Quand jeunesse sait.


Quand on aime le vin, qui plus est qu'on entretient une vieille et belle histoire avec les vins du Languedoc, ce n'est pas sans un pincement au cœur qu'en cette fin d'été 2016, meurtrier, on prend la route du Pic Saint-Loup. Aniane, Viols-le-Fort, Notre-Dame-de-Londres… avec le Minervois; c'est peut-être par ici que cette région abimée par le tourisme bas-de-gamme a ses airs les plus lubéronesques: paysages intacts, relief spectaculaires, bâti préservé, entretenu.


Mais il y a eu ce mercredi noir, ce maudit 17 août. Pour une partie des vignerons de l'appellation*, de ce fleuve, le principal à arroser Montpellier, le millésime s'est arrêté là, brutalement. La grêle, un ouragan de grêle a tout dévasté, alors que le raisin finissait de mûrir. J'écris bien une partie, parce que comme toujours, les dégâts, impressionnants, sont ultra-localisés. Impossible de s'en douter, par exemple, quand on aborde le Pic par l'ouest, préservé, noyé dans une verdure méditerranéenne qui éloigne tant de la capitale héraultaise. En revanche, vers Lauret, Claret…


Pourtant, malgré la tristesse, nous venons ici faire la fête. Car la fête doit continuer. À tout prix. Nous boirons du pic-saint-loup, beaucoup, c'est une des seules façons efficaces de soutenir les vignerons méritants qui, en trente ans, ont propulsé l'appellation au sommet du Languedoc. D'autant, et c'est la bonne nouvelle, qu'il y a une adresse désormais dans ce coin pour faire la fête au vin.


Sophie Clégnac et, dans son ombre, Aurélien Codorniou, on les connait bien. Parce que justement, ils sont du vin et de la fête. Aussi parce qu'ils sont à l'origine de l'évènement (c'est une idée de Sophie) qui a sûrement été la manifestation vineuse de l'été 2015 en Languedoc: Buvette. Sans la ringardise habituelle qui poursuit comme une malédiction la com' pinardière de cette région, ils ont renouvelé le genre: oui, on pouvait être jeune, vivre avec son époque et y boire du vin, loin du style kolkhozien, de ses pantacourts et de la saucisse d'Intermarché mais sans pour autant se la jouer snobinard du onzième (arrondissement), sans se regarder pédaler.


Forts de ce succès et dopés par les hasards de la vie, ils décident, épaulés par Julien Da Silva  rencontré en Australie, d'ouvrir un lieu simple et vivant qu'animera Sophie, un lieu qui perpétue l'esprit de Buvette, le leur. On parle de leur projet l'hiver dernier à Barcelone. Au début, leur recherche se cantonne à Montpellier où travaille Aurélien, puis on leur propose un restaurant de campagne, aux Matelles, sur le versant sud du Pic.


Coup de foudre, le restaurant éponyme de l'appellation et son incroyable terrasse sous les micocouliers réouvre ses portes au début de l'été. Avec, comme il se doit, tous les emmerdements liés à ce genre de d'exercice, le cuisinier qui se casse le poignet au bout d'une semaine, etc…
Mais les amis répondent présent, à l'image du "minot", Xavier Plégades, le caviste-restaurateur de Narbonne (Célestin), qui, comme Sophie et Aurélien, s'acharne, contre vents et Métro, à cuisiner local et frais.


Le locavore est donc ici la règle. Nous en parlions ce matin encore avec Aurélien qui courait après de nouveaux producteurs des environs, entre Hérault et Tarn, pour aider le chef à bâtir proprement la carte d'automne. Il me tarde de voir ça. En attendant, nous avons superbement déjeuné d'une poitrine de broutard confite, concentrée (qui a d'ailleurs mis une sacrée pâtée au plat d'agneau qu'on nous a servi le lendemain midi dans un bar-à-vins réputé). Nous avons bien mangé, et nous avons bien bu. Je veux dire d'une manière précise.


Car il ne faut pas s'arrêter à son joli minois d'héroïne hitchcockienne, Sophie est bien plus qu'une belle blonde, elle a un vrai caractère, et cette force invincible des autodidactes qui n'auront jamais fini de douter, et donc de progresser. Parce que franchement, on en a vu un paquet de jeunes sommelières mignonnes qui te montrent un bout de peau, des seins pointus, pour faire oublier leur inculture trop maquillée**. Bien sûr, les vieux vicelards se pâment, s'extasient (ça les distrait de leurs molles bandaisons), mais, rayon boissons, on reste sur sa soif.


