne suis pas sûr qu'elle soit bénéfique... D'expérience l'influence du groupe est évidente mais plus souvent dans le sens négatif que positif... Il me semble moins dans le sens inverse...
      Pour les odeurs, si on prend l'exemple des thiols dans la sauvignon blanc par exemple, ils ne sont pas tous les jours ressentis de la même manière, alors qu'ils sont si volatiles qu'ils sont moins dépendant de la matrice ou du support.
      Mais je tiens à préciser que je ne me considère en tout cas pas être moins inconstant que quiconque...
      Et puis si on analysait deux bouteilles de près, peut-être la différence peut provenir de la bouteille?...

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    3. Encore une fois, je vais être obligé de ressortir mon image de la sexologie et du sexe. Il n'est pas question d'une réunion de dégustateurs, mais d'une fête, plus qu'amicale, entre pros du vins, on boit, on ne déguste pas. Dans la bonne humeur, sans aucune tension, relax.
      Et pour ce qui est de l'impact (sur le produit et sur l'humain) de ce genre de conditions météorologiques sur le vin, les vignerons locaux, ceux en tout cas qui font des vins 'vivants' (pour prendre une expression à la mode), le redoutent terriblement.

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  4. Dans le cadre de la reconnaissance des Crus Bourgeois, nous avons observé que certaines dégustations étaient dévastatrices. Il y avait davantage de casse. Et notamment avec des vins meilleurs que certains qui avaient obtenu le sésame quelques semaines auparavant. A posteriori nous avons constaté un noeud lunaire ces jours de malheur. Hasard ou pas, il y a des jours où la dégustation est une pratique moins enthousiasmante que d'autres.

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