Le Monde est foireux.


Quel crime de lèse-majesté! Je ne sais ce qui m'a pris. Dois-je aller à confesse? Faire pénitence, me flageller? L'autre jour, je tombe sur une publication du Monde (oui, vous savez, l'ex-glorieux journal d'Hubert Beuve-Méry*) qui me fait tomber de la chaise: un papier touchant, plein de tendresse qui nous raconte la larme à l'œil la quête de grands crus des "acharnés des foires aux vins". Dans le genre, vous voyez que c'est humain le pousse-caddie, en plus maintenant, ils ont de vrais caves avec de vrais cavistes… 
Évidemment, ce micro-trottoir en forme de publi-reportage (appelons un chat un chat, et une pute une pute) est accompagné des abondantes rubriques qui désormais font l'honneur de la Presse pinardière française à la rentrée, le listing des "bonnes affaires" à partir de 3,49€, qui vont transmuter le pauvre lecteur en œnophile distingué. 


Bon, arrête ton char, Ben-Hur! Le pauvre lecteur, sur le coup, on s'en tape un peu, ça m'étonnerait en plus qu'il compte sur Le Monde pour aller remplir sa cave de vin de supermarché, ce qui compte, c'est de rentrer de la pub. Quand vous vous connectez à l'article en ligne, l'interstitiel (comme on dit chez les vendeurs d'espace) annonce clairement la couleur, nous sommes en plein dans un "aspirateur à pub".
Je lis ce publi-reportage, donc, et bêtement, j'en écris quelques mots, à chaud, sur Facebook. Cent vingt-huit signes précisément. Parce que quand même, Le Monde, tomber là-dedans, descendre aussi bas. je sais que la Presse française va mal, qu'elle est tenue à bout de bras (et heureusement!) par les subventions publiques, mais à ce point! Quelle déchéance.


Me tombe alors sur le râble Ophélie Neiman, l'auteur du publi-reportage. Je ne vous mets que le premier extrait, mais il y en a des tartines. Elle me gratifie d'une masterclass de journalisme, m'expliquant la neutralité, l'objectivité, etc, etc… J'y apprend que dénoncer dans un journal les méfaits de la grande distribution, c'est de la diffamation, un délit, quoi. Pourtant, ma chère Ophélie, certains (timidement encore) s'encanaillent, "se risquent" à dire tout le mal que cette Pieuvre fait au pays. Ce délinquant de Périco Légasse, par exemple, dans Le Figaro: "la grande distribution est devenue un fléau pour la France" titre le vilain journal de Droite. Oui, je précise, parce qu'au détour d'une phrase; Ophélie Neiman prend bien soin de me rappeler, comme une médaille d'or sur un rouge-qui-tache, qu'elle est passée par Rue 89. Médiatiquement, quand on vient de Rue89, on ne peut pas être foncièrement mauvais…
Mais revenons-en à la diffamation. Et France Inter, cette radio d'État qui a osé chaque semaine, pendant des années, laisser brailler Jean-Pierre Coffe (avant qu'il ne vire sa cuti) contre "la merde" des pousse-caddies. J'espère qu'ils ont reçu du papier bleu. Délinquants!


En pétard, donc, Ophélie, je ne lui connaissais pas cette hargne. Normal, elle défend son bébé. D'ailleurs, je n'ai rien contre elle, "Miss Glouglou" comme elle se fait appeler à Paris. Je n'avais même pas vu la signature de l'article avant de publier mes cent-vingt-huit signes sur Facebook.
Et puis sa grosse colère m'étonnant, je découvre que c'est elle aussi qui a commis un peu plus bas, les "60 trouvailles" des vins foireux.


