En dégustation, le plus fort, c'est Ray Charles!


Nous, à la maison, c'est une habitude, le vin est en carafe (ce qui en plus généralement lui fait du bien), et on le goûte sans savoir ce que c'est. Il ne s'agit pas, sauf de temps en temps, de jouer au singe savant, à la devinette, on se plante parfois admirablement, là n'est pas le problème ni le but. L'idée, c'est tout bêtement de dire ce que l'on pense, et, pourquoi pas, de prendre son plaisir avec une bouteille à cinq euros. Ou, c'est vrai, d'autres jours, de s'indigner devant la faiblesse d'un flacon à prix américain.
Car, quand on goûte du vin, le problème consiste à ne pas être influencé, intoxiqué, dans un sens comme dans l'autre, par l'étiquette et ce quelle implique, en positif ou en négatif. À ne pas goûter avec la mauvaise partie de son cerveau.

Prenons par exemple, un des vins les plus honnis du NéoMondovino, Angélus à Saint-&-Millions®. Plus encore que le jus lui-même, ce qui est détesté, c'est l'image qu'il projette, la morgue de son propriétaire, ce symbole brutal, plaqué-or, du bordeaux rouleau-compresseur qui écrase tout sur son passage.
Cet Angélus, faisons-le goûter à deux personnalités de la vinisphère parisienne: Jacques Berthomeau, blogueur émérite et homme de main de tant de ministres de l'Agriculture; Nicolas de Rouyn, porte-voix numérique du groupe Bettane-Desseauve. Le premier, non sans raisons, conchie cette marque, le second la vénère pour d'autres raisons. Pas besoin de vous faire un dessin, l'un comme l'autre, à étiquette découverte, ne goûteront pas ce saint-&-millions® pour ce qu'il est mais pour ce qu'il représente. Leur jugement sera immanquablement faussé et n'aura donc aucune valeur. Tandis qu'à l'aveugle…


C'est en ça que m'intéresse cette courte démonstration mis en œuvre par des cavistes et pinardiers de la Capitale, des types engagés certes, mais professionnels. La dégustation, puisque c'est de ça dont il s'agit, a d'ailleurs été organisée au Lieu du vin*, chez l'Aveyronnais Philippe Cuq, qui a ses idées mais qui n'est pas un gars borné, capable qu'il demeure de goûter des crus aux profils très différents, des vins de Dany Rolland à des trucs plus en vogue. Sur l'idée de Pierre Bernault du Château Beauséjour à Montagne-Saint-Émilion, il s'agissait de confronter à l'aveugle (on y revient) une de ses cuvées, 1901, à Reignac, un des domaines qui fait parler de lui depuis 15 ans à Bordeaux et, surtout, à ce fameux Angélus, archétype du novobordo.
Une dégustation de ce genre, plus étoffée avait d'ailleurs déjà été réalisée par le Grand jury Européen de François Mauss, vous en avez ici un digest ici relaté par Nicolas Lesaint, du Château Reignac. Les premiers n'avaient pas toujours été les premiers…



Car, vous vous en doutez, dans la petite expérience des cavistes (qui s'est déroulée le 31 mars), ce n'est évidemment pas le coûteux Angélus qui a imposé sa loi. Du haut de ses trois ou quatre cents euros, il arrive bon dernier. Pour plus de détails, référez-vous une nouvelle fois au blog de Nicolas Lesaint.
Philippe Cuq, le caviste du XXe me précise (et je le crois!) qu'il ne s'agissait en aucun cas de "casser" Angélus, "personne d'ailleurs, ajoute-t-il, ne l'a trouvé mauvais". Le but de la dégustation était juste de juger de l'agrément offert par ses vins encore jeunes, en profitant de l'absence de pollution visuelle susceptible de fausser l'appréciation.
Certains répliqueront bien sûr (et ils auront raison!) que cette dégustation n'est que le reflet d'un instant T. Oui, comme toutes les dégustations! De la même façon qu'influe de façon notoire le goût personnel des dégustateurs. C'est également exact, mais comme toutes les dégustations, que les dégustateurs portent des cravates ou des chemises à fleur! D'autant que dans le cas présent, la condition sine qua non pour être "juré" (ils étaient huit au total) n'était pas d'avoir la bouche et le nez, voire les yeux,  formatés au "vin orange" (lequel peut d'ailleurs parfois se révéler excellent). Ce n'était pas non plus une bande de jeunes freluquets à la culture vineuse un peu limités.


En conclusion, je ne vais pas ré-écrire ici ce que j'ai déjà formulé sur l'individualité du goût; si cela vous intéresse lisez ou relisez cette chronique, Le goût de l'autre, qui commençait par une vieille bouteille de Vega Sicilia fichue à l'évier. Nous avons chacun une histoire personnelle des arômes et des saveurs, façonnée entre autres par notre éducation solide et liquide. Comment voulez-vous, pour prendre des extrêmes, que quelqu'un qui a tété le Caca-Cola depuis sa plus tendre enfance ait les mêmes référents qu'un ancien enfant du jus de pomme de ferme? Sans parler des effets de mode, des habitudes, des humeurs…
Bref, je le dis et je le redis, le dégustateur universel, le mètre-étalon du bon goût est un mythe absolu. Goûtez, pensez par vous-mêmes, et n'ayez pas peur de "l'aveugle"!




* Le Lieu du vin se trouve 3, avenue Gambetta 75020 Paris, je n'y ai pas encore mis les pieds, mais encore une fois, je sais que ce type n'est ni prisonnier de la mode, ni des convenances, ce qui n'est pas si courant que ça.

Commentaires

  1. Une sacrée bonne adresse d'après mes correspondants parisiens ... :-)

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    1. nicolas rossignol4 avril 2014 à 18:04

      Pas pour défendre mais , les terroir les plus simples s'expriment toujours mieux les 10 premières années , pour le vieillissement ce n'est pas toujours le cas ... et pour le très vieux vieillissement pratiquement jamais .

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  2. Vincent, Léon le Lev Davidovitch est d’accord avec toi mais quand même. J’a été membre, et un peu électron libre, d’un club de dégustation dans la vallée de l'Agly. Nos réunions se tenaient dans une salle que la mairie prête aux associations. Un soir, le maire lui-même (il venait souvent) a déterminé le sujet du jour: des vins du département à moins de 5 € (deux atteignaient 5,40 €). Il y en avait au moins vingt ... rien que des daubes ! J’ai perdu ma soirée et ne me suis plus réaffilié. Or, le maire en question était prof. à l’école hôtelière de Perpi, est un homme que je trouve sympathique, connaît le vin et c’est un pote à M. Smith.
    Conclusion de ma démonstration : ce que tu veux ... (mais pas du vin à 5 euros TTC !)

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