Ouvert le dimanche.


S'il existe bien un sport dans lequel les Français excellent, c'est celui de l'indignation hypocrite. Il y a des sujets sur lesquels une bonne éducation bourgeoise fait que l'on se doit, dès qu'il sont évoqués, avant même d'écouter ce qu'il en est dit, de pousser des cris d'orfraie. Plus encore qu'un culte du politiquement correct, je crois que c'est une façon de contracter une assurance-tranquillité, de se payer  la paix sociale, bref de se mettre à l'abri des emmerdements. Évidemment, le revers de la médaille, c'est que le pays n'avance pas beaucoup, dès qu'un problème se pose, on met la poussière sous le tapis. Parmi ces sujets, beaucoup touchent aux "avantages acquis", le plus souvent ceux des fonctionnaires, ce nouveau clergé hexagonal (vous allez voir la discussion sur le fait de les payer "au mérite"…). Un des autres tabous, c'est le travail le dimanche, cette "monstruosité réactionnaire que veulent imposer au Peuple les oligarques corrompus, débauchés et cosmopolites du grand capitalisme ultra-libéral" (je le fais bien, hein?).


Il y a les discours, façon "petit matin du Grand Soir", et il y a la vraie vie, dans laquelle les Français sont finalement assez souvent en vacances. Là, on les voit arriver en masse (et avec plaisir) dans des villes comme Barcelone où le soleil leur fait oublier de s'indigner devant le salaire de ceux qui les servent ou les véhiculent, généralement payés sept-cent-cinquante euros net par mois*. Pas plus qu'ils ne sont horrifiés par l'ouverture de nombreux commerces et restaurants le dimanche. C'est même d'ailleurs une question fréquente que posent ces touristes (y compris les fonctionnaires…): "où peut-on bien manger à Barcelone un dimanche**?"


Et là, tout discours syndical mis à part, je reconnais que c'est un réel problème. Car Barcelone, avant d'être une destination touristique, reste une grande ville qui possède ses propres rythmes, et le plus souvent, ceux qui animent nos bonnes adresses font relâche en fin de semaine. 
Heureusement, hors des nombreux pièges à guiris***, il existe quelques rares exceptions, des lieux où l'on peut aller manger correctement un dimanche. J'en ai recensé certains dans mon mini-guide en ligne, mais comme ça, à brûle-pourpoint, je pense à Els Pescadors (grande table de poisson) ou à La Volátil (tapas et vins nature). Et là, je vous en ajoute un, parce qu'il me semble bien correspondre à cette demande récurrente d'un déjeuner dominical et/ou familial****: Barraca.


Ce nom, Barraca, est un hommage aux baraques de bric et de broc qui occupaient jadis les plages proches du centre. Oui, parce qu'il faut le dire, ce restaurant, adossé au groupe Tribu Woki et drivé par le chef Xavier Pellicer, respecte une les trois règles de base du commerce: l'emplacement, l'emplacement et l'emplacement. Nous sommes tout au bout de la Barceloneta, cet adorable quartier populaire devenu l'objet d'une spéculation immobilière internationale de haut vol, sur le Passeig Marítim, face à la Méditerranée, donc. La vue que vous voyez ici est prise depuis notre table, lors d'une dernière visite. Quand on arrive de Berlin, de Paris ou de Londres, évidemment…


S'agit-il du dernier sommet gastronomique de Barcelone? Non, bien sûr, mais en commandant intelligemment, on mange très bien à Barraca. De beaux riz, un remarquable merlu à l'ail et au piment (a la Santurce), relevé à l'espagnole pas au goût américain, de bons beignets de morue, de chouettes calamars, même l'inévitable burrata était sympa***** C'est franchement de bon niveau, cent fois mieux que les surgelés de Métro qu'on vous servira sur la plupart des côtes françaises (ah, les fameux filets de rougets…), et à des prix qui reste corrects malgré l'emplacement de première catégorie, l'accueil agréable et la bonne gueule du lieu.


Presque comme à chaque fois, il y a un mais, et vous le savez, ce mais à Barcelone concerne généralement la carte des vins: pas facile de trouver un truc sympa à boire à Barraca. Nous nous sommes rabattu sur un bierzo****** pas si mauvais que ça. Mais bon, la tentation de la bière ou de l'eau n'était pas loin…
Ce "détail" très catalan mis à part, voilà en tout cas une bonne adresse pour ceux auxquels "l'exploitation dominicale des travailleurs par les ordures ultra-libérales et les oligarques corrompus" ne pose pas trop de problèmes de conscience.




* Le salaire minimum espagnol.
** Ben oui, si on est tellement préoccupé par le bien être dominical des travailleurs, on va le samedi au marché, on achète des provisions, et on pique-nique le lendemain, non?
*** Le touriste de base, en argot espagnol.
**** Le lieu est assez spacieux, vivant, il n'est pas incongru d'imaginer y emmener des enfants pour un déjeuner. Bon, si on peut éviter les gamins de parents mal-élevés dont je parlais ici (sujet récemment repris par le magazine professionnel français L'Hôtellerie).
***** Évitez en revanche la Bomba de la Barceloneta, allez plutôt la manger à La Cova Fumada.
****** Vous savez, cette appellation au confins de la Galice, j'en parlais ici et . Comme la Rioja, ça fait partie des DO qui en Espagne vous sauvent souvent le coup au restaurant.


Commentaires

  1. Le Mont Bar aussi est ouvert le dimanche et propose une belle offre gastronomique et une carte de vin bien fournie (Francais, Espagnol, et un peu Italien)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, mais en revanche, dans l'assiette, il y a pas mal de poison, je crois. De "l'avant-garde" comme on dit ici, c'est à dire du vintage adrianesque techno-chimique, non?

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés