Trouvailles.


En fait, on cherchait un miroir au tain un peu fatigué pour le boudoir, une armoire à linge espagnole mais pas trop, des poignées de porte modernistes, du cable électrique en tissu noir et des ampoules aussi, parce que juste à côté du "souk", il y a une petite boutique maligne qui vend tout ce qu'il faut pour ne pas avoir le triste éclairage de monsieur-tout-le-monde (qui est encore plus triste et vert en Espagne qu'en France). Et c'est sur ce tableau qu'on est tombé.
Plutôt un grand format, un mètre soixante, un beau coup de pinceau très début XXe. Le parfum des vacances, l'image rêvée d'un petit port catalan qui s'avérera être Port de La Selva, à côté de Cadaqués, un de mes préférés, là où mes parents allaient manger, les pieds dans le sable, des chipirons bien aillés. Charmant. Alors, moyennant quatre billets de dix, on est reparti avec. Il devait s'allonger au dessus de la baignoire, finalement, vu le (petit) standing du peintre, il couchera (une fois nettoyé) dans la chambre, comme une fenêtre de plus sur la Méditerranée si proche.


L'imprévu, c'est ce que j'aime aux Puces. On arrive encore à chiner à Barcelone, avec des hauts et des bas. Les bas, c'est le mobilier. Le franquisme et son repli sur soi cher à tous les fascismes a fermé les frontières au vintage de qualité, seules arrivent au compte-gouttes des pièces échappées des villas allemandes ou anglaises de la Costa Brava; l'espagnol de ces années-là, replica spirit, est généralement de facture merdique. Les hauts, c'est un bric-à-brac fortement espagnol, voire espagnoliste d'avant le catalan washing destiné à faire croire ce qui n'est pas. De la belle ferraille, des objets du quotidien, de la céramique locale (ou française), et donc, grâce à la lumière, pas mal de peinture.


Je ne vais pas vous donner toutes mes adresses, commencez par le célèbre marché des Encants, à Glories, juste à côté du musée du Design et de la Torre Agbar de Jean Nouvel, vous savez, le gode géant qui pénètre profondément le ciel de Barcelone. Les c'était-mieux-avantistes disent que les Encants ont beaucoup perdu depuis qu'ils ont traversé la place et se sont réfugiés sous ces étonnants parapluies de miroirs, je n'en suis pas persuadé. Ce qui est sûr, c'est que les jeunes bourgeois locaux (les pijos ne sont pas encore devenus assez bobos…) ont encore peur d'aller s'y salir les mains. Tant mieux!


C'est exactement la même chose pour le vin. La routine crée l'ennui, et surtout encroûte. Quoi de plus triste que de boire comme des petits vieux, toujours la même chose ou presque? Ne fréquenter que des marques ou des étiquettes que l'on connaît déjà. Il existe des types, y compris des professionnels, qui font le tour de France, du Monde, pour courir des restaurants ou de salons où ils auront dans le verre toujours exactement la même poignée de références. Ça les rassure, ça m'effraie. Le renfermé, la consanguinité. Faut-il vous rappeler les vers attribués au poète (peut-être) assassiné, enterré quatre fois*?
"Il meurt lentement celui qui devient esclave de l’habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins, 
Celui qui ne change jamais de repère, 
Ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu"


Vive l'inattendu, donc, l'imprévu, l'impromptu! Surtout quand de bonnes fées se penchent sur leur berceau. Tenez, hier, dans cette appellation que je tiens en haute estime, Cahors, sûrement une des plus intéressantes de France à l'heure actuelle parce que ses jeunes ont retrouvé le chemin du terroir. Je dis bien "retrouvé", parce que ce chemin, les anciens d'avant le kolkhoze le connaissaient bien, le cahors, ça se faisait en haut, sur le causse calcaire, au pays des serres**, en concurrence avec la truffe. Le nom même de leur cépage en porte la trace, le côt noir, que les Bordelais appellent méchamment malbec, se nomme en fait, dans son pays d'origine, "auxerrois", comprenez "haut-serrois", des hautes serres. Tout sauf un cépage qu'on cultive "en bas", sur les sols à maïs ou à peuplier du bord du Lot, hyper-productifs, là où il engendre des vins à la fois pisseux et anguleux, des rouges rustiques, faibles, qui sont devenus un temps la norme du cahors, sous l'impulsion de la la grosse coopé locale dont le Carte noire a envahi les rayons du bas du pousse-caddie. Jusqu'à faire oublier au commun des mortels la subtilité du vrai auxerrois.


