Le pique-nique de Diogène.


Aller casser la croûte dans les vignes, ça réjouit généralement l'amateur de vin. Un de mes plus charmants souvenirs de Saint-Émilion (sous cette orthographe), reste par exemple une ventrêche grillée sur les sarments à dix heures du matin dans un bosquet, sous Mondot, entre Pavie et Larsis. De mémoire, nous buvions du Pavie-Macquin 92, millésime qui se prêtait formidablement à l'exercice, dans des Duralex. Nous étions là comme des gamins, à manger avec les doigts, maculant nos verres de graisse, laissant libre cours à une joie que nous sommes allés pisser dans le merlot voisin.
Bizarrement, c'est un communiqué de Presse qui me remémore ce moment, le genre de littérature qu'on parcourt souvent d'un œil discret, mais qui parfois… Celui-ci provient, via Guillaume Lapaque, du Syndicat des Vins de Bourgueil et il m'apprend "qu'après soixante ans de bons et loyaux services passés à élever des vins de Bourgueil, un foudre de bois de cent-huit hectolitres est devenu un original abri pour accueillir les pique-nique des touristes qui sillonnent le Val de Loire et l'appellation Bourgueil. Ce tonneau à pique-nique est installé en haut du Mont-Sigou, un panorama sur la Loire et le vignoble. Rabelais raconte que c'est Gargantua qui, décrottant ses bottes au retour des Guerres picrocholines, aurait donné naissance à ce mont."


Eh bien moi, je trouve ça amusant! Populaire et pratique, à l'opposé du vin qui se la pète. Quoi de plus sympathique que de faire le marché, de dénicher ces belles victuailles locales, ces trésors que recèlent les étals de campagne et dont nous privent trop souvent les restaurateurs, même hors des villes*, harcelés qu'ils sont par des normes crétines, perverses, pressurés par un air du temps destructeur, obsédé par une rentabilité à courte vue qui les pousse à pousser des caddies. Quoi de mieux que de les dévorer sur place, au milieu des vignes dont on boira bien sûr en même temps le vin, avec ou sans Duralex**. À la façon de Diogène, en plus, dont certains affirment qu'il était hédoniste et débauché, bien plus drôle en tout cas que le sévère Épicure!
Bravo, donc, et merci au Domaine Lamé-Delisle-Boucard*** pour avoir planté ce "tonneau à pique-nique" au Mont-Sigou. Quelle belle idée en plus à Bourgueil, dans cette appellation dont le breton est (pensons à Carmet) une incitation quasi criminelle à la convivialité****.




* Profitons-en, alors que nous célébrons le pique-nique, pour saluer le restaurateur du coin, Vincent Simon, surnommé "Vincent Cuisinier de Campagne", installé lui aussi à Ingrandes-de-Touraine, et qui lui met en avant la production locale. Je n'ai pas pu déjeuner chez lui la dernière fois, c'était fermé, mais je me languis de le faire…
** Pour les plus délicats, nul besoin de rappeler l'existence de malles à pique-nique so british où l'on boit dans du cristal et mange sur de la porcelaine.
*** Avant d'inventer comme le dit le communiqué "le premier tonneau à pique-nique de France", Philippe Boucard, le vigneron, et Vincent Simon, le cuisinier, avaient déjà innové en installant dans une parcelle de vignes, au pied du Mont-Sigou, 250 poules chargées de l'entretien du vignoble.
**** À tel point que je me demande si ce n'est pas là qu'il faudrait que j'aille cueillir les raisins de ma prochaine cuvée Interdit aux snobs!


Commentaires

Articles les plus consultés