La photo qui ne ment pas.


Nous somme juste après la Seconde Guerre Mondiale, en 1945, à Cavignac, à l'est du vignoble de Blaye, sur la route des Charentes. Cet homme est un vigneron nous dit la notice. Nous sommes apparemment aux beaux jours, peut-être aux vendanges de ce millésime historique pour le Bordelais. De la jeune fille à la chevelure noire ornée de fleurs qui lui sert le vin (dans une bouteille bourguignonne), je ne sais rien. Pas plus que de son voisin de table, rigolard. Ils rient, sourient,  rescapés qu'ils sont des cendres de l'Europe.
Cette photo sent le travail, la sueur, la terre. La terre qui "ne ment pas" pour reprendre les mots d'un militaire déchu dans le procès doit se dérouler à peu près à la même époque. Cette photo non plus ne ment pas. Elle nous dit juste la subjectivité de celui qui a appuyé sur le déclencheur, cette tendresse sans mollesse, cet humanisme qui caractérise l'œuvre de Willy Ronis.


Par parenthèse, il ne s'agit pas de l'unique travail de Willy Ronis sur le monde de la viticulture*. On lui doit également une série prise par hasard à Eguisheim, au Domaine Émile-Beyer. Il illustra même le catalogue d'un négociant jurassien de Lons-le-Saunier, Sagravin. Et comme son copain et collègue de chez Rapho, Robert Doisneau (auquel on doit le tête-à-tête ci-dessous dans un café de la rue de Seine), il immortalisa les bistrots parisiens d'après-guerre, quand les deux seules unités de mesure connues étaient le ballon de rouge et le demi.


Fils d'un émigré juif d'Odessa et d'une pianiste lituanienne, juive elle aussi, Willy Ronis fut un des plus remarquables photographes français du XXe siècle, une légende discrète. Il nous a quitté** il y a cinq ans. Ce cliché du vigneron de Cavignac, comme tant d'autres, celui du gamin de Paris, des amoureux de la Maison Mestre à Ménilmontant, dit, témoigne. Et remplace aisément de longs discours.


Juste un mot cependant pour que nous n'oublions pas, au delà de cet hommage et du vigneron de Cavignac, qu'à notre époque vivent (survivent ?) les enfants de Willy Ronis. Chaque jour, ils créent (tentent de créer). Pas facile en des temps où la photo est devenu gratuite. Où l'on confond l'instané numérique sorti de l'iPhone et un travail fouillé. Où le droit d'auteur est décrit, moqué comme une faribole passéiste, désuète, par un drôle d'attelage composé d'ultra-capitalistes cupides et d'alterno-gauchistes inconséquents.
Ce sont pourtant eux, les auteurs d'aujourd'hui, les enfants de Willy Ronis, artistes ou reporters ou les deux à la fois, qui, je l'espère, offriront aux générations futures ces photos qui ne mentent pas. Ces photos dont l'aura est telle que nous, Français, continuons d'en toucher les dividendes.
Les photographes d'aujourd'hui, bourrés de talent, il faut les faire travailler! Quand je vois par exemple la piètre qualité, la médiocrité, pour ne pas dire la ringardise, de l'iconographie proposée pour sa communication par l'immense majorité des propriétés viticoles, je me dis que, dans ce domaine notamment, il y a de la place pour la qualité et la créativité! Il suffit de le décider et de s'en donner les moyens.




* Si le sujet vous intéresse, sachez qu'une autre photographe, Janine Niepce, complice elle aussi de Willy Ronis chez Rapho, a consacré de nombreux reportages au vendanges. On peut voir une partie de son travail dans ce livre, Les Vendanges, paru en 2000 chez HOËBEKE, dont est extraite la photo ci-dessous.
** Un triste hasard veut que cette chronique, écrite depuis un bout de temps sorte alors qu'on apprend la disparition d'un autre grand photographe, le Suisse René Burri. Né à Zurich en 1933, cet ancien de Magnum était, comme le rappelle Le Monde, "connu pour ses reportages d'actualité, couvrant notamment les guerres de Six Jours, du Kippour, du Vietnam ou encore la crise de Cuba, ainsi que pour ses portraits, dont les plus connus sont ceux de « Che » Guevara et de Pablo Picasso".




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