Le restaurant de poisson barcelonais?


Parmi les très nombreuses demandes d'adresses barcelonaises que je reçois quotidiennement*, il y en a une, récurrente, surtout à l'approche de l'été, c'est celle du restaurant de poisson. Où manger des produits de la mer dans la capitale catalane?
Parce que sur le papier, ça paraît simple. Si l'on se balade dans les "bons" marchés, de la marée, il y a ce qu'il faut: belle matière première, variété et parfois même à des tarifs intéressants. Dans les assiettes, en revanche, c'est un peu différent. La célèbre gamba roja arrive généralement congelée de Thaïlande, le thon (de semi-liberté) tache les doigts et sent l'urée, tandis que le turbot, omniprésent, est nourri aux farines dans des piscines industrielles de l'ouest espagnol, au même endroit que le loup-portion. Et, par charité chrétienne, je ne vous raconterai pas les calamars "a la plantxa" bouillis qu'on nous a servis lundi soir dans un bistrot chic: répugnants, dignes de la mangeoire d'une aire de repos d'autoroute française!


Alors, il y a les classiques. Le Botafumeiro (du nom de l'encensoir de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle), long couloir à l'ancienne du quartier de Gràcia, classique mais toujours efficace. Le Suquet de l'Almirall, sur le paseo bondé qui longe la Barceloneta, accueil enjoué, ça reste une bouée de sauvetage au milieu des pièges à touristes. Rías de Galicia, les associés de Ferran Adrià entre autres à Tickets, mais eux n'empoisonnent pas leurs poissons à la chimie… Plus populaire (en apparence), El Quim de la Boqueria, dans le marché éponyme; grande qualité, attention toutefois à l'addition, on peut vite vous prendre pour un Américain si vous taquinez le goujon!
Ce dernier détail (qui n'en est pas un), demeure une des caractéristiques de ce genre de restaurants: quelques gargotes adorées* mises à part, le poisson, ça coûte bonbon. Moins effectivement à Barcelone qu'à Paris, mais plus qu'à Séville ou Valence!


L'endroit dont je veux vous parler aujourd'hui (soyons clairs, mon chouchou), a longtemps été à l'écart des cheminements touristiques, et des guides qui vont avec***. Pourtant, le lieu a une histoire, et pas n'importe laquelle si l'on se réfère au thème de cet article. Els Pescadors, comme son nom l'indique, était il y a plus d'un siècle le point de rencontre des patrons-pêcheurs barcelonais avec les ouvriers désireux de monter à bord, une sorte de bourse du travail informelle, où les hommes vendaient leurs bras. La taverne de la mer, quoi, La Taverna del Mar, pour reprendre le titre de Lluís Llach. Une taverne installée sur une place bizarre, mêlant les origines et les classes sociales ornée par trois arbres (des herbes géantes disent certains botanistes) dont personne ne connait le nom: trois ombús, plantes bizarres, immortelles, indéracinables, de la pampa argentine, gigantesques arbres gauchos, symboles du melting pot de la Plaza Prim.


À l'époque, c'est-à-dire très longtemps avant que les Jeux Olympiques et les fonds européens ne "forcent" Barcelone à se mirer dans la mer, Els Pescadors avait les pieds dans l'eau. C'était la plage, l'extrémité maritime du quartier populaire de Poblenou, "Manchester barcelonais" du XIXe siècle. Alors, dans les bouillonnantes années 70, tandis que le futur Juan Carlos s'apprêtait à "trahir" le Caudillo, tandis que les notables catalans (la photo est aimablement coupée), plus royalistes que le Roi, continuait d'acclamer le mourant, la taverna del mar est devenue un bistrot, accueillant, comme me l'expliqua un jour son propriétaire, toute l'énergie, toute l'envie de changement des jeunes des environs. Puis dans les années 80, le bistrot s'est transformé en restaurant, en restaurant de poisson évidemment, fidèle à sa tradition maritime.


Els Pescadors est un lieu épatant. J'ose le mot, un lieu romantique. En cette saison, après avoir impérativement réservé, amenez-y votre aimé(e) vers vingt-et-une heures trente, quand L'Eixample est encore collant de la touffeur estivale et des fumées de pots d'échappement. Au téléphone, vous aurez demandé une table en terrasse, plutôt du côté de la taberna antigua (sur la gauche); laissez le comedor moderno aux amateurs de design années 90.


Venons au fait. Que mange-t-on, ici, dans ce restaurant sans attachée de Presse? D'abord, puisque c'est l'été ou presque, on se rafraîchit: à cet égard, mon gaspacho vert, marqué par le concombre sans en devenir écœurant, dopé par une superbe huile d'olive de Tarragone, joue parfaitement son rôle. On picore aussi. Des anchois de Cantabrie, de remarquables croquettes aux aubergines, des légumes grillés à la braise de chêne vert…


Le service est impeccable (d'un tel niveau, c'est rare à Barcelone!), classique, sans dressages ridicules; on vous présente le produit au plat, à la poêle et on découpe devant vous, notamment quand vous commandez à plusieurs un gros poisson. L'autre soir, pour les filles, c'était un magnifique besugo, une "daurade rose" comme on l'appelle improprement, cuit sur un lit de pomme de terres fondantes.
Moi, aux Pescadors, mon plat de référence, c'est le suquet, une des spécialités de la maison. Pour les touristes, il s'agit d'une espèce de bouillabaisse catalane, rustique, franche, identitaire, basée sur la vive ou les poissons de roche. J'en ai essayé un dérivé, à la morue: pas mal du tout. En revanche, ne me demandez pas la photo, un bon suquet, ça ne ressemble à rien!


Que boire avec tout cela? La carte des vins est longue, assez illisible avec son mélange d'appellations, de cépages (une chatte n'y retrouverait pas ses petits!) et un peu "vieillotte": je sais que je suis difficile mais j'aimerais y retrouver, quitte à s'éloigner un peu de la Catalogne, des blancs plus incisifs, moins "technos", des vins de Jerez ou de Montilla aussi, capable de se frotter aux belles saveurs de la mer.
Pour le coup, j'ai glissé sur un rouge frais, El Templari 2011 de Bàrbara Forés, sûrement le meilleur vin de Terra Alta, un vieille connaissance que j'évoquais ici dans un millésime antérieur.


Si l'on excepte la carte des vins, aussi bien pour le charme du lieu, pour la qualité du service que pour ce qu'on y mange, Els Pescadors demeure mon restaurant de poisson barcelonais. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à le penser, certains señoritos des hauts quartiers n'hésitent pas à sortir la Mercedes du garage pour descendre à Poblenou pour emmener leur bourgeoise manger un loup, un besugo, un mérou ou une daurade. Parce que oui, la terrasse de la place aux trois ombús vaut vraiment le détour!





* À toutes fins utiles, je vous redonne le lien du mini-guide des restaurants de Barcelone établi à cette intention, il recense, avec les liens correspondants, la plupart des bonnes adresses dont j'ai parlé dans Idées liquides & solides.
** Dois-je vous rappeler l'adresse, même si on n'y sert pas que du poisson, du meilleur restaurant de Barcelone, pourvoyeur de délicieux calamars? Tenez, c'est ici.
*** Par parenthèse, quand je lis ces guides ou ces "reportages", je me demande souvent si leurs auteurs ont déjà mis les pieds à Barcelone…


PS: détail important, Els pescadors est ouvert tous les jours de la semaine, y compris le dimanche; à Barcelone, c'est aussi rare que précieux!


Commentaires

  1. Belle adresse, effectivement...

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  2. Bonjour vincent,
    Je suis loin d'avoir diné dans beaucoup de restaurants de poissons à Barcelone, mais j'ai un bon souvenir de Ca la Nuri, sur la barceloneta, avec une fideua sympa les pieds quasi dans le sable... Et une carte des vins sympa, avec quelques "vieilleries".
    Je me rends d'ailleurs à Séville la semaine prochaine pour quelques jours, je vais fouiner un peu parmi vos pages pour trouver quelques adresses.
    Un grand merci en tout cas pour votre partage, il est précieux !

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    1. Merci, Julien, mais Els Pescadors est vraiment un cran au dessus.

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