Le cochon, la soumission, la religion.


Le web a parfois un côté Cour des miracles. D'un ou deux clics, on se retrouve projeté dans de drôles d'espace-temps. Quelque part entre la mauvaise série américaine, l'hôpital psychiatrique et le bad trip au LSD. Vous savez, le type qui vous parle très sérieusement, images à l'appui, d'un complot ourdi par les Illuminati, E.T. et la comtesse de Cagliostro initiée aux grades secrets par le dernier dépositaire du Protocole des sages de Sion*…
C'est ainsi que je suis tombé la semaine dernière, en pleine effervescence islamo-machin-truc, sur un article qui m'a semblé assez hallucinant. On y expliquait que les vénérables Presses universitaires d'Oxford recommandaient désormais d'éviter à leurs auteurs de faire référence au cochon, au bacon ou aux saucisses dans les futures publications éducatives destinées aux enfants.
Je me suis frotté les yeux, comme nous n'étions pas le 1er avril, j'ai bien vérifié s'il ne s'agissait pas d'un de ces gags journalistiques tendance Gorafi, même pas! En même temps, le journal qui annonçait l'information n'était autre que le Washington Times, le cousin démoulé trop chaud du Post, alors… Pourtant, cette nouvelle hallucinante, je l'ai retrouvée en Angleterre, dans le Daily Mail (pas la Bible non plus), puis ailleurs, dans les "quotidiens sérieux" comme le Guardian


Branle-bas le combat en Grande Bretagne où les gamins apprennent à parler avec Peppa Pig! Les Presses universitaires d'Oxford se justifient et assurent ne "pas interdire complètement les cochons ou le porc dans ses livres" tout en précisant que leurs "produits sont vendus dans près de 200 pays**" et "à cet égard [elles] encourag[ent] certains de [leurs] auteurs de matériel pédagogique à prendre en compte les différences et sensibilités culturelles". Une sorte d'incitation soft, insidieuse, à l'autocensure, quoi. Encore un petit pas, anodin en apparence, vers le reniement.
Eh bien moi, comme beaucoup je pense, ce genre de comportement, cette attitude polie, trop polie, ce silence gêné vis-à-vis d'une religion (l'Islam en l'occurrence***) qui vient se mêler de ce qui ne la regarde pas nécessairement, j'en ai ras le bol. Cette attitude, le silence gêné qui va avec, ce silence peureux m'emmerdent, puent l'esprit munichois et n'aboutissent qu'à des défaites.
Entendons-nous bien, je n'ai pas le cochon revendicatif. Pour la plupart d'entre nous, Français ou Européens "de souche", manger du porc, ce n'est pas un acte religieux ou politique: c'est juste une façon de nous nourrir conforme à une culture qu'on nous a transmise, à des recettes de cuisine, à un goût, à des usages agricoles, à notre histoire.
Devons-nous changer ça sous prétexte que peut-être, on ne sait jamais, certains seront choqués, indignés, révoltés, se sentiront insulté, salis, bafoués? Non. Devons-nous nous soumettre****? Non.


Pour en rester sur ce très anecdotique exemple du porc, n'oublions pas quand même, alors qu'on veut expurger les manuels anglais du bacon et des sausages, qu'il s'agit de la viande la plus consommée au Monde (source FAO) et en France. Qu'il s'agit, outre d'un des piliers de notre patrimoine gastronomique, d'une viande d'un bon rendement écologique, meilleur par exemple que le bœuf, et économique.
Ça me fait d'ailleurs penser à cette histoire des cantines qui revient régulièrement sur le tapis et dont certains font leur miel: simplifions! Comme à la maison, il est normal qu'on serve du cochon une ou deux fois par semaine dans les cantines, les mess, les restaurants d'administration ou d'entreprises publiques. On n'oblige personne, mais ça n'a pas à être négociable, et je vois mal pourquoi ce genre de lieux seraient dans l'obligation de proposer un plat de substitution au porc et d'en supporter le surcoût (il s'agit de services publics facultatifs). Après, si pour un commensal le fait de ne pas manger de saucisson, de filet mignon ou de jambon est fondamental, rien de dramatique, il se rattrape sur l'entrée, il mange du pain ou un bout de fromage en plus. Où il déjeune ailleurs. Dans la vie, c'est plus souvent au menu qu'à la carte.
Alors, je sais que pour avoir osé faire l'apologie du cochon sinon rien, on va me ressortir les mots de à la mode, les amalgames***** et tout ça, qu'on va me donner des leçon de respect… Que l'on respecte d'abord les lois héritées des Lumières, un des plus précieux éléments de notre patrimoine! Quant à la religion, il y a des lieux pour ça.




