Le libéralisme aime le vin ?


L'OCDE, vous connaissez ce sigle évidemment. Parfois même sans trop savoir ce que recouvre cette organisation internationale issue, par ricochet, du Plan Marshall qui redessina l'Europe d'après la seconde Guerre mondiale. Désormais, l'OCDE, présentée parfois comme l'agence de pub du libéralisme économique, délivre des statistiques, pond des rapports, bref assure un bruit de fond favorable aux idées qu'elle promeut. 
Ce midi, les experts de l'OCDE viennent de rendre un pavé sur un sujet plus sociétal qu'économique, mais c'est bien par cet angle de l'impact économique que l'organisation aborde le problème. Notamment en essayant d'en évaluer les coûts sur la production ou les systèmes de Santé publique. Il s'agit donc, comme le veut la loi du genre d'un outil technique, froid, clinique. On n'est pas là pour faire des sentiments.


L'OCDE, évidemment, énonce des chiffres généraux, les voici, brièvement, tels qu'ils seront repris dans une dépêche d'agence, elle même recopiée avec catastrophisme par la Presse généraliste française*.
Dans ses trente-quatre pays membres, "la consommation annuelle moyenne correspond à 9,1 litres d’alcool pur par habitant (soit une baisse de 2.5 % en moyenne au cours des 20 dernières années). On estime que près de 11 % de la consommation totale d’alcool ne serait pas comptabilisée dans les pays de l’OCDE. Ajoutée à la consommation comptabilisée, cette part porte le total de la consommation d’alcool à 10.3 litres par personne, soit un chiffre significativement plus élevé que la moyenne mondiale, qui est de 6.2 litres."
"L’essentiel de la consommation de boissons alcoolisées est le fait des 20 % de la population qui boivent le plus."
"Les niveaux de consommation dangereuse (une consommation hebdomadaire d’alcool pur égale ou supérieure à 140 grammes pour les femmes et égale ou supérieure à 210 grammes pour les hommes) et de suralcoolisation épisodique (« alcoolisation paroxystique intermittente », soit la consommation de 5 à 8 boissons en une seule session selon les pays) chez les jeunes, notamment les femmes, ont augmenté dans de nombreux pays de l’OCDE."
Mais l'organisation, qui s'inquiète de la progression de l'alcoolisme chez les femmes et les jeunes, rappelle aussi quelques fondamentaux que l'on devrait peut-être méditer dans certains pays comme la France où les prohibitionnistes sont parfois tellement enivrés par ce qu'ils veulent démontrer qu'ils en oublient la méthodologie. "Les enquêtes portant sur la consommation d’alcool, écrivent les experts, sont des instruments essentiels à la conception de politiques publiques efficaces. Les pays et leurs agences de statistique et de santé publique doivent redoubler d’efforts pour renforcer la cohérence et l’exactitude de ces enquêtes."


Pour dépasser les généralités, il est cependant intéressant de fouiller davantage le rapport de l'OCDE**, lequel contient ce qu'il est permis d'appeler une bonne surprise pour la culture que nous défendons, celle du vin. Ce n'est pas pas exprimé de façon explicite, mais parfaitement induit par les raisonnements: les experts internationaux se refusent catégoriquement à mettre le vin et les alcools dans le même sac. À l'opposé donc de la position d'associations prohibitionnistes françaises comme l'ANPAA, ou même de pas mal d'écrits du Ministère de la Santé hexagonal.
L'OCDE fait d'abord le tri, page 46, entre les "pattern of drinking", les raisons de boire qui mettent en évidence l'importance des circonstances de la consommation d'alcool. "Le volume d'alcool n'est qu'un des paramètres qui peuvent déterminer si cette consommation sera néfaste ou non. Un volume donné n'aura probablement pas le même effet s'il est consommé en une nuit ou plusieurs jours, seul ou en compagnie, avec un repas ou l'estomac vide. C'est que nous voulons dire par "motifs de boire". Le "motif de boire" est particulièrement important à cause de son lien avec l'apparition de conséquence graves de la consommation d'alcool." S'ensuit un tableau où les pays ne sont plus classés, brutalement, aveuglement, suivant leur consommation quantitative d'alcool mais en fonction d'une somme de facteurs comme le type de boisson ou les circonstances. Et, bizarrement, la France ou l'Italie, adeptes du vin, sont classées dans le groupe des pays où les risques sont les plus faibles (catégorie sur une échelle de 1 à 5). Contrairement à des pays où la bière et les alcools industriels font ventre, la Suède, le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Australie ou bien sûr la Pologne et la Russie.
Désolé, camarades prohibitionnistes…


Il est aussi question du binge-drinking, des pratiques vis-à-vis desquelles "les écarts entre les pays ont tendance à diminuer". "Ce changement, affirme le rapport page 51, est associé au changement de type d'alcool consommé". Et d'évoquer, comme avec une pointe de nostalgie, ces particularismes culturels qui ont tendance à s'atténuer, à l'image de la consommation de vin en France. Là, on n'est pas loin de pointer du doigt un des effets pervers de la loi Évin que-le-Monde-entier-nous-envie (si l'on en croit les bêlements officiels hexagonaux). Pour autant, les tableaux suivants montrent bien que même si le hazardous drinking, la consommation à risques augmente en France, elle reste bien plus faible que dans les autres pays de l'organisation, sous entendu où l'on consomme beaucoup moins de vin…


Je suis très inquiet en revanche concernant la page 70 du rapport de l'OCDE, très inquiet pour le juteux fond de commerce des télé-évangélistes français de la prohibition! Pourvu que cela ne tombe pas non plus dans les mains des journalistes de la Presse généraliste…
Les experts évoquent en effet l'aspect "culturel" des initiations familiales des enfants, telles que pratiquées "dans des pays producteurs de vin où cette boisson est une partie normale du repas". Et les opposent aux "adolescents du nord de l'Europe" qui découvrent l'alcool "en secret", de façon cachée, dans des circonstances où boire de l'alcool est un but en soi". "Il semble raisonnable de supposer que des gens dont l'identité ethnique est associée à de solides racines culturelles ou religieuses seront influencés par leur origine dans leur comportement vis à vis de la boisson." What else?
Bien sûr, tout cela, nous tous, amoureux du vin, le savons (et le disons) depuis longtemps. Ces phrases et ces tableaux ne sont rien de plus qu'une confirmation. Mais le lire dans un rapport de l'OCDE , sous la plume de ses experts internationaux, j'avoue que j'éprouve une certaine jubilation. Ne reste plus qu'à le diffuser…



* Quitte à tomber dans des contre-sens très politiquement corrects, style "la France est un énooorme consommateur d'alcool, c'est la fin du Monde!". En plus, le rapport est écrit en anglais, alors…
** Je tiens à remercier ici un de mes honorables correspondants, Tristan de Bourbon-Parme, grâce auquel j'ai pu gagner pas mal de temps. Merci!

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