L'imaginaire de la minéralité.


C'est un peu le mot que l'on sort quand on a rien à dire, un bouche-trou des dégustations de comptoir, l'argument en plus du boutiquier, le remède à la panne d'inspiration. Au hit-parade du vocabulaire pinardier qui donne une contenance, la "minéralité" a largement dépassé ce "racinaire" qui avait assez d'allure pour avoir tout l'avenir devant lui, mis l'éteignoir sur cette belle "salinité"* qui pourtant promettait. Même la "buvabilité" est battue à plate couture.
Le problème de cette sacro-sainte "minéralité", c'est que la plupart du temps, on ne voit pas exactement à quoi elle se réfère dans les descriptions de ceux qui l'emploient**. Surtout si on pose au même moment le nez sur le même vin. Parlent-ils d'acidité, d'astringence, d'âpreté? Ou peut-être d'un espèce d'umami du vin au moins autant psychologique que sensoriel. Et peut-être aussi bidon que le véritable umami***.
Certes, il existe des crus où certaines sensations gustatives nous rapprochent du minéral, de cette idée de "sucer le caillou"****. Je pense par exemple aux rouges dont la bouche finit sur la mine de crayon, le graphite, certains carignans, des syrahs, des humagnes de beaux terroirs, ou à des vins de l'Etna. Remarquez, sur certains blancs, la "minéralité" provient peut-être tout simplement du soufre qu'ils contiennent sous forme de SO2, le soufre, élément de base naturel de tant de minéraux…


Malgré son aspect un rien volatil, le sujet a été jugé suffisamment sérieux pour que le Centre des Sciences du Goût et de l'Alimentation (CSGA), unité multi-recherches soutenue par le CNRS, l'INRA et l'Université de Bourgogne, lui consacre une étude sérieuse. Ont été interrogés des consommateurs et des vignerons de Chablis, AOP dont les vins sont souvent cités paraît-il comme "minéraux".
Au delà du marketing (florissant) de ce terme, le but était bien sûr de trouver un fondement sérieux à cette notion à la mode. Selon les travaux du CSGA, cette sensation, au moins aussi psychologique, sociale que sensorielle, "semble être le résultat de l`interaction de plusieurs sensations (goût, arôme, touché, etc.), qui le transforment dans un descripteur sensoriel multidimensionnel". S'y rattache notamment une idée de "terroir", quelque chose de qualitatif. Sans que l'on puisse définir exactement quoi.
En tout cas, pour le moment, comme on pouvait s'en douter, "aucune liaison concrète entre molécules et "minéralité" n’a été trouvée". Chou blanc, quoi. Le dix-neuf novembre prochain, vous ne saurez toujours pas pourquoi quand la banane ou le vernis vous sautent au nez, votre voisin "très connaisseur", s'extasiera devant la grande "minéralité" de son beaujolais nouveau. Laissez-le y croire…




* Les anciens se souviennent que le sel, le chlorure de sodium fait partie des trucs des anciens bidouilleurs de vin, un pincée par ci par là et voilà un jus qui prend du pep's. Cet "intrant" (autre mot d'époque aux contours sémantiques un peu flous) est d'ailleurs officiellement interdit dans l'assemblage.
** Pour l'eau, en revanche, la "minéralité", j'en ai une idée.
*** L'umami, une croyance traditionnelle souvent relayée par les cuistots et dans la Presse et démontée ici par Hervé This.
**** "Qui, réellement, a déjà sucé un caillou?" s'interrogeait une première étude (linguistique) lancée en Champagne sur ce sujet. Je ne parle évidemment pas des galets qui ont trempé dans l'eau salée…

Commentaires

  1. Tu as oublié: digeste, aérien, propre...vocabulaire habituel de caviste bobo.

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  2. Quid des propos de David Lefebvre sur la minéralité (je pense à une ou deux interviews dans le Rouge et le blanc notamment)? Je trouve son approche assez innovante et originale

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    1. C'est effectivement une belle approche, pour ceux qui ne connaissent pas, voici un lien: http://lerougeetleblanc.com/pages/articles.php?id=33
      La question est de savoir si cela correspond à la "minéralité" rêvée, à la "minéralité" marketing, fourre-tout, dont on nous rebat les oreilles, souvent même sur des vins très "horizontaux" pour reprendre le terme de David Lefebvre. À mon sens, non.

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  3. Des avis complémentaires
    By David Cobbold
    https://les5duvin.wordpress.com/2013/03/18/non-le-sol-ne-produit-pas-de-la-mineralite-dans-un-vin/
    By Jacky Rigaud
    http://www.anthocyanes.fr/de-la-mineralite-par-jacky-rigaux-reponse-a-larticle-de-la-rvf-revue-du-vins-de-france/

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