* Juste pour le plaisir, si vous ne l'avez pas lu je vous offre ce billet du Journal d'un abruti fini, un des blogs de Mediapart. Ça fait du bien.
** Ce qui peut sous-entendre l'argument selon lequel cela risque de priver de support éducatif des enfants de pays soumis à la loi islamique. Mais doit-on pour autant imposer le "manuel hallal" pour tous?
*** L'Islam que l'on ne doit pas stigmatiser (encore un mot à la mode) mais qui a besoin d'un sérieux aggiornamento comme l'écrivent certains de ceux qui le pratiquent et le connaissent le mieux. Je vous invite à lire cette interview du théologien Rachid Benzine dans La Croix ainsi que cette Lettre ouverte au monde musulman du philosophe Abdennour Bidar. Très loin en tout cas des délires que l'on lit quotidiennement en provenance de cette religion, tenez, comme celui-ci sur l'interdiction des bonhommes de neige.


**** Tout cela nous amène donc à ce titre, Soumission (il faudra bien en parler un jour). Et à cette question que je me suis posée: quel est donc "le crime" de Houellebecq? Comme des dizaines de milliers de personnes, muettes la plupart, j'ai lu son livre, celui par lequel "le scandale est arrivé". Le livre de ce type dont on se moquait avec des blagues de prof de gym, avant que "tout le monde" ne devienne Charlie. Tout juste si l'on n'a pas sous-entendu que Houellebecq était la cause de tous les malheurs de la France. Ce serait si simple, si pratique. J'ai donc lu Soumission. Pour ce qu'est ce roman, intrinsèquement, mais aussi par rapport à ce qu'il allait susciter. Sur ce second point, les massacres de Paris lui ont, dans un premier temps, "coupé ses effets".
Et de quoi était-il question dans Soumission? Au delà de ce procès en sorcellerie pour islamophobie, celui-là même qui était administré il y a quelques semaines encore contre Charlie-Hebdo. De cette volonté de se coucher, de la description romanesque de l'absence "d'esprit d'État" chez des politiciens absents, veules, et du mimétisme de ceux sensés les décrire, de leurs valets. C'est d'abord de cette soumission-là dont il était question, qu'on a malheureusement parfois déjà connue dans l'Histoire de France. On peut comprendre que certains n'aient pas aimé la description qui était faite d'eux.
***** À propos d'amalgames, lisez la liste d'Onfray dans Marianne.

PS: les images qui illustrent cette chronique sont tirées des "photos de photos", celles de Jason Lowe pour le livre de mes camarades Fergus Henderson & Trevor Gulliver, grand amoureux comme moi du cochon et de l'art de vivre qu'il implique. Pour ceux qui ne l'ont pas lu, ici un texte sur leur mythique restaurant londonien, le St. John, juste à côté du marché aux viandes de Smithfield.



Commentaires

  1. Guillaume Gondinet20 janvier 2015 à 07:12

    C'est fondamentalement ça, Vincent: l'esprit munichois qui prédomine en Europe. Que dire quand on lit que 40% des Français sont prêts à renier leur liberté d'expression pour avoir la paix ?
    Mauvaise impression que de voir l'Histoire se répéter, et sentir qu'elle tend vers une suite inéluctable: tensions, mobilisation, conflit, désastre, désagrégation...et homme providentiel pour la reconstruction ? Dieu que j'aimerais qu'on évite d'en passer par-là.

    RépondreSupprimer
  2. Il y a tant de vagues et de fumée
    Qu'on arrive plus à distinguer
    Le blanc du noir
    Et l'énergie du désespoir
    Le téléphone pourra sonner
    Il n'y aura plus d'abonné
    Et plus d'idée
    Que le silence pour respirer
    Recommencer là où le monde a commencé

    Je m'en irai dormir dans le paradis blanc
    Où les nuits sont si longues qu'on en oublie le temps
    Tout seul avec le vent
    Comme dans mes rêves d'enfant
    Je m'en irai courir dans le paradis blanc
    Loin des regards de haine
    Et des combats de sang
    Retrouver les baleines
    Parler aux poissons d'argent
    Comme, comme, comme avant

    Y a tant de vagues, et tant d'idées
    Qu'on arrive plus à décider
    Le faux du vrai
    Et qui aimer ou condamner
    Le jour où j'aurai tout donné
    Que mes claviers seront usés
    D'avoir osé
    Toujours vouloir tout essayer
    Et recommencer là où le monde a commencé

    Je m'en irai dormir dans le paradis blanc
    Où les manchots s'amusent dès le soleil levant
    Et jouent en nous montrant
    Ce que c'est d'être vivant
    Je m'en irai dormir dans le paradis blanc
    Où l'air reste si pur
    Qu'on se baigne dedans
    A jouer avec le vent
    Comme dans mes rêves d'enfant
    Comme, comme, comme avant
    Il parle aux poissons d'argent
    Et joue avec le vent
    Comme dans mes rêves d'enfant
    Comme avant

    Tom.

    RépondreSupprimer
  3. au cas ou vous ne connaitrez pas encore : http://lecochonforestier.fr/

    RépondreSupprimer
  4. Verse à boire !

    Dis-moi : « voilà du vin ! », en me versant à boire.
    Mais surtout, que ce soit en public et notoire.
    Ce n’est qu’à jeun que je sens que j’ai tort.
    Je n’ai gagné qu’en étant ivre-mort.
    Proclame haut le nom de celui que tu aimes,
    car il n’est rien de bon dans les plaisirs cachés.
    Abou Nawas, poète arabo-persan (v750-815)

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés