'World's 50 best Restaurants': une sacrée bande de jeunes!


En fait, je voulais juste répondre à un long publi-reportage paru sur la version digitale du Nouvel Obs. Sous couvert de journalisme, Andrea Petrini (ci-dessus) y faisait gaiement la promotion du consortium qu'il représente en France, le San Pellegrino® & Acqua Panna® World's 50 best Restaurants, au travers de sa Diners Club® World’s 50 Best Restaurants Academy dont il est le chairman hexagonal. Malheureusement, mon commentaire n'a jamais été publié, il a été bloqué. Avec des titres moins fréquentables que Le Nouvel Obs on dirait "censuré". Ce n'est pas bien grave, d'ailleurs, et ça me donne l'occasion d'étoffer les remarques que je comptais faire à monsieur Petrini.


Lisons-le donc son publi-reportage. Le ton est emporté, on y invoque le rock n' roll, le mouvement, la mondialisation de la cuisine… Nous invitant à pleurer sur son sort, Andrea Petrini nous y apprend entre autres qu'il n'est qu'un bénévole désintéressé, élude les soupçons de journalisme alimentaire, de copinage subventionné et y balance une série de "vérités" bien senties sur ce qui fait "l'incontestable" supériorité de ce classement loufoque des meilleures tables du Monde.
D'abord, il précise que ce n'est pas un classement, "plutôt une compilation, une playlist. Un sondage, les doigts dans la prise électrique de l’air du temps." Un peu comme les Clash au moment de Sandinistas, quoi… Ça nous apprendra à faire de la traduction littérale de l'anglais, à croire que best signifie forcément meilleur, que number one équivaut à premier. Il faut absolument que j'envoie un message à la famille Roca et à la presse espagnole pour leur apporter cet "éclairage lumineux", cette grille de lecture qui nous avait échappé.
Alors, évidemment, "les doigts dans la prise électrique de l’air du temps", Andrea Petrini monte dans les tours, comme une Malaguti. Se réjouit d'avoir "enterré" le Guide des Pneus. Conspue "les pros du métier, les critiques gastro, les bureaucrates de la food" qui "crient tous au scandale. À la manipulation." S'indigne que l'on puisse voir dans son classement, pardon sa playlist, "d’obscures manœuvres, des complots maçonniques, carrément des lobbyings étatiques." Et se réjouit: "Un alter-guide est né", porteur selon les restaurateurs nouvelles-normes (les siennes), d'une nouvelle clientèle, "plus jeune, cosmopolite, voyageuse. Plus préparée et curieuse, elle ne débarque pas pour te juger mais surtout pour vivre une expérience.".


Ah, c'est beau, cette jeunesse ébouriffée, cette liberté, cette insouciance! Que j'aimerais moi aussi, Andrea, sentir ce souffle de l'adolescence qui flotte sur vous et vos potes du Diners Club® World’s 50 Best Restaurants Academy! Pouvoir un peu me lâcher, danser le pogo, casser des guitares!
Tiens, au fait, Andrea, excuse-moi, je vais vous tutoyer. C'est de te lire, je rajeunis. Pendant que je t'écris, j'ai Spanish Bombs sur ma playlist. Ben oui, moi aussi, je suis jeune maintenant. Et quand on est jeune et fou, on aime l'Espagne. Le gin-tonic et ce qui va avec (non, ça, c'est Ian Dury!). "Spanish bombs Yo te quiero infinito Yo te quiero, oh mi corazón…"


Je voulais te dire, justement, Andrea, après avoir lu ton texte, pour mieux m'imprégner du spirit de ton mouvement, je suis allé visiter le site de tes World's 50 best Restaurants. Et comme je connais un peu l'Espagne, qu'il m'arrive d'y passer un peu de temps, je suis allé regarder qui était ton alter ego de l'autre côté des Pyrénées. Puisque toi, si j'ai bien compris, tu t'occupe principalement du rock français.
Il s'appelle Rafael Ansón Oliart, il est, selon sa sobre notice sur Wikipedia, "un entrepreneur spécialisé en image et en communication", né à San Sebastián, le 15 septembre 1935. C'est pas un perdreau de l'année, ça, Andrea! Mais, on le sait, toi comme moi, l'âge, la jeunesse, c'est d'abord dans la tête. D'ailleurs, la preuve que ton pote Rafael est jeune d'esprit, regarde le restaurant espagnol qu'il a aidé à mettre à la 77e place de ton classement (zut! c'est pas un classement, c'est une playlist, il n'y a pas d'ordre, on est une bande de jeunes…). Regarde la photo ci-dessous, si ça, ça n'a pas "les doigts dans la prise électrique de l’air du temps!" C'est hype! On dirait un fast-food, plein de couleur et d'énergie, on ne s'embarrasse pas des vieilles conventions poussiéreuses, le vin et tout ça, on préfère mettre en avant des boissons modernes, moins ringardes. C'est ça le rock n' roll! "Spanish bombs rock the province I'm hearin' music from another time Spanish bombs on the Costa Brava I'm flyin' in on a DC-10 tonight…"