Ah bon? C'est sûr que là, on n'est pas dans la diffamation. Aucun risque. La langue passe et repasse. Sujet-verbe-compliment. Pour le coup, à défaut de journalisme, quel bel acte de militantisme! De militantisme en faveur de la grande distribution. Car Le Monde, en ligne et sur papier nous offre un beau dossier polychrome, gai comme un livre d'enfant, avec de jolis dessins pour illustrer cet univers enchanté.
Sur Facebook, la discussion se poursuit, je la suis de très loin. Comme c'est Le Monde, les anti-vins-foireux, d'habitude virulents la mettent en veilleuse, les pro, eux, viennent à la rescousse réparer l'outrage et prouver la parfaite "normalité" de ce qu'a publié le quotidien. On nage en plein nécessitarisme de bistrot, "on n'y peut rien", "on n'a pas le choix", "c'est comme ça"…
Après avoir été accusé de "diffamation" et de "militantisme", je me vois taxé "d'obscurantisme" avant qu'un employé de chez Castel** estime ma position "sectaire". Arrive également ce cher Pierre Guigui qui depuis qu'il ne s'occupe plus du vin chez Gault-Millau fait de la mousse. Là, il est soudainement pris de compassion pour les pauvres et, partant d'un bon sentiment, défend un système qui rend encore plus pauvres. "Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes".


Si vous voulez bien, arrêtons avec ce cinéma de la gentille grande distribution! Elle vend plus des trois-quarts du vin en France, la grande distribution, et en plus maintenant, même Le Monde lui taille des pipes! Il lui faut quoi, en plus? Le monopole? Pour qu'on oublie, qu'on efface le goût du vin vrai? Qu'il n'y ait plus de point de comparaison possible?
Alors, oui, si ne pas se coucher, tenter de freiner le rouleau-compresseur, ne pas collaborer avec, c'est être "sectaire", je le suis. Si c'est ça être "obscurantiste", effectivement je préfère une bougie aux néons des hypermarchés (qui jusqu'à plus ample informé ne sont pas vraiment les dépositaires de la pensée des Lumières). Et, si c'est ça "diffamer" ou "militer", comme tu m'en accuses, Ophélie, je l'assume. Et au passage, je n'ai pas l'impression ce faisant de davantage salir la déontologie journalistique qu'en pondant des papiers de commande*** sur les "bonnes affaires" de la GD. 
Oui, tant pis si c'est mal, vieillot, réactionnaire, je défends l'infime minorité qui, face à la machine à broyer, essaye de penser le vin autrement. Parce que c'est grâce à cette façon de penser que, tout en demeurant un produit marchand, le vin continuera d'être ce produit de civilisation, de culture qu'il a toujours été. Pour ce qui est du Monde, c'est une certitude, depuis qu'il fait la foire, il a changé****.




* Hubert-Beuve Méry qui en 1938 démissionna de son poste au journal Le Temps pour protester contre l'abandon de la Tchécoslovaquie du fait des honteux accords de Munich…
** Castel, pas la boîte de nuit des troisièmes mi-temps, l'autre, celui de Castelvin.
*** C'est le terme journalistique, plutôt péjoratif, pour ce genre de basses œuvres.
**** Cette histoire est presque anecdotique par rapport à "l'évolution" du nouveau Monde. Beuve-Méry est mort et enterré, l'association qui tentait de défendre son héritage intellectuel au sein du journal aussi.


Commentaires

  1. Diffamation, donc, en une de Marianne cette semaine...

    Loïc

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne l'ai pas vue. Quelle est-elle?

      Supprimer
    2. http://www.marianne.net/sites/default/files/capture_decran_2015-09-17_a_11.28.05.png

      Loïc

      Supprimer
    3. Merci, Loïc, je viens de la découvrir, en effet. "Malbouffe", "s'émanciper de la GD", des propos de délinquants militants obscurantistes et sectaires…

      Supprimer
  2. (en réponse à Monsieur Guigui) C'est bien évidement des smicards qui remplissent leur cadis de "grands crus", fausses bonnes affaires en foire aux vins et des bobos "pétés de thunes" qui consomment des vins à prix canons chez nos cavistes (grande majorité des ventes volumes de ces commerçants pour en côtoyer beaucoup) ... Nous connaissons tous des riches sans goûts qui dépensent sans compter pour des produits sur-côté et des personnes issues de classes populaires soucieux de ce qu'ils mettent dans leurs gosiers.

