La croisière s'amuse !


La vie n'est pas un long fleuve tranquille. Plutôt un torrent pyrénéen, avec ses sautes d'humeur. Ou quelque chose qui s'apparenterait à la haute mer, qui n'est pas toujours d'huile, qui tabasse parfois, qui réserve au marin son lot d'imprévus, malheureux ou joyeux.
Là, au début du mois de juin, je me préparais à aller amarrer sur Garonne (qui n'est pas non plus un long fleuve tranquille*), au port d'Auvillar où, sous les platanes, pour arroser le toro brave et la truffe noire, le vin des copains coulera à flots cet été. Et, chemin faisant, c'est un vieux frère qui me glisse entre deux verres de syrah du Minervois: "j'ai acheté un bateau en Hollande, viens avec moi le convoyer". Je regarde l'agenda, c'est un peu compliqué, mais, à L'Horloge, je sais que le Chef est prêt, je sais aussi qu'un peu d'air ne peut pas me faire de mal.
De ce voyage dans la lenteur, de cette parenthèse, je vous ramène une "soirée diapos", à l'ancienne, pour rafraîchir votre début d'été. Cap au Nord!

La première étape (il faut bien en passer par là!) mélange le fer et la route. Chargés comme des Marocains de retour au bled, il nous faut "monter" en Haute-Marne, rejoindre l'intermédiaire, celui qui traite avec les Bataves. Juste avant de passer le Rhône, on récupère un marinier à la retraite, Garri, un gamin de Douai, Ch'ti pur jus. Rendez-vous à Chamouilley, un petit bled au bord du canal latéral à la Marne, près de Saint-Dizier, dans une ancienne usine qui aurait séduit Beineix. Le bistrot a l'accent traînant, ambiance Picon-bière; dans la salle-à-manger attenante, on se régalera d'un délicieux pinot noir venu en voisin de Toul, un 2012 (meilleur encore que le 2011 de la photo) tellement pinotant qu'on en achètera quelques bouteilles pour garnir la cave du bateau. Cuisine quelconque mais très beau plateau de fromages du plateau de Langres.


Lever à l'aube. En cette année du centenaire du début de la grande Boucherie, on remonte la Voie sacrée, le cœur serré en pensant à ces paysans qui partirent au charnier, sans espoir de retour. Souilly (le QG de Pétain), Verdun, les reliques des tranchées, les cimetières, croix noires, croix blanches, héros malgré eux, pauvres types, morts ou vivants, leur vie sera broyée. Il faut que je relise La Comédie de Charleroi, ce roman de Drieu qui en racontant la Première explique (presque…) les choix de certains durant la Seconde.


Sans qu'on s'en rende compte, la Belgique arrive, en remontant la Meuse. Un peu fade au début. Heureusement, les Ardennes, avec leurs vallées profondes viennent mettre du relief à tout ça. Comme on s'est levé tôt, l'envie de frites commence à se faire sentir vers dix heures, trop tôt! Mais au passage, je découvre à Aywaille, au bord de l'Amblève et de l'A26, un aimable crémier, à l'enseigne de La Cave du Fromager; on se régalera notamment de la production locale, typée, de Herve et d'ailleurs. Bravo les Belges!
Évidemment, du côté de Liège, pour arroser ça (de vin ou de bière), je me serais bien arrêté à Saint-Georges-sur-Meuse pour saluer la reine des suffragettes pinardières, Sandrine Goeyvaerts, caviste et blogueuse consacrée. Las, le reste de l'équipage est intraitable, cap sur Maastricht. La Pinardothek, ce sera pour une autre croisière, les Pays-Bas nous attendent.


Cap au nord, écrivais-je. De fait, c'est dans les zones septentrionales de la Hollande que nous attend le bateau. Aux confins de la Frise, à Elburg, coquette petite cité balnéaire visiblement prisée par la bourgeoisie d'Amsterdam. Tout y est propre, parfait, les maisons pimpantes, fleuries, charmantes sans ostentation, les supermarchés sont camouflés (prenons-en de la graine en France, nous les spécialistes des verrues d'entrée de ville!), on y sent comme un petit air scandinave. La mode est à la laine, épaisse, aux chandails…


Ça, c'est pour le tourisme. L'aspect nautique est un peu moins étincelant: à notre arrivée, le bateau trône au milieu d'un vaste parking, sur cales. Peinture pas finie, révisions moteur et électricité en cours, rafistolages à la va-vite… On nous avait prévenu, en matière de commerce (surtout nautique), le Hollandais est coquin, malicieux.
Impossible donc d'envisager la mise à l'eau avant le lendemain midi. Au mieux. Je ne sais pas si vous avez déjà dormi dans un bateau posé en équilibre sur des bouts de bois à cinq mètres du sol mais c'est une expérience intéressante, surtout par vent du Nord…
Donc, on nous prête des vélos (dont un vénérable Cortina Tranport, celui des coursiers d'Amsterdam), histoire d'aller manger un stew et boire quelques bières au port.


Comme il se doit, les travaux traînent en longueur. Ça me laisse le temps d'enfourcher le Cortina et de filer du chantier naval au village pour ravitailler. Pas question de partir les cales vides! Poissons fumés, saucisses, beurre, pain, patates, bière… on se la joue locale.
Et puis, on fouine dans les immenses hangars d'Elburg Yachting. Des milliers de mètres carré! Plus de choix encore qu'au Salon de la Plaisance, dans tous les styles, du remorqueur XIXe au voilier de rêve en passant par une vieille coque en bois qui sent encore le Bosphore.

Et, enfin, dans l''après-midi, alors que les dernières emplettes (cartes, gaffes, gilets…) sont terminées, le Sylla, c'est le nouveau nom du bateau officiellement frappé sur sa coque), va goûter à l'eau saumâtre du chenal. Opération de force et de précision, trente tonnes sur la balance.
Car, oui, c'est un gros bateau. Et à moteur qui plus est, deux Volvo de quatre-cents chevaux. Moi, ça me fait un peu bizarre, parce que le frérot je l'ai toujours plus connu à la voile qu'à la vapeur, amoureux fou des "rois des mers". Et voila qu'il ressort sa veste de quart pour me parler de gazole et de canal!
L'explication, pourtant est simple: Sylla sera sa nouvelle maison**. Les murs, les toits, les portails, il n'en veut plus pour le moment, du bâti, il veut prendre le large, respirer un peu. Non pas qu'il ait le mal de terre; la terre, elle va continuer à lui coller aux godasses, mais celle, pure, de ses vignes du Minervois. Le reste, les commérages, les vilénies, les jalousies de village, les délires cyniques du petit Peppone local (un des révolutionnaires aussi mondains qu'approximatifs auxquels on doit le nouveau sac de Béziers…), il les laisse sur la rive. Il largue les amarres.
Sa nouvelle maison, qu'il est allé trouver en Hollande, là où l'on navigue comme on respire, là où l'on naît une barre à la main, nous allons donc la ramener à bon port.

                                                                                             (à suivre…)


* Garonne ma fait immanquablement penser à deux chansons. D'abord celle de Jehan, Gare à la Garonne, écoutez-la ici. Puis, celle du pauvre Claude, C'est une Garonne, dans son enregistrement au bord du fleuve.
** Celle de sa fiancée en fait qui a cassé sa tirelire.

Commentaires

  1. Le "hervlon", comme pas mal d'autres Herve, se déguste volontiers avec une pâte (sirop de Liège) obtenue, sans sucre ajouté pour les meilleures, au départ de pommes et de poires. Une marque artisanale de renom s'appelle ... Charlier. C'est un patronyme courant en principauté et nous ne sommes pas apparentés. Pour être franc, je goûte TRES modérément le Hervé (comme d'ailleurs le Maroiles, les Epoisses et le Munster avancé). Les cultures de staphylocoques bien puants, ce n'est pas mon truc. Mais, comme on dit là-bas: "Oun boudet qui fé à s'mode, c'est l'mitan de s'nourriture!".

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