Buveur d'étiquette.


Il y a des étiquettes qui vous interpellent. Parce qu'elles évoquent quelque chose, parfois de façon subliminale, souvent parce qu'elles ne sont pas banales. Le banal est l'enfant du collégial, du plus petit dénominateur commun. Il naît de réunions ennuyeuses et paresseuses où chacun met son grain de sel, où l'on cherche le consensus, lequel déjà pue un peu la politique; le "pas de couilles, pas d'embrouilles" y règne en maître. Et le résultat est invariablement lisse, raboté, fade. Robinet d'eau tiède. Banal, on y revient.
Je pense par exemple que si Jean Hugel avait soumis ses étiquettes jaune pétard (jaune Maggi comme je le racontais ici) a un brainstorming d'experts en marketing, il se serait fait jeter comme un malpropre. "Mais mon pauvre, vous n'y pensez pas!", "ça ne marchera jamais…" Son packaging si particulier, n'a pas tout fait mais, depuis des décennies, a affirmé l'originalité de la maison de familiale de Riquewihr.


Affirmer. Il me semble que c'est le cœur du problème. Finalement, on ne demande pas à une étiquette de vin d'être "belle", "esthétique", "de bon goût", on lui lui demande d'affirmer. D'affirmer un message, des convictions, des valeurs. Il existe de vieilles bouteilles assez moches que je ne restylerait pour rien au monde. Pas par conservatisme, juste parce qu'elles sont devenues porteuses d'une identité qui dépasse de loin quelques critères typographiques ou colorimétriques. À cet égard, j'ai été consterné par la refonte des étiquettes de La Chapelle de Jaboulet; j'ai l'impression qu'on a remplacé un élément de patrimoine par un truc de supermarché. Et ce serait sûrement la même chose si des galapiats s'attaquaient, au nom d'une élégance au parfum de rouleau-compresseur, à Petrus, à la Romanée-Conti ou je ne sais quelle marque prestigieuse du vignoble.



En revanche, je suis souvent un peu désolé de voir qu'on a parfois du mal en France à inventer de nouvelles façons de dire le vin. C'est souvent timoré, ventre mou, ça manque d'audace. Ou au contraire, on se lance dans la créativité de chef-lieu de canton, tendance artiste incompris.
Le vin "nature" et assimilés a largement contribué à faire bouger les lignes. Sans provocation aucune, je me demande même parfois si l'apport de ce mouvement n'est pas encore plus important en matière de packaging qu'au niveau œnologique. Alors que l'Hexagone traînait la patte, avec ses imprimeurs ronronnants, les nouveaux vignerons ont cassé les codes, ou en tout cas, se sont mis au diapason de ce qui se faisait ailleurs sur la planète-vin. Je pense en vrac à la com' de Jeff Coutelou en Languedoc, à Lestignac du côté de Bergerac. Du fond et de la forme.



On est allé loin, trop disent certains devant des étiquettes assez rock n' roll. Peu importe! Il vaut mieux l'outrance que la mort, il vaut mieux que le vin, son apparence en tout cas, sente davantage la vie, la folie, que le renfermé. Et c'est vrai qu'on a vu et fait de tout; de la couleur en voici en voilà, de la photo, du trash… Certaines n'étaient pas à mettre en toutes les mains, à commencer par celles des heureux possesseurs de pavillons de banlieues ou des chefs de rayon du pousse-caddie.
Au niveau mondial, le mouvement s'est d'ailleurs inversé depuis quatre ou cinq ans, avec un grand retour du noir & blanc, un noir et blanc créatif, parfois délirant ou parfaitement minimaliste, mélangeant les influences. 




Mais ce n'est qu'une des tendances, des univers parallèles cohabitent. Leur point commun est de ne concerner pratiquement que les vins artisanaux. La haute époque de Mouton-Rothschild, débridée, libre, est loin derrière nous. La plupart des grandes marques aujourd'hui sont devenues sages, conventionnelles. Tout le monde regarde tout le monde, les investisseurs sont prudents, les conseils d'administration ont leur mot à dire, les experts sont de la partie: finie la spontanéité, il y a trop d'argent en jeu. "Remet-nous une couche de dorure, coco. Faut qu'ça brille! Qu'a pète! Les Russes et les Chinois adorent, on n'est pas là pour rigoler…"










Commentaires

  1. Moi, tu me connais, je ne parle que de ce que je connais. Par exemple, la "nouvelle" étiquette des vins de la maison Paul Jaboulet Aîné ne vient pas d'un supermarché, mais des archives de la maison. C'est une renaissance d'une vieille étiquette, en quelque sorte.
    Et celle d'Angélus est un one-shot destiné à célébrer l'obtention du classement en 1er GCC A. Cette étiquette est réservée au seul millésime 2012.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sûrement, Nicolas, sûrement… Mais c'est du rendu dont il est question, et, à ce jour, je n'ai trouvé personne qui ne soit pas consterné par l'affadissement de l'étiquette de La Chapelle. L'ancienne, qui a marqué son époque, était un symbole qu'on a retrouvé partout y compris en couverture de bouquins internationaux, plus qu'un symnole, un élément patrimonial dont la porté dépasse de loin la maison Jaboulet et l'Hermitage.
      Pour celle d'Angélus, je le sais bien, mais reconnaissons qu'elle est un peu clinquante (doux euphémisme).

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés