Nu, nu, nu, Paris nu…


Paris, capitale mondiale du naturisme pinardier? Oui, c'est une évidence. Même si la mode a gagné d'autres capitales (plus souvent par opportunisme que par conviction*), c'est à Paris que le mouvement est né, que des cavistes et des bistrotiers vaguement situationnistes sur les bords l'ont théorisé**. On pense bien sûr, dans les années 80-90, au Ramulaud de Gilles Bénard, au Café de la nouvelle Mairie de Nicolas Carmarans, au Baratin de Raquel Carena et Philippe Pinoteau, aux Envierges de François Morel, aux Pipos de Jean-Michel Delhoume, aux Caves Augé de Marc Sibard (qui ensuite avec Marie-Louise Banyols firent entre le "nature" à Lavinia) puis au Verre volé de Cyril Bordarier où s'inventa le concept de "cave-à-manger" renouvela le genre, économiquement et gustativement.
À l'époque, les vins surprenaient, évidemment, au bon comme au mauvais sens du terme; au pire, on les trouvait tranchés comme les mots de Néauport quand il se moquait de Raminagrobis. Mais ce n'est pas d'un point de vue œnologique que s'opéra la révolution, l'éthylique emporta le morceau. Alors qu'arrivaient d'un peu partout des décoctions qu'on ne pouvait déguster qu'avec un couteau et une fourchette, ces crus frétillants, inégaux, facétieux réinventèrent la fameuse "machine à coude" des bistrots d'antan: l'ivrognerie façon Blondin ou Giraud fêtait bruyamment son retour, avec force canons.


Depuis, beaucoup de portes se sont fermées, d'autres se sont ouvertes. La plupart de ceux qui aujourd'hui ne jurent que par le naturisme n'ont pas connu cette tumultueuse préhistoire où ces jus-là se présentèrent comme une véritable alternative à une viticulture en train de se mondialiser dans de puissants effluves de bois et d'argent. Soit qu'ils ne buvaient pas encore de vin (mais des boissons naturelles, on l'espère…), soit qu'ils en étaient toujours à la mode d'avant, hantant les primeurs de Bordeaux et le Priorat, le Wine Advocate sous le bras. Mais tous ont, comme il se doit, la foi ardente des nouveaux convertis. Et, j'espère, une soif inextinguible sans laquelle ils risquent la crise de foi.


Personnellement, je ne ferai jamais du vin "nature" une religion. Parce que les religions enferment et m'ennuient, les bigots et les gratte-Jésus*** mille fois plus. Mais si j'éprouve une certaine répugnance pour les chapelles, ma liberté et mon envie me poussent à boire des quantités non négligeables de vins "natures". "Non négligeable" est, vous l'avez compris, un euphémisme; il y aurait là de quoi susciter l'effroi de ces autres inquisiteurs que sont les prohibitionnistes (une richesse que la France devrait exporter comme je le préconisais l'autre jour).
Et Paris, justement, sera doublement en ce week-end du 1er mai la capitale du vin "nature" puisque s'y tient Sous les pavés, la vigne, le salon organisé, avec Rue89, par mon camarade blogueur Antonin Iommi-Amunategui. C'est, je le précise, un salon grand public, ce qui signifie que même si vous n'êtes pas un vrai (ou même un faux) professionnel du pinard, vous pouvez, moyennant la modique somme de dix euros, pousser la porte de La Bellevilloise. Il s'agit également (désolé amis cavistes) d'une foire au cours de laquelle vous pourrez acheter des caisses et des cartons.


Soixante-dix vignerons (sans compter la bière, le cidre, le whisky, le café et la coke…) sont rassemblés pour Sous les pavés, la vigne. La liste complète se trouve ici, sur le blog d'Antonin. Exactement comme dans n'importe quel salon, vous y rencontrerez des gens que vous aimerez, d'autres moins, des vins que vous aimerez, d'autres moins. Je le répète, le "tout est bon dans le cochon", laissez-le au couillons (et aux fayots et aux grands-publi-reporters).
Parmi ceux qui me font envie, allez vous gorger des riches tanins de breton saumurois du Clos Cristal, agenouillez-vous devant Catherine Leconte des Floris, suppliez-la de vous déboucher un vieux carignan blanc que vous comparerez avec celui de Ledogar. Pensez aussi à aller voir Jeff Coutelou, un des derniers vignerons de Gauche (regardez les prix!), et à goûter pour moi les vins de Ludovic Engelvin, buvez du bordeaux aussi, ça c'est non conventionnel de boire du bordeaux. Et surtout, faites ce que bon vous semble, le goût n'est pas un dictat!
Plus encore qu'avec tout autre (c'est inscrit dans ses gênes), on a parfaitement le droit d'être nature face au vin "nature". Le droit de dire ce qu'on pense. Surtout ne pas rejouer le vieux sketch trop poli où on minaude, où on trichouille quand on n'aime pas ce qu'on a dans le verre. Bref, en ce joli mois de mai où il est interdit d'interdire, interdit de faire semblant! Sinon, où est l'intérêt de se mettre nu?




* Je vous avais déjà parlé ici de l'exemple de Barcelone où, dans les milieux tatoués, les marchands de couleurs sont en rupture de stock de peinture verte.
** Me voilà pris en flagrant délit de parigoterie! Oui, il y a eu des tentatives en province, comme chez moi à Toulouse où au Nabuchodonosor, chez ce bon Roland, on était naturiste avant l'heure, mais sans marque ni label. Roland a d'ailleurs toujours rappelé à ses ouailles (au sein desquels je fus admis dès le milieu des années 80) que "la vraie finalité du raisin n'était pas le vin mais le vinaigre". Puis vinrent Le Temps des Vendanges de mon pote Éric Cuestas, Le Tire-Bouchon de mon petit bougnat d'amour. L'Épicerie de Franck Bayard leur emboîta le pas, quand elle était ouverte, ainsi que Vinea.
*** Expression médoquine pour grenouille-de-bénitier.


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