Ici, en Espagne, on me dit toutefois que Rafael Ansón a le rock n' roll discret, qu'il ne serait pas adepte des chemises à fleur et des santiag's. Mais tu connais les gens, jaloux et médisants. Les syndicalistes de TeleMadrid ont récemment fait de lui un portrait peu flatteur. Mais tu connais les syndicalistes, Andrea…
Oui, parce que ton alter ego (plus ego qu'alter disent ses détracteurs), les médias, c'est son truc. Comme tu le connais bien, tu sais sûrement que grâce à sa connaissance de la communication, des rouages du pouvoir et à sa proximité avec Adolfo Suarez, il fut un temps patron de la TVE, la télévision d'État espagnole. On lui attribue cette phrase célèbre: “quien no esté de acuerdo con el Gobierno no puede estar de acuerdo con TVE” ("qui n'est pas d'accord avec le Gouvernement ne peut pas être d'accord avec TVE"). Tu sais aussi qu'auparavant, sous Franco, il gravitait dans les hautes sphères de l'État, qu'il fut, selon la Fondation Juan March, chef-adjoint des Relations publiques de la Présidence (de 1960 à 1969) puis chef du Service de Planification provinciale de la Présidence du Gouvernement sous Carrero Blanco. Je ne sais pas si Rafael Ansón a été meilleur ou pire que les autres haut-fonctionnaires qui ont servi sous la dictature, si ce n'est pas grâce à des hommes comme lui que l'Espagne n'a pas rechuté, je ne sais pas non plus si, comme l'affirment certaines sources, sa famille est proche de l'Opus Dei. Mais, c'est vrai, tout cela ne nous regarde pas, Andrea. Pour permettre sa transición, l'Espagne a préféré l'oubli, c'est son choix, respectons-le, et arrêtons là l'exhumation. J'ajoute, moi qui suis Français, qu'en matière d'épuration, nous n'avons pas de leçons à donner, relisez Uranus. "Spanish songs in Andalucia The shooting sites in the days of '39 Oh, please, leave the ventana open Federico Lorca, dead and gone…" Tu te souviens des guitares de Joe et Mick, Andrea?


Revenons-en à ce qui nous occupe, à cette "confrérie 50 Best" dont les membres "bouffent en moyenne, chacun pour soi et en plus du grand menu, des milliers et milliers de kilomètres chaque année. Sans nécessairement manger à tous les râteliers." Des vrai boy-scouts, quoi. Je ne sais pas, en revanche, si ça correspond bien au profil de Rafael Ansón. Cet homme d'influence et de réseaux, asesor, conseiller des puissants a très tôt inscrit la gastronomie, "un hobby", dans sa trajectoire, considérant que l'alimentation constituerait un des sujets majeurs du XXIe siècle, comprenant avant tant d'autres le rôle qu'elle jouerait dans le Tourisme. Et c'est tout naturellement qu'il a mis sa brillante intelligence au service du Ministère de l'Information et du Tourisme, à l'époque conjoints en Espagne. Et c'est ainsi qu'on retrouve cet homme qui se targue d'avoir mangé cinq cents fois au Bulli partout dans ce qui touche à ce qui se mange et se boit, qu'il fonde dans les années soixante-dix la Cofradía de la Buena Mesa (l'équivalent espagnol du Club des 100 français) et l'Académie espagnole de Gastronomie (devenue royale il y a cinq ans) qu'il préside tout comme l'Académie internationale de Gastronomie (de 1991 à 1995) et dont il est toujours Président d'Honneur. Rafael Ansón, promoteur de "l'avant-garde", ennemi déclaré du Guide des Pneus, est également membre de l'Académie des Gastronomes française, de l'Académie des Gourmets, en Suisse, et figure comme fondateur ou membre d'académies similaires en Argentine, au Chili, en Uruguay, au Mexique, en Pologne et en Roumanie. En plus du Mondogastro, on le voit également apparaître ici et là dans le Mondovino, en soutien de Pancho Campo, aux côtés de Robert Parker, au Wine Future 2009 en Rioja, un grand show du jus de planche goût américain.


Multipliant les contacts au travers de ses nombreuses sociétés et de celles de ses proches, lobbyiste avisé, il fait un peu figure de "Juan Antonio Samaranch de la gastronomie". Les deux hommes se sont d'ailleurs fréquentés, Rafael Ansón saluant lors de sa disparition de l'ancien Président du CIO en 2010 "la mort d'un Espagnol universel."
C'est peut-être de gens comme lui dont tu voulais parler dans Le Nouvel Obs, Andrea, à propos d'un "double shot de foodies éclairés et résolument bourlingueurs"? D'ailleurs, excuse-moi, mais si on parle rock n' roll, ton pote Rafael, il a une sono d'enfer: c'est les Stones, Lenny Kravitz et Queen réunis! À côté, ton groupe à toi, ça fait un peu boy's band. T'as qu'à voir la playlist (t'as vu, je me mets au diapason, j'ai pas dit classement…), les titres espagnols caracolent en tête du Hit Parade, trois dans les dix premiers, et pas un Français. Ah, ces jeunes! "Spanish weeks in my disco casino The freedom fighters died upon the hill They sang the red flag They wore the black one…"


Bon, redevenons sérieux, on ne va prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Monsieur Petrini, si j'étais cruel, je reviendrais maintenant, en conclusion, à votre phrase sur "les pros du métier, des critiques gastro, des bureaucrates de la food", sur la naissance d'un "alter-guide", sur les salades (cultivées dans les serres d'Almeria?) que vous nous vendez. Mais franchement, je crois que tout est dit. Merci au Nouvel Obs de m'avoir (indirectement) permis de le faire.




Commentaires

  1. Ouahou, c'est le Claude Guéant de la gastronomie espagnole...Merci Vincent pour l'info.

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