    RépondreSupprimer
  3. Cher Monsieur Pousson,
    Monsieur Desnos, empêché depuis quelques décennies par un fâcheux typhus - un truc vraiment foireux - avait commis dans la revue Bifur cette recension sur son expérience professionnelle :
    "Le journalisme actuel n'est “journalisme” que par le nom. […] Lecteurs, prenez garde ! L'annonce de huitième page du grand quotidien relative au fabricant de lits-cages influence le “papier” du chroniqueur de première page autant que les fameux fonds secrets et les subventions d'ambassade dont certains partis politiques ont tiré un argument facile pour discréditer leurs adversaires. Un journal, au surplus, s'écrit-il avec de l'encre ? Peut-être, mais il s'écrit surtout avec du pétrole, de la margarine, du ripolin, du charbon, du caoutchouc, voire ce que vous pensez… quand il ne s'écrit pas avec du sang !".

    Monsieur Desnos ne reviendra pas, parti chez le Mec des mecs, pas plus qu'il ne pourra assurer la prochaine session de formation dans une école de journalisme. C'est à regret, n'en doutons pas.

    RépondreSupprimer
  4. Cher Christophe Libaud,
    malheureusement, comme écrit ci-dessus (en notes), l'Association Hubert Beuve-Méry, représentant les intérêts moraux du fondateur du Monde et notamment l'ambition de «soutenir un journal de journalistes géré comme un bien public», a eu moins d'humour que Desnos le 22 septembre 2010, à l'arrivée du triumvirat…

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Vincent Pousson,
      Un humour de circonstance ? C'était en 1929. Depuis, l'indignation est tombé dans le domaine public.
      "(...) Tout se tait dans l'affreux lointain
      Vers qui l'homme effaré s'avance ;
      L'oubli, la tombe, le destin,
      Et la nuit, sont de connivence.
      (...) Et qu'on sache à quoi s'en tenir
      Sur la quantité de souffrance
      Dont il faut payer l'avenir,
      Dût pleurer un peu l'espérance !

      Sois le trouble-fête du mal."

      Victor Hugo - Les chansons des rues et des bois

      Supprimer
    2. Plutôt une soixantaine d'années plus tôt, non, Christophe Libaud ?

      Supprimer
    3. Vincent,
      Peu importe le circa, l'indignation de Robet Desnos, en 1929, fait tout autant sens que son engagement ultérieur en résistance et, dans l'instant, l'utilisation réjouissante qu'il fit de l'argot pour caricaturer un certain Maréchal Ducono dans ces temps déraisonnables. L'issue nous est connue, il me plaisait de le dire sur votre blog.

      Supprimer
  5. Bonjour Monsieur Guinard
    Je reste un rien journaliste et si je vous dis que la GD présente des vins au prix moyen en dessous des cavistes c'est que c'est vrai. Il se trouve que ce débat est à deux niveau 1 celui de la distribution 2 celui de la production. Aujourd'hui dans l'état actuel des choses je dis que l'élite peut acheter ses produits de qualité chez un caviste, une épicerie fine... alors que "les gens" non. Je ne défends pas la GD je pense que la GD n'est pas la cause d'une production de merde (elle y contribue)(Vincent pense que c'est la cause principale) la cause selon moi c'est la politique agricole qui favorise une production intensive sans tenir compte des coûts liés à la pollution, les maladie, les aides. Voilà pourquoi produire de la merde revient au final plus cher que des produits de qualité... Cette lecture ne sort pas d'un chapeau mais d'une pensée qui se promène à la Conf.

    RépondreSupprimer
  6. Si le Monde est foireux, Pousson est merdeux :la chasse d'eau la seule solution

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ouh, ça sent la haine cacochyme ça, prenez vos gouttes, mon cher. Et, calmez-vous, c'est bientôt Questions pour un champion, toutes ces émotions à la fois…

      Supprimer
    2. Tous ces gens , avant de répondre , feraient bien de boire un grand verre de vin de Bourgueil , un vin qui détend .... exactement le genre d'appellation detestable en supermarché et si goûteuse chez le caviste , pour des prix souvent bien proches .....

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés