B(i)ordeaux.


Le monde du vin, qu'il roule en Jaguar et Barbour assorti ou qu'il se laisse pousser la barbe et le tatouage, présente une des plus merveilleuses concentrations de snobs au Monde. Au sens premier du terme d'ailleurs, sine nobilitate*, de ceux qui veulent péter plus haut que leur cul, qui n'en sont pas mais…
Le snobisme, forcément, comme tous les sports réservés aux crétins, est sujet aux modes. Car nous sommes chez les suiveurs, les moutons; l'originalité, le libre-arbitre, la voix discordante y sont de vilains défauts. Et parmi les snobismes en vogue dans le Mondovino, en tout cas dans le courant qui se veut alterno-branchouille, une des "valeurs sûres" demeure la haine du bordeaux.


Inutile de le répéter, certains propriétaires girondins, y compris des nouveaux venus, ont magnifiquement œuvré pour qu'il en soit ainsi. Entre french arrogance et total mépris du pauvre petit client français, les stars de la "place" (qui finalement représentent si peu de volume) sont arrivés à amasser un capital d'antipathie au moins équivalent à leurs tas d'or. Et l'on a fait de ces hobereaux puants l'unique visage du vignoble bordelais, celui que l'on a envie de détester.
Caricature contre caricature (la connerie appelle la connerie…), dans le NéoMondovino, ce fut donc à celui qui allait le mieux cracher sa haine. Comme souvent, dans cet exercice, les plus talentueux ont évidemment été les plus ignares, les bibliothèques vides qui n'avaient rien bu mais déjà savaient tout et le braillaient plus fort. Je me souviens ainsi d'un stagiaire pinardier dézinguant un Yquem au sortir du berceau, quelque part entre Mireille Mathieu et Sid Vicious, très proche en tout cas du singe auquel on passerait le manche d'un avion de chasse…


Et puis, il y a ceux qui goûtent un peu plus loin que le bout de leur nez, ceux qui sont plus sensibles au vin qu'aux modes. Pour eux, Bordeaux fait partie des ports d'attache, une forme, un dessin (dessein?) de vin si particulier, cousin de la table et du temps.
Oui, si l'on ne boit pas d'étiquette, si, bêtement, l'on ne s'intéresse qu'au contenu du verre, la Gironde, je l'ai déjà dit, est (un peu comme la Rioja, valeur-refuge espagnole) un des endroits en France où il est facile de se régaler pour dix-quinze euros.
– Oui mais, m'interrompt à cet instant précis, le téléspectateur assidu auquel on a expliqué médiatiquement que les Bordelais étaient de vilains empoisonneurs. Ce ne sont que des vins chimiques faits par de méchants milliardaires qui ne pensent qu'à trafiquer leurs cuves alors que les Bourguignons, pour ne citer qu'eux, se battent jour et nuit (la Lune…) pour sublimer la Nature.
– Cher téléspectateur assidu, lui réponds-je alors, il ne faut pas croire tout ce qu'on dit dans la boîte à con**. Et je vais vous expliquer pourquoi, chiffres en main.


– Selon ces chiffres, donc, les derniers, ceux de 2014, près de six cents vignerons girondins sont convertis ou en voie de conversion à l'agriculture biologique, pour un total de 7421 hectares. L'Aquitaine (après le Languedoc-Roussillon et PACA) est la troisième région en France en terme de surfaces, pas loin de 10% des vignes, 9752 Ha y sont certifiées. À titre de comparaison, la Bourgogne (à la superficie plus réduite) compte 2493 Ha de vignes bio.
Tout cela pour dire qu'en la matière, même si comme partout il y a encore du pain sur la planche, Bordeaux n'a pas particulièrement à rougir de son dynamisme, au contraire. On est très loin de l'image médiatico-snobinarde complaisamment propagée.


De domaines bordelais qui travaillent en bio ou en biodynamie, je vous en ai déjà parlé ici, y compris dans des appellations prestigieuses, comme Pauillac (Pontet-Canet) ou Sauternes (Rousset-Peyraguey***), celui d'aujourd'hui a la particularité d'être installé au cœur du terroir peut-être le plus convoité, les plus exclusif de Bordeaux: Pomerol. Nous voici donc au Château Gombaude-Guillot qui, comme le veut l'usage de ce village-clocher grignoté par les règes****, tient davantage de la simple maison que de la folie médoquine.


Avec Olivier Técher, qui a désormais "les clefs du camion", nous nous fréquentons depuis quelques années. Par écrit ou au téléphone. On est même allé jusqu'à bricoler un peu ensemble***** sur Satellite, la délicieuse petite gamme de vins d'appellations voisines qu'il vient d'assembler et de mettre en bouteille, en marge de Gombaude.  Est-il besoin de préciser qu'il s'agit là aussi de vins en bio et biodynamie? Parce que dans la famille Técher, l'engagement pour cette agriculture-là, ce n'est pas vraiment une posture, et encore moins une découverte récente. On va parler de militantisme, syndical, politique.


Reste que même en matière de rouge, la politique, ça n'étanche pas nécessairement la soif. Mieux vaut goûter, donc. Ça tombe bien, en barriques (dont de très chic autrichiennes), s'élève le dernier "millésime du siècle" en date, ce fameux 2015 qui, il faut bien le reconnaître, commence à nous offrir ici et là de bien belles choses à boire.


À Gombaude-Guillot, on ne déroge pas à la règle: le fruit est mûr, parfaitement mûr, avec cette rondeur gourmande qui déjà caractérise 2015 mais d'une précision diabolique, soulignée par des tanins juteux. Particulièrement sur les merlots du terroir principal, ceux qui feront Gombaude******. Si on n'était pas à Bordeaux (ah, les stéréotypes…), j'en tirerais un broc du fut, pour aller le boire à table, tel quel, sur la fraîcheur de la jeunesse, comme un gros salopard. Ce qui prouve au passage que les histoires de "non-buvabilité" des vins de Gironde, il vaut mieux les laisser aux néo-buveurs d'étiquettes…
Ne vous ruez pas toutefois sur une des cent cinquante offres d'achat en primeur qui ont pollué votre boîte-à-lettres électronique, Olivier Techer maintient la tradition familiale, il ne vend que des vins finis. 


Pour ce qui est des vins finis, on sent bien que le 2014, plus classique, il va falloir l'attendre quelques années afin qu'il se montre sous un jour plus aimable. En revanche, je vous conseille vivement le 2012, déjà très à l'aise à table, sur du sang, de canard par exemple. Oui, parce que tant qu'à être affreusement ringard au point de boire du b(i)ordeaux, on mange de la viande avec (c'est pas de cette manière qu'on va faire carrière à Paris…).
Les derniers millésimes semblent d'ailleurs montrer une certaine inflexion par rapport au style classique du Château, plus austère, une petite touche de modernité, davantage sur le fruit. Rassurez-vous, même si Olivier Techer fait (comme le veut l'époque) des essais de vinification en amphore, il n'envisage pas encore de vinifier ses pomerols en macération carbonique. Remarquez, un parfum de banane, les snobs trouveraient ça furieusement tendance!




* Sans noblesse, résumé par les lettres SNOB. sur le casier des élèves issus de la bourgeoisie, par opposition au NOB. de leurs condisciples aristocrates dans les grandes écoles de l'Angleterre du XIXe siècle. Il se disait que les snobs surjouaient, en faisait trop afin de prouver à tous leur ascension sociale.
** Écoutez, réécoutez notre cher philosophe gascon, Michel Serres, ses mots sur la télévision notamment, au bout de ce lien.
*** Sur Château Rousset-Peyraguey, j'en remets une couche puisque le vigneron, Alain Déjean a actuellement des soucis avec l'administration car il refuse de traiter ses vignes contre le vecteur de la flavescence dorée. Problème complexe, certes, surtout en Gironde, mais on ne pouvait le passer sous silence. D'autant que je suis fan de ses Sauternes.
**** Rangées de vignes en gascon de Gironde.
***** Soulignons le conflit d'intérêt, mais que voulez-vous, ses vins sont bons, comme tous ceux avec lesquels je travaille désormais.
****** Le domaine à quatre étiquettes, dont un vin "pour djeun's urbains", Pom n'Roll, plus simple, moins voluptueux, où le merlot se marie au malbec.



