Bistrot de village.


"Quand j'étais gosse, dans mon village, il y avait deux bouchers, un charcutier, trois épiciers, un quincailler et cinq bistrots". Ne me la faites pas! Cette phrase, je viens encore de l'entendre. Oui, la plupart de nos villages sont devenus au mieux des dortoirs, au pire des mouroirs. 
Alors, évidemment, les "modernes", les "bien-pensants", ceux qui scribouillent au chaud dans des bureaux préfectoraux ou ministériels, les princes de la lustrine subventionnée, vont dire qu'une fois de plus j'entonne un refrain cidunatiste. Il n'empêche que cette mort du petit commerce marque profondément notre pays, modifie (j'en ai parlé mille fois) sa structure sociale et handicape nombre de ses territoires, jusqu'au point de taguer "no future" sur les moins développés d'entre eux.


Tenter de créer, et au moins de faire vivre un bistrot de village est un sport de barjot. Davantage encore, aujourd'hui, en France, dans ce pays où plus d'un gamin sur deux rêve de retraite et de fonction publique, de congé-maladie sans jours de carence. Dans ce "dernier pays communiste d'Europe". Les besogneux de l'Administration ne sont évidemment pas, malgré le poids mort qu'ils représentent, les uniques responsables de la mort de ces petits commerces qui en terme de Santé publique concurrençaient le curé et faisait au moins aussi bien que le psy remboursé qui leur a succédé: la télé, cette fameuse "boîte à cons", ouvrière à la chaîne de l'individualisme mesquin, médiocre, pavillonnaire a formidablement bien joué son rôle destructeur; la grande distribution, jus de ses couilles sèches, sponsorisée par une la putasserie politicienne, a complété ce Gernika de l'intelligence.


Voila pourquoi, quand on a, dans un village de France (pas un des plus moches) passé une soirée au bistrot, il faut remercier, féliciter, rendre hommage au tenancier. L'autre soir, c'était au beau milieu de l'AOC Saint-Chinian, à Roquebrun, chez Raymond Le Coq. La Cave Saint-Martin n'est pas vraiment une découverte, tout le monde dans le novoMondovino connait ce batave enjoué qui il y a des années nous a régalé de ses anguille fumées. Y retourner, voir que le lieu existe toujours, au milieu de ce Languedoc rongé par les métastases kolkhoziennes, est un bonheur absolu.


Chez Raymond, nous avons bu beaucoup, des litres. De tout. Du bon et du moins bon. Un blanc est-allemand qui sentait la pomme, un délicieux Oiselet, de frétillantes Œillades venues du voisin de l'autre rive de l'Orb, la syrah minérale du "stagiaire", un P'tit Max d'une extrême gourmandise… De la bière, même, avec le poisson fumé. Nous avons bu, nous avons mangé du "cochon heureux", nous avons chanté, fumé, palabré. J'ai même vu un sublime sirtáki du Bénélux réunir Émilien, l'inventeur de L'Envers du Décor de Saint-&-Millions et le maître des lieux. Dans une camionnette débarquée de Fronsac, le calva blanc coulait à flots, la fête battait son plein (avec une seule parenthèse, quand le panneau de Causses-et-Veyran nous a rappelé que le vin n'était pas toujours une fête).


Dans ce bistrot de village, loin des "têtes plates" (pour reprendre une expression locale), nous avons vu, nous, pauvres poivrots, comment une lumière dans la nuit, une enseigne pouvait faire vivre un pays. Le sauver de la mort, de la normalisation, de l'enfer cathodique. Merci, Raymond!





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