L'hypocrisie.


Vous voyez ces jolis petits oiseaux? Ce sont des pinsons à gros bec. Leur chasse, sans fusil, leur chasse de pauvres paysans du Sud-Ouest témoigne d'une culture ancestrale, d'un rapport, d'une connaissance de la Nature qui malheureusement n'a plus sa place (légale…) que dans les éco-musées*. Je n'ai pas le droit ici de vous dire où et quand je les ai mangés, qui les a ingénieusement capturés, qui les a cuisinés; ces gens de bien encourraient des condamnations pénales qu'on imaginerait davantage adaptées aux honnêtes politiciens qui, hier, ont voté la prolongation pour cinq ans de l'usage du glyphosate en Europe. Quitte à balancer, parce que ce sera toujours facile pour eux de se cacher derrière "une décision de Bruxelles" pour ne pas assumer leur faute individuelle, rappelons la liste des pays qui se sont prononcés en faveur de Bayer-Monsanto: Allemagne, Bulgarie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède, République Tchèque, Royaume-Uni. Au passage, ça nous donne une idée de leur conception de notre alimentation et de l'eau que nous buvons…


Au nom de l'hypocrisie, je ne pourrai pas non plus vous dire d'où proviennent les bécasses saignantes aux entrailles érotiques qui ont suivi la vigueur des pinsons mâchés à pleine bouche. Condamnation en vue là encore, alors même que nous savons tous que ce ne sont ni l'astucieux chasseur de passereaux, ni l'intelligent amoureux des long-becs qui font à leurs populations (et de loin!) le plus important prélèvement. L'agriculture de Bayer-Monsanto, des pesticides à outrance, de la disparition des haies, de l'open field et de ses sécheresses non maîtrisées sont autrement plus gourmands en gibier fin que les chasseurs, les cuisiniers et les gastronomes. Pourtant, ce sont ces derniers qu'il faut jeter en prison!


Attention toutefois en chargeant la mule de certains politiciens de ne pas en profiter pour se dédouaner de nos propres responsabilités. D'oublier plus ou moins sciemment l'hypocrisie du consommateur qui sommeille en chacun de nous. Car de la même façon que "nos emplettes sont nos emplois", chacun de nos achats alimentaires influe de façon décisive sur les orientations futures de l'Agriculture, bien plus efficacement qu'un discours politicien, ou même que le vote d'hier. Choisissons des produits dont nous savons qu'ils n'ont pas nécessité, entre autres**, l'utilisation du glyphosate, grâce à certains labels bien sûr, mais aussi (et surtout) en privilégiant les circuits courts, en refusant obstinément la grande distribution, même quand elle nous fait le coup du greenwashing. Pousser un caddie, c'est une autre façon d'actionner le pulvérisateur de pesticides. Pousser matériellement ou immatériellement un caddie d'ailleurs, car accepter d'aller manger la becquetance d'un cuistot qui lui-même se fournit à Métro, Davigel, Transgourmet etc, c'est adhérer, hypocritement ou pas à la grande œuvre des empoisonneurs de la Terre.


J'aurais pourtant voulu vous parler de ce repas sublime. Assurément un des plus grands de ma vie, davantage Festin de Babette que Grande bouffe. De la nourriture, car ces aliments-là nourrissent, contrairement aux factices qui se contentent de remplir. Des vins, du chablis de De Moor sur les huîtres plates et la première truffe de Richerenches***, de la dernière d'Alba, de La Marguerite sur les pinsons, du Maghani 97 sur un lièvre dépouillé de tous les falbalas destinés à ceux dont en fait le palais citadin ne supporte pas la puissance du lièvre. J'aurais voulu vous parler de la compagnie, des rires, des conversations, des miradas, du pot d'armagnac percé, des vitoles, des filles qui dansent sur le bar comme de possédées, du brunch au fronsac du lendemain en terrasse, du froid sec, lumineux de cette hiver qui s'avance, de la soupe à l'oignon, du magret de canard retrouvé, du parfum de la tourte aux grouses qui a mis deux jours à nous quitter telle L'Heure bleue de la grande époque, après la douche. 
Vous vous contenterez de quelques photos et d'un menu non signé pour cause d'hypocrisie. 
Pas la nôtre, la leur.




* Si vous ne devez en visiter qu'un, allez à celui de Montfort-en-Chalosse, doublement émouvant puisque pour s'y rendre, il faut passer devant le stade Guy Boniface, oublier son linceul de draps de métal horriblement froissés et se souvenir du duo qu'il formait avec son frère André dans ces vieilles images en noir et blanc qui nous faisaient rêver minots. 
** Car cet herbicide, aussi terrible soit-il, ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt de molécules moins médiatiques, moins connues du grand public mais tout aussi dévastatrices écologiquement parlant.
*** Le dealer, je peux vous donner son nom, c'est lui, et c'est un régal légal.


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