Commentaires

  1. Et hop ....encore un tout bon Pousson :-)

    J’adore être « l’ambassadeur » et défendre des vins de Bordeaux de propriétaires, de vigneron(ne)s et je ne désire pas du tout parler de vins de Bordeaux de compagnies d’assurances ou de fonds de pension.
    Ainsi, j’ai de merveilleux souvenirs du Château Larmande du temps de Jean Menneret mais je pense encore à la mauvaise expérience d’une visite au Château Larmande avec la « Mondiale » !
    Est-ce que le vin à tellement changé !? Peut-être que non, mais quelque chose a changé, c’est sûr !
    Il y a tellement de vigneron(ne)s passionné(e)s à Bordeaux !
    Mon coup de cœur à moi, depuis très longtemps, est un monsieur que j’admire, ainsi que ses vins. Très loin d’être l’un de ces viticulteurs prétentieux, il est plutôt un homme droit, sincère et prévenant. Il ponctue souvent la conversation par un beau rire franc, concluant que « le vin ne demande pas toujours de se prendre au sérieux ». Cet homme c’est Michel Ponty (Canon-Fronsac – Château du Pavillon / Château Grand Renouil entre autres) et c’est mon ami.
    De grands souvenirs avec des grands crus prestigieux, j’en ai plusieurs. L’émotion venait du vin, mais également de la circonstance et des personnes présentes pour partager ce moment.
    De très bons moments avec Michel Ponty, j’en ai énormément ! Parfois avec un verre de l’un de ses vins, souvent avec des vins d’autres vignerons.
    Bordeaux a bien des particularités, elles sont nombreuses. Mais avez-vous remarqué que c’est la seule région de France ou l’on trouve si peu le nom du vigneron (vigneronne) sur l’étiquette.
    Moi qui travaille par « ordre alphabétique », de A (Albert Bruno) à W (Weisskopf Xavier), j’ai toujours le souci arrivé aux Bordeaux, de mettre le nom du vigneron ! C’est plein de « SARL / SCEA / SAS / SD du GFA / EARL / SCE / EURL / SAS / SA / ……… ».
    Mon crédo est de « mettre en avant » la vigneronne, le vigneron PLUTÔT que l’appellation ! Avec Bordeaux, je suis bien embêté 
    Vendre du Bordeaux bien connu est facile, vendre les « autres » est un travail fastidieux ! Beaucoup par facilité, pas mal de restaurateurs ne veulent que « des noms », car ils ne demandent ni explications, ni défenses.
    Est-ce que les « grands » ont le succès mérité, certainement. Est-ce qu’ils « écrasent » les autres, oui.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Challenge ultime : essayez de vendre du Listrac. Ce nom est le mal-aimé de Bordeaux. Et pourtant...

      Supprimer
    2. Oui, jevme suis souvent demandé pourquoi, une consonance languedocienne?
      Et pourtant…

      Supprimer
    3. Lirac étant excellent, s'il s'agissait d'amalgame, cela devrait au contraire être profitable. Manque de locomotives, idées reçues, quelles que soient les raisons, elles pénalisent fortement cette jolie petite appellation riche en bons rapports qualité-prix.

      Supprimer
    4. Vincent, défi ultime, tu serais prêt à affronter une verticale de Listrac ? Réfléchis bien avant de répondre. C'est hyper risqué ! ;o)

      Supprimer
    5. Pourquoi pas, si c'est "d'origine contrôlée"…

      Supprimer
    6. Tant pis pour toi ! Tu risques de te régaler ! Et de redire que Bordeaux c'est bon et de t'attirer les foudres des suiveurs de mode ! Vade retro ! Tu veux jouer à domicile des vins ou du dégustateur ?

      Supprimer
  2. Bonjour,

    où peut-on trouver la gamme "Satellite" en région toulousaine?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Aucune idée, Paul.
      Mais si Olivier Techer nous lit, il aura peut-être des adresses…

      Supprimer
    2. Bonjour, nos deux vins de la gamme Satellite devraient être disponibles à la vente d'ici quelques semaines, nous n'avons pas à ce jour de distributeur sur Toulouse. Mais cela ne saurait tarder!

      Supprimer
  3. Je comprends mieux pourquoi j'ai appelé en vain Olivier toute la semaine dernière pour essayer de le croiser hier. Merci, hein ! Merci ! ;o)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai pourtant pas reçu d'appel de ta part, il me semble!

      Supprimer
    2. "Olivier T" comme "Mister T". La boxe en commun. C'était donc toi ? ;o)

      Supprimer
  4. Cela fait déjà quelques années que je suis ce blog, et je me décide enfin à poster un commentaire. Pour un simple amateur de vin, novice de son état, il est parfois bien difficile de faire la part des choses quant il s'agit de Bordeaux. Le sentiment d'être perdu dans une jungle, entre vins "statut social" sans oser goûter et offres "trop beau pour être honnête", avec au final la peur de la déception.

    Heureusement, si je peux me permettre, ce blog a tendance sur moi à faire office d'étoile polaire. Je visite, goute, déguste, prend du plaisir à partager ensuite certains vins notés sur mes carnets au fil de ces pages. J'ai ainsi fait de belles rencontres. Alors, tout simplement merci... Merci Vincent de savoir piquer ma curiosité avec ce style que j'affectionne et qui a souvent pour effet de faire remettre en question le simple amateur que je suis. Je ne manquerai pas de goûter à l'occasion ces flacons pour forger avis et expérience.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de me lire (même si je suis moins brillant qu'une étoile…).

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés