C'était mieux avant…


Une des ces soirées où l'on boit un peu trop sur la terrasse. À Barcelone aussi, septembre est le mois le plus tendre… On boit, on mange et l'on discute. Puisqu'il y a un amateur de vin, un vrai connaisseur discret, ami intime des Roulot et de Maxime Magnon, on s'esclaffe évidemment au sujet des âneries (mensonges ou ignorance?) que la télévision publique française va diffuser lundi soir à propos des vignerons français. José, cet œnophile est un esprit cartésien, il se pose une question simple, évidente: "mais il n'y a pas un rédacteur en chef pour contrôler ça?" Oui, tout cela est assez étrange…


Le repas suit son cours, excellents anchois de L'Escala, pour une fois. Fondants, pas trop salés. Pourtant la marque la plus banale. Étonnant. Pour dire la vérité, la conserve est un peu vieille, périmée de deux mois, ça aide! Combinaison classique avec le pain de Baluard amb tomàquet, bien aillé, beau contraste avec la petite burrata des Italiens du quartier, le poivre vient du Kérala (grâce à Inde, deux, trois), l'huile d'olive arrive directement du Priorat. Mais l'accord superbe c'est avec cette bouteille offerte par ma copine Malena Fabregat, Uruguayenne tombée amoureuse des vignobles de l'Ouest de la péninsule ibérique. Tenez vous bien, c'est un vinho verde, vous savez, le vin que les carreleurs portugais buvaient au goulot (non, Georges, pas la tête!). Ce blanc issu du cépage loureiro est d'une vivacité idéale en début de repas, 11% vol. au compteur, ça se boit comme de l'eau, mais en plus, ça a de l'esprit. Et sans ce côté entêtant, exubérant de la plupart des albariños voisins. Aphros Ten, ça s'appelle, et en prime, c'est bio!


Alors là, je repense à un des leitmotivs de Saint-&-Millions Business, ce c'était-mieux-avant lancinant, ces appels incessants à une tradition rêvée, à cette pensée finalement réactionnaire, assez franchouillarde, qui, je le disais, m'évoque une étiquette seventies de Patriarche ou de Chaussée aux Moines. Ou une pub Cochonou (bien d'chez nous, mais un peu chinois sur les bords, lisez ce que j'écrivais hier). Une pensée, qui, peut-être pour faire carburer un fond de commerce, à la façon du communisme des années cinquante, a des trous de mémoire. Et oublie par exemple qu'à la vigne aussi, les surfaces bio sont en augmentation constante. À Bordeaux y compris*.
Oui, c'était mieux avant… Tiens, prenons le vinho verde: vous voulez en reboire, vous, du vinho verde "comme avant", du "traditionnel", dans ses bouteilles style basquaise que les pauvres Portugais essayaient de nous fourguer par l'intermédiaire du pousse-caddie. À part de grands sentimentaux (insensibles en revanche au mal de crâne), peu de consommateurs s'y laissaient prendre à deux fois!


Tiens, et en Galice (la bouteille suivante), c'était mieux avant? Mieux ces "blancs à coquillages" dont on se régalait sous Franco. Tiens, en Espagne aussi, c'était mieux avant?
Alanda 2011, du grand Jose Luis Mateo, un des défricheurs de cette nouvelle Galice où se ruent les jeunes loups du vin européen. Impérial sur les rougets vendangeurs (pas vidés évidemment), juste grillés, tourne et retourne, à la plantxa. Bien sûr qu'on a du jadis trouver de jolis jus au Royaume de Galice, le patrimoine ampélographique y est formidable, la terre rude mais bonne, le climat favorable à la fraîcheur. Mais allez donc voir ce qu'on y fait depuis une poignée d'années. Et ce qui arrive! Ce sera mieux demain…


Peut-être pour nous mithridatiser, j'ai eu la diabolique idée, sur les côtes de vache de Galice**, de servir à mes amis du Bordeaux. Oui, vous savez, ce vin maudit, ce poison industriel dont on parle dans Saint-&-Millions Business. Papin, P-A-P-IN. Du 2011, jeune, pour que tous les résidus de "pesticides" soient encore bien actifs, qu'un cancer moraliste, vengeur, nous tombe vite sur le coin de la tronche!
Xavier Landeau, qui nous sort chaque année un jus sublime de ses petit-verdots, je l'ai regardé travailler sa terre. Avec sa force et son intelligence. Je l'ai admiré. Et je ne sais vraiment pas si dans ses vignes de Saint-Vincent-de-Paul et d'Yvrac, c'était mieux avant. C'est en tout cas sublime aujourd'hui. Et dans ses bouteilles aussi.


Comme on avait quelques kilos de viande (la vache, ça fait des petites côtes, donc il a fallu en tailler plusieurs), on a ouvert d'autres bouteilles de rouge. Et j'ai continué au presque-poison. Du coteaux-du-marmandais de Cocumont, mitoyen de la Gironde, du Chante-Coucou 2010. Madame Saporta, vous voulez en re-goûter des vins du Marmandais bons comme avant? Comme avant Élian Da Ros? Bon courage, mes chéris! Au passage, même s'il n'est pas viticulteur à Volnay, cette oasis de pureté du vignoble français, allez lui en parler à Élian, des produits chimiques à la vigne…


"C'était mieux avant", Emmanuel Reynaud, ça, ça a du lui siffler dans les oreilles. À Rayas en tout cas. Je l'ai moi-même pensé à la sortie de ses premiers millésimes à Châteauneuf-du-Pape. Oubliant au passage que le vieux, s'il avait sorti quelques grandissimes bouteilles tels ses 78 et 89, il nous avait aussi offert de sacré rossignols!
En revanche, ce côtes-du-rhône 2010 de Château des Tours est un délice. Ne faites pas comme moi hier, donnez-lui de l'air beaucoup d'air, et surtout attendez-le cinq ou six ans: quelle délicatesse! Quel équilibre! C'est peut-être parce que chez Reynaud, il y a un truc qui est encore "comme avant" (humour), le terminal carte-bleue est toujours en panne…





* Pour en voir, en dénoncer de l'horreur chimique, des "sagouins" comme le dit Jean-Luc Thunevin dans Saint-&-Millions Business, des types qui rament à contre-courant, peut-être eût-il fallu aller chercher ailleurs, aller notamment fouiller les puantes entrailles du kolkhoze, le monde de la coopération où, généralement, le coopérateur de base se tape comme de son premier bidon de Round Up de la finalité du raisin. Mais, politiquement, c'était moins correct que de balancer sur les riches…
** 23€ le kilo, à la boucherie Cinta, au Mercat de la Concepció, bravo José! Et puis, ça fait français, parisien, chic, de manger de la viande de Galice. Remarquez, ici,c'est ça ou de la merde locale, ou du bœuf du Nebraska, donc…


Commentaires

  1. T'as raison Vincent, c'était pas mieux avant. T'imagines? On lisait L'Esprit du Sud Ouest et on mangeait à La Rôtisserie des Carmes. Heureusement, tout ça est derrière nous.

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    1. Oui, heureusement. Enfin, pour l'homme au sourire de cochon (Alain Chabrier) de la grande époque, j'ai quand même quelques regrets…

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  2. J'aimais bien manger à la Rôtisserie des Carmes.
    Vendredi dernier, j'ai cela dit fait aussi un très beau dîner chez Simon Carlier, SOLIDES ayant remplacé la rôtisserie.
    Longue vie à cette équipe de jeunes passionnés.

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  3. Vincent,

    A l'occasion de l'AG du club IVV, Simon nous a accueillis avec une vingtaine de magnums (Cotat, Lenoir, Drappier, "pas besoin d'être Jérémie - une autre route" 2011, ...).

    J'ai écrit ces quelques mots :
    1. Œuf mollet, crème de céleri, cube de caviar, feuille de caviar : Simon Carlier s’est amusé à définir cet ensemble intéressant, avec cette odorante poutargue de caviar de Petrossian. L’ensemble fonctionne assez bien.

    2. Saumon fumé de Pétrossian, crème d’artichaut, brunoise de cornichons, girolle, crème végétale de yuzu, œufs de poisson volant (tobiko) : on sent ici une volonté créative mais selon moi, le plat manque de cohérence en partant dans trop de directions à la fois (cela me rappelle un plat dégusté il y a quelques années chez Franck Rénimel - restaurant toulousain « En Marge » - ou encore quelques envolées de Pierre Gagnaire - qui il est vrai retombe parfois miraculeusement sur ses pattes). Manque de lisibilité et d’épure, donc (et un côté gadget avec ce tobiko vert – au wasabi ?).

    3. Volaille élevée comme en Bresse et vin jaune, petits légumes : j’ai trouvé ici un plat simple et bon, construit sur de nobles produits. Impeccable cuisson pour moi mais l’envoi de plus de 20 assiettes a un peu compliqué la donne pour certains convives (trouvant une cuisson sensiblement trop appuyée).

    4. Fromages de chez Xavier – Verticale de Brie de Meaux en 3 affinages (jeune – 3 mois – 6 mois)

    5. Tarte au citron, crème végétale de citron (soja), gelée d’agrumes, éclats de pistache : un beau dessert gourmand.

    En conclusion :
    Un très bon moment, accueil par une équipe jeune, dynamique (il faut cela pour affronter un tel groupe, si bruyamment dissipé).
    On sent dans cette nouvelle adresse une vraie intention de créer, avec de beaux produits. Une généreuse volonté de faire plaisir (et de se faire plaisir). Cela est fort appréciable. Nous reviendrons !

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    1. Tant mieux !
      (en revanche pourquoi vingt assiettes ont compliqué la donne?)

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    2. Le saumon fumé etc, en revanche, sur le papier, je m'en passe. Quelle accumulation!

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  4. Pas assez de place, je suppose, pour amener en même temps tous les plats aux bonnes cuissons et température.
    C'est ce que regrettait Simon dans la discussion qui a suivi ce repas.

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    1. Vingt personnes, quand même, dans un restaurant, ce n'est pas grand chose !

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    2. 20 personnes qui prennent le même plat dans le même timing ...

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    3. Justement, c'est mille fois mieux que vingt personnes qui prennent en même temps des plats différents!

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  5. Simon lira probablement ce post et te répondra peut-être lui-même ...

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    1. Pourquoi pas. Mais ça ne m'empêche pas de dormir même si ça m'étonne.

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  6. Vive la modernité! Vive demain! Allons-y encore plus vite si possible! Une époque formidable! Merci pour ce texte! Et plus de futur, toujours plus et toujours plus vite! C'est génial!

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