Oui, contrairement à ce que les faussaires anglo-saxons*** veulent nous faire croire, le terroir existe. Et d'autant plus à Cahors, avec ce cépage exigeant qu'est le côt. Ce n'est pas pour rien d'ailleurs que sur les riches terres d'en bas, on a tenté de le couper avec du merlot et autres cache-misères****. La cuvée ci-dessus, sur laquelle je suis tombé par hasard***** (un peu comme le tableau de Camps) le prouve aisément. Il s'agit d'un "malbec" (pour faire international) né d'un climat bien particulier du causse, des argiles, au-dessus de Luzech et de Castelfranc, qui mêlent sable et minerai de fer. Un peu comme à Châteauneuf-du-Pape, par exemple, vers le Rayas. Les rouges y deviennent particulièrement aériens, délicats******. C'est évidemment le cas avec cette cuvée Silice 2014 du Château Les Croisille dont on se demande pourquoi elle n'a pas uniquement été embouteillée en magnum, lequel, on le sait, demeure le format idéal pour un couple…


Comme aux Puces, allons donc chiner dans les "climats" retrouvés, purifiés*******, "décomplexés", de Cahors. C'est la leçon de cette superbe bouteille inattendue, bue d'un trait. Leçon qu'Alexis Goujard (rendons lui hommage), dans La Revue du Vin de France, a été un des premier à rappeler. 
Plutôt que de larmoyer sur des grands crus d'ailleurs devenus trop internationaux autant d'un point de vue tarifaire que stylistique, voilà un des endroits, dans cette "Bourgogne du Sud-Ouest", où se cachent nos grands canons de demain. Enfin, pour ceux qui préfèrent l'inconnu, les trouvailles aux certitudes commerciales.




* Pablo Neruda, évidemment, dont on cherche toujours à savoir, au Chili, les causes de la mort. Le texte en question, en revanche est selon la Fondation Neruda l'œuvre d'une Brésilienne, Martha Medeiros.
** Les serres sont de petites falaises et des coteaux qui ravinent le causse calcaire, créant une infinité de terroirs viticoles, de climats très distincts.
*** Parfois épaulés (ce sont les bizarreries du commerce…) par des alliés de circonstance. Ainsi récemment, un producteur récemment implanté à Cahors, Louis Perot, dont j'ai goûté un petit vin aussi gentil que son étiquette, L'Ostal, m'a apostrophé au son de "on s'en fout du terroir". Sous-entendu, "c'est un truc de vieux cons". Non, mon cher, on ne s'en fout pas, on l'aime, vraiment. Pour ma part, c'est en tout cas ce que je cherche dans les vins, depuis près de quarante ans, bien plus que les artifices de vinification!
**** Comme le dit mon pote Mathieu Cosse qui est tout sauf un idiot, si on avait du implanter un cépage exogène, c'est évidemment, sur les beaux calcaires du Causse, le cabernet-franc qui aurait faire l'unanimité.
***** Un hasard provoqué en fait, ces bouteilles des Croisilles ont été glissées à mon intention dans une commande passée à mon copain Julien Ilbert. Il voulait absolument que je goûte les vins de son copain Germain Croisille, installé de l'autre côté du Lot, sur le plateau d'en face. Par parenthèse, plus encore que de la classe, c'est chez un vigneron un signe de bonne santé, et d'humilité que de vouloir à tout prix faire connaître ce qu'on produit autour de chez lui plutôt que de passer son temps à débiner ses voisins.
****** Du même domaine, j'ai goûté la cuvée Calcaire 2012, un rouge plus "classique", un peu plus massif, plus élevé aussi, auquel il faudra davantage de temps pour tenter de se présenter de manière aussi aimable que cet exquis Silice 2014.
******* Est-il utile de préciser que tous ces jeunes vignerons, Ilbert, Jouves, Croisille, etc ont opté pour une viticulture plus propre qui tourne résolument le dos aux mauvaises habitudes d'antan, destructrices des sols et des nappes, instaurées par le kolkhoze?




Commentaires

  1. J'ai lu que le père d'Anthony Barton aurait dit : "Pour boire un magnum, il faut être deux. Le magnum et moi."

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  2. Pour ma part, je suis adepte de la cuvée Haute Collection de la famille Couture au château Eugénie à Albas. Et je découvre avec délectation leur nouveau blanc, Cousu Main.

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  3. Dans le même genre de partage, Marojallia invite à son repas primeurs Jean-Luc Marteau, jeune producteur à Saint-Sulpice-de-Faleyrens, pour qu'il fasse découvrir son château Tour Pérey aux clients présents. Ca tombe bien. J'aime les deux.

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  4. Tombé ce matin face à cette étiquette de Cahors vaguement familière via le mail quotidien d'une boutique de vin en ligne, je me disais bien que c'était par ici que je l'avais vue! J'en ai donc commandé deux caisses les yeux fermés! Merci.

    Loïc

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  5. Julien Ilbert, Germain Croisille, en me rendant dans les 2 domaines il m'a paru évident que les 2 étaient copains. A peine fini la dégustation au Château Les Croisille qu'on me proposait de passer voir leur copain Julien. Les sourires ont suivi quand j'ai répondu que c'était le suivant sur ma liste. Je ne sais pas si je fais partie de ceux qui préfèrent l'inconnu mais c'est certain j'aime ces trouvailles. La région ne m'est pas inconnue, j'avoue avoir un faible pour ces canons là et je suis certain que d'autres découvertes nous y attendent.

    Autre belle découverte un peu plus haut à Martel, Le Petit Moulin, caviste - épicerie - restaurant qui propose en accord avec une cuisine à base de produits frais et locaux, les vins des 2 domaines ainsi qu'une cuvée maison "La Castagne" élaborée avec Germain Croisille.

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