Le kolkhoze gagne toujours à la fin.


Dans le Midi, notamment, elles avaient souvent des noms incroyables: Le Progrès, L'Union, L'Espérance… Celle de La Redorte installée dans une des zones les plus productives du Minervois s'intitulait même L'Avenir. Malgré leur allure d'usines à vin, les coopératives vinicoles, héritières de "l'esprit de Jaurès" se voulaient en effet le futur d'une viticulture pauvre et désorganisée.
Il y avait bien sûr énormément de politique dans tout ça. Et le rouge que l'on vénérait, ce n'était pas vraiment celui du vin. Pour dire vrai, généralement, le vin, on s'en tapait royalement. Ça reste une constante de la coopération vinicole, peu importe le vin, pourvu qu'il se vende, et que les adhérents touchent leurs "dividendes". Dans ce milieu, ils sont une immense majorité à ne faire aucun lien entre le raisin qu'ils apportent et le produit final, le revenu est le moteur. Sous des dehors kolkhoziens, on parle surtout d'argent: peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'avance…


Si je vous parle de ces "bonnes vieilles coopés", c'est qu'une information récente m'a frappé.  Lue dans Vitisphère qui relayait un communiqué de Presse:
"Trois caves coopératives, Signé Vignerons (Rhône), Les Vignerons foréziens (Loire) et la Cave des Coteaux du Lyonnais (Rhône), viennent d’annoncer le changement de nom, depuis le 1er janvier 2015, de leur union commerciale. Celle-ci sera dorénavant baptisée Agamy: « Agamy: c’est l’union pour la passion du gamay », indique le communiqué de Presse".
Il y a quelque temps, on avait tenté de m'embarquer dans un projet pour justement accompagner en terme d'image l'éventuel renouveau des Vignerons foréziens. En fait, au sein du conseil d'administration, plusieurs projets étaient en lice pour tenter de relancer la machine. Celui auquel j'étais censé participer avait de la gueule: se recentrer sur le bon vin autour de jeunes adhérents ambitieux, épaulés par de talentueux vignerons d'appellations voisines. Car dans le coin, il y a le matériel pour faire de très beaux gamays.
Mais la majorité a tranché, la "voix de la raison" l'a emporté, Les Vignerons foréziens ont rejoint ce qui est de venu Agamy. Oublié le jus frétillant des des terres granitiques et basaltiques du Forez, Agamy, ce désopilant anagramme, a d'autres ambitions et notamment "le lancement, à l'automne 2015, d'une nouvelle gamme de vins aromatisés. Baptisée Jasper, elle se présentera en bouteilles en aluminium de 25 cl avec capsule. Les six recettes, toutes à base de gamay, évoquent le monde du voyage avec un nom de ville pour chaque vin : menthe pour Casablanca, épices pour Bombay, orgeat pour Paris, piment pour Mexico et mangue pour Rio".
Vox Populi, Vox Dei, c'est la loi de la coopé…


Entendons-nous bien, je ne veux pas au travers de ces quelques lignes dézinguer "l'esprit de Jaurès", et par là même, "l'esprit coopératif". Ce système, dont les 619 caves produisent plus de la moitié du vin français, a son rôle à jouer. Forte de son implantation et d'un régime fiscal spécifique, la coopération, pour ceux qui veulent faire du vin "au kilo", sans trop se soucier du résultat final, sans grands emmerdements, demeure une des meilleures solutions. Le négoce notamment a besoin de ce réservoir massif et de ses jus à-tout-faire.
En revanche, pour les paysans qui aiment le vin, qui ont envie de devenir vignerons, pour faire meilleur, plus fin, plus sain, la coopération ce n'est pas ça. Je n'ai pas envie d'écrire comme je l'ai déjà entendu qu'à la coopé, "ce sont toujours les mauvais qui restent, les velléitaires. Les autres en sont partis depuis longtemps". Il y a pourtant un peu de ça. Et, pour citer une expérience vécue, malheureuse, dans les Corbières, j'en ai l'illustration: sentant le vent tourner, les plus malins se préparent à quitter le navire; qui pourrait leur donner tort?
Il existe bien sûr des success stories qu'on se passe en boucle comme des vieux films mais les belles histoires dans ce système sont fortuites, fondées sur des rencontres, et s'apparentent à des embellies, à des coups de chance; d'une certaine façon, ce sont des exceptions qui confirment la règle de cet univers pas très gai, aux bâtiments un peu crados avec des bagnoles mal garées devant. Le kolkhoze gagne toujours à la fin. Car la coopé est un monstre froid, désenchanté, qui n'en a rien à foutre de l'amour du vin.




Commentaires

  1. Et pourquoi pas ? C'est un produit alors industriel, un vin industriel comme il y en a dans tous les pays, de l'Allemagne à l'Espagne en passant par l'Australie, un produit comme un autre simple et bon marché comme certains fromages italiens ou le lait britannique, etc etc.
    Tout le monde ne peut pas boire du Rayas tous les jours et rouler en Porsche, il en faut pour tous, producteurs comme consommateurs. Il ne me tarde pas le temps où le vin français ne sera qu'un produit de luxe, réservé à une élite (forcément à MAJORITE étrangère...). On y va, pourtant... et ça vous branche ?
    L'hyper-individualisme et la constante recherche de la maximisation des profits n'est pas forcément une solution viable pour tous et sûrement pas bénéficiaire au consommateur (à tous les consommateurs).

    On peut reprocher aux ouvriers d'être des ouvriers (vous croyez que votre bagnole est faite par des mecs passionnés ?) et rêver d'un monde composé uniquement d'artisans haut de gamme, mépriser les autres c'est assez facile au fond, mais ça fait pas avancer et ça ne nous élève pas...

    Tom B.

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    1. Tom, entre le vin industriel, fait avec des produits, des méthodes et des raisins bizarres et le vin hors de prix, il n'y a pas un juste milieu? Qui plus est sans parfum menthe ou mangue?…

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    2. Est-ce que la paille est livrée avec ?

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  2. Là aussi, il y aurait peut-être quelque chose à réformer dans ce modèle des coopératives...
    En attendant, je m'en vais déboucher une quille du Domaine Demeure-Rolle, un côtes du Forez comme on aurait en trouver plus souvent.

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  3. Bonsoir Vincent,
    Fidèle lecteur, je ne digère pas la dernière phrase de ce billet . C'est vraiment dommage...

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    1. J'en suis désolé, Jean-Marie. C'est malheureusement du vécu. Vécu sur lequel je préfère rester sobre et évasif, je pourrais en écrire des romans qui ne relèveraient malheureusement pas de la fiction.

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    2. Des romans noirs, où l'humain est englouti par le monstre froid.

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