Pour vous dire, même moi avec ma grande gueule, je m'écrase quand elle décide du vin.
Pour le coup, je ne l'ai pas regretté. D'abord quand elle nous a envoyé, pour nous poser, après la route, un blanc sur le fil du Mas Foulaquier, une des grandes victimes de la grêle d'août. Et puis le coup de maître ce pic-saint-loup "de table", la Marie-Galante 2014 du Domaine Zellige-Caravent. Le cinsault génial, fluide juste ce qu'il faut pour aider les frondaisons à effacer la canicule, mais dense parce qu'on n'a pas encore l'âge de boire de la camomille. Un vrai grand vin d'équilibre, ayant dompté la pétulance du Sud, qui a fait l'unanimité; nous avons raclé tout ce qui restait en cave ce jour-là.


Puisqu'on parle de tisane (la camomille…) et alors que le repas se prolonge, Sophie nous envoie le vin d'un producteur qui walk parfois on the wild side, Axel Prufer, à La-Tour-d'Orb, dans les hauts cantons de l'Hérault, vers Bédarrieux. Prufer, on a goûté de tout chez lui, du frétillant, mais aussi des blancs qui appelaient les crêpes. Mais, là, pas d'erreur, nous voilà sur une pépite: Brutal (le jus ne l'est pas du tout, au contraire) un rouge clair, plus clair qu'un pinot. Ça pourrait bien être un cinsault, ou même de l'œillade. Son intensité, toute en douceur évoque beaucoup un autre "infusion de raisins", le poulsard 2011 d'Overnoy-Houillon à Arbois. Étonnant. Très étonnant!


Au Pic-Saint-Loup, objecteront les râleurs, on boit plutôt nature. Ce n'est pas faux, mais, en général, ça ne pose de problème à personne (sauf aux râleurs engagés) à la condition sine qua non que le/la sommelier/ère ait fait son boulot, ait trié le grain de l'ivraie***. Car évidemment, "Le" vin nature n'existe pas.
En la matière, on notera d'ailleurs que se concurrencent deux grandes catégories parfaitement équivalentes d'abrutis de compétition : ceux qui "Le" vénèrent par principe… et ceux qui "Le" détestent par principe. Un point commun, dans leurs discours, ils assènent "Le" vin nature comme d'autres "Les" Arabes ou "Les" noirs. Comme s'il s'agissait d'un ensemble homogène, comme s'il n'y en avait qu'un, si l'on pouvait réduire une population à un individu. Comme les becs-de-zinc d'antan qui t'expliquaient "Le" bourgogne, "Le" bordeaux, "Le" champagne…
Et puis, signe d'intelligence (et d'absence d'hémiplégie), on boit également d'autres choses au Pic-Saint-Loup, à l'image de ce grand cru de garde d'André Leenhardt, Les Calcaires 2014, qui malheureusement ne durera que quelques minutes. Ou encore cet estimable magnum de blanc des Riouspeyrous, pour se désaltérer après boire.


Alors, pourquoi est-on si bien au Pic Saint-Loup? Peut-être parce que ces jeunes n'ont pas que de la bouteille, ils ont aussi vu du pays. Leur amour du vin, de la table; de la fête se nourrit de leurs voyages, de leurs rencontres. À aucun moment chez eux ne se ressent cette espèce de "fermeture d'esprit" qui règne si souvent en Languedoc, et qui constitue un puissant moteur d'échec. Ils ont compris à quel point il fallait, tout en gardant les pieds bien ancrés dans son terroir, se nourrir d'ailleurs, profiter des courants d'air, les susciter même parfois.
À ce sujet, pour conclure, je voudrais absolument faire un coup de pub à cet évènement qu'organisent bientôt Sophie et Aurélien entourés de nombreux copains. Ça s'intitule Dans les vignes, et ça se déroulera au Mas Foulaquier, le 24 septembre prochain, de midi à minuit (ça me semble tôt…). Il s'agit d'effacer le souvenir du cataclysme, de pousser avec les vignerons sinistrés, d'aider à ce qu'on les oublie pas une fois l'émotion passée. Si vous êtes dans le Sud, c'est tout près, pas loin de l'Autoroute A9. Foncez !




* Désormais une appellation à part entière, la procédure AOP Pic-Saint-Loup a été entérinée par le comité national de l'INAO du 7 septembre.
** Ne soyons pas sexistes, on a vu arriver exactement les mêmes dans le vestiaire garçons, minets gominés tirés à quatre épingles qui sonnent aussi creux que leurs bouteilles sont vides.
*** En l'occurrence, se débarrasser des caricatures de vin nature. Je pense notamment à ces jus simplistes, les "carbo pour Parisiens", technologiques en diable, finalement aussi maquillés que tant de vins que conspuent les VRP de la cause.


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