De la tête aux pieds.


Vous aimez les animaux? Alors, foncez vite au marché! Et allez serrer la louche au tripier. Quoi? Votre marché n'a pas (plus?) de tripier? Donc ce n'est pas un vrai marché. C'est sacré, le tripier, c'est celui qui va au fond des choses, au cœur du problème. Sans lui et sa science du peu, à mi-chemin de Delteil et de Confucius, on ne fait, comme un technicien de surface, qu'effleurer la bête.
Car une fois vendus les beaux morceaux du bœuf, de la génisse, du veau, du mouton, de la brebis, de l'agneau, du cheval,  il faut se cogner le reste, quitte à mettre les mains dans la merde. C'est toute la noblesse du tripier: ramener à la vie, à notre vie, ce qui est enfoui, faire une beauté ce qui épouvante les cul-serrés, sublimer. D'une certaine façon, ce type transforme l'eau en vin.


Mais le tripier, ce n'est pas que la tripe (qui pourtant déjà est beaucoup aux âmes pures). Comment, sans lui, mangerait-on de l'onglet ou de la hampe? Qui plongerait dans la carcasse pour extraire ces deux éléments du diaphragme? Cette viande à l'intense couleur sombre, à l'opposé du cuisse-de-nymphe-émue des ris (autre spécialité tripière), entre grenat, bordeaux et queue-de-renard. Ici en Espagne, ils débite même la queue devenue bouchère en France, continue d'afficher ses couilles à l'étal, fait frire le mou, collectionne les pieds de veau ou d'agneau. Seul le porc lui est interdit, réservé à des charcutiers-tripiers, drainant eux aussi une clientèle d'esthètes pauvres ou riches.


Oui, le tripier, c'est peut-être celui qui aime le plus les animaux. Et qui nous aide à les aimer jusqu'au bout. À respecter leur utile sacrifice, en ne gaspillant rien, en ne jetant pas*. Son travail et sa loge sont à l'opposé du puritanisme parfumé à la Walt Disney et arrosé de Caca-Cola que nous vendent les dépressifs anémiés de l'animalisme, ceux qui veulent nous interdire le foie gras, le cashmere et les Crockett & Jones. Son travail et sa loge, à l'opposé des haineux sus-cités, ne parle que d'amour, la tripe est amour. La tripe est politique aussi qui envisage le plaisir pour tous et refuse l'enfer puant, destructeur, de la consommation-poubelle. Qui nous apprend, essentiel message, qu'une bête se mange de la tête aux pieds**.



* Sujet déjà évoqué ici à propos de l'andouillette du Poitou, mais il faut vous y faire, sur ce sujet fondamental, je "radote" depuis des décennies. Et c'est pas fini!
** Un hommage bien sûr en passant à mes camarades anglais Fergus Henderson et Trevor Gulliver qui n'ont pas inventé la tripe mais ont redonné toute sa noblesse, tout son chic à la cuisine "de la tête aux pieds", Nose to Tail.






Commentaires

  1. Au passage, quel dommage qu'il n'y ait pas de tripier aux Carmes à Toulouse...

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  2. Superbe Mr Pousson !! "Il nous aide à les aimer jusqu'au bout" : ça j'adore ! c'est tellement, tellement vrai, tellement véritable !

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