La Rioja bientôt bourguignonne ?


Paris, la France, c'est la vie. C'est le vin. La vie et le vin qui continuent. Qui nous disent, nous répètent de ne pas baisser les bras, de sécher nos larmes et montrer que le beau et vieux message de notre peuple, de notre terre, de notre culture est bien plus fort que les lâches exactions d'une cohorte de ratés, de frustrés* barbus, enfumés par des croyances médiévales.
La vie et le vin qui continuent, c'est demain à Beaune. La cent-cinquante-cinquième Vente des Hospices, dont on ne savait pas si elle serait maintenue. Elle le sera m'apprend Bourgogne Live, "la seule fois où [elle] a été annulée, c'était sous l'Occupation a précisé le député-maire de Beaune, Alain Suguenot. Y renoncer au lendemain de ces évènements aurait été un message terrible. Nous sommes libres". Au passage, une petite partie des sommes récoltées sera reversée aux familles des victimes des attentats de Paris a annoncé Christie's.


Si je pense à la Bourgogne, ce n'est pas tant à cause de cette vente de Charité, mais parce que par sa sanctification du parcellaire, de "l'origine extrême", de ces fameux "climats" désormais reconnus par l'Unesco, elle a très tôt posé les bases de la haute-viticulture, comme il existe la haute-couture. Et désormais, bien au delà de Beaune, les vignerons ambitieux savent que c'est en allant dans ce sens, en collant à leurs propres "climats", qu'ils soient cadurciens, languedociens, australiens, qu'ils progresseront.
Malheureusement, ce chemin vers le vin "transparent", "traçable", vers la précision du terroir, n'est pas possible partout. Pas à cause des vignerons ou du sol, juste parce qu'on leur interdit. Vous trouvez ça abracadabrant? Pourtant, c'est vrai, ça se passe en Espagne, dans cette grande région qu'est la Rioja. Le Consejo Regulador, l'entité bureaucratique qui gère la Denominación de Origen ne veut surtout pas entendre parler de parcelles, de "climats". On peut même vous faire des ennuis si vous osez indiquer sur l'étiquette** le village dans lequel se trouve la vigne dont vous buvez le jus! Le vin, ici, il est de la Rioja, un point c'est tout.
Les membres de poids du Consejo Regulador ont encore répété cet axiome en début d'année. Il faut dire que la plupart sont les propriétaires des bodegas industrielles qui remplissent les rayons des grandes surfaces du monde entier. Souvent les rayons du bas, ceux des premiers prix. Il leur faut donc produire à moindre coût, entretenir le flou, être vague sur l'origine des raisins ne peut que les aider. Et il est vrai que même si j'ai bu des trésors en Rioja, j'y ai aussi vu des horreurs: une vigne plantée sur une décharge, de grandes étiquettes derrière lesquelles on ne trouvait pas le moindre arpent, des cuves à roulettes.


"Peut mieux faire. Beaucoup mieux faire. Mais ne s'en donne pas les moyens." Voilà ce qu'on pourrait donc lire au bas du bulletin scolaire de cette belle Rioja. Car les terroirs sont là, le potentiel et le savoir-faire aussi. Manque juste cette finesse, cette précision qui permettent de passer dans la classe supérieure. "La Rioja, me disait récemment un connaisseur, c'est une Ferrari conduite par des camionneurs". 
Heureusement, un nouvelle génération a décidé d'en finir avec cette fatalité. Ils se sont même montés en association. Rioja'n'roll est née, c'est l'intitulé de ce mouvement qui rassemble ceux qui sont en train de nous redonner envie de boire des vins de Labastida, de Haro ou de Logroño sans avoir besoin d'acheter des bouteilles vintage des années 60, 70 ou 80. On y trouve Olivier Rivière (passé comme par hasard par la Bourgogne…) Tom Puyaubert (Exopto), Arturo y Kike de Miguel (Artuke) ou encore Sandra Bravo (Sierra de Toloño), Bárbara Palacios (Barbarot) et le sud-africain Bryan McRobert.


Leur but n'est pas de casser la boutique, ou de contraindre qui que ce soit à partager leur vues, à rendre la "haute-viticulture" obligatoire, ils veulent juste qu'on les laisse exprimer les nuances de cette appellation, ses "climats". Une réforme en douceur, de l'intérieur, sans claquer la porte comme le projetterait déjà une importante marque comme Artadi. Du coup, il paraît que certains grands noms de La Rioja (Álvaro Palacios et Telmo Rodríguez) commencent à changer leur fusil d'épaule et à trouver ça "intéressant".  À la bonne heure! Un peu d'accent bourguignon dans le vin, ça ne peut pas faire de mal…




* Lisez à cette égard l'étonnant papier de Marcela Iacub dans Libération, La misère sexuelle des islamistes, paru, je le précise, avant le carnage parisien.
** Histoire véridique, vécue en créant les étiquettes d'un des nouveaux grands de La Rioja, trop nourri, aux yeux des hiérarques locaux, de culture bourguignonne. Ils nous ont fait, menaces à l'appui, enlever le nom du village où était plantée la vigne!

Commentaires

  1. L'accent bourguignon, je m'en suis régalé la semaine dernière à Barolo, sur un territoire fabuleux ...

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