J'aurais voulu être un artiste…


Une assiette banale, une assiette des années vingt, héritée de mon arrière-grand-mère. Pas de dressage, la poêle est sur la table encore grésillante. Juste ces quelques ris, accompagnés (on fait ce qu'on peut) par une espagnolade, des goulus de contrebande; quelques semaines de plus et on aurait eu droit aux belles asperges de plein champ de Senouillac ou de Gaillac. À défaut, je me serais régalé de poireaux de vigne, de respounjous, de ce qui dit la saison.


Juste quelques ris d'agneau, donc. Ça sent l'Aveyron. Le Ségala, le Lévezou. Ça sent la bergerie. Ça sent le printemps qui arrive à grands pas. On n'y touche pas évidemment à ces ris, on leur épargne l'horrible sacrilège tellement vieillot, tellement has been, tellement XIXe qui consiste à les blanchir. L'agneau bouilli, c'est pour les Anglais! Une poêle brûlante, beurre, graisse ou huile d'olive en fonction de la garniture. Violence du feu vif. Ça doit croustiller, être rosé à l'intérieur. Du temps de l'abbé Aliès, curé défroqué, entreprenant et politicien, amateurs de joutes et de salades de phalanges, il y avait un restaurant, du côté de Belmont-sur-Rance, qui les servait ainsi, en leur exquise nudité, généreusement. Plus tard, Francis Roussel, cuistot rouergat inspiré (et regretté) de Plaisance m'apprit à froisser dans la poêle, en fin de cuisson, une feuille de menthe fraîche. "Juste pour rafraîchir, m'expliquait-il. Parce que si tu perçois le goût de menthe, tu as perdu!"


Franchement, je ne connais pas d'autre façon de manger les ris. Nus. Purs. Sans falbalas. Gorgés du vent des causses. Enfin quand on a la chance d'avoir, retour de l'abattoir, ces ris qui, comme je le disais plus haut, sentent la bergerie.
J'aurais voulu, pourtant, être un artiste, pour pouvoir faire mon numéro… Inventer, innover, créer. Faire cent fois mieux (beaucoup plus cher aussi, et moins abondant, moins frais) que la vieille cuisinière de Belmont-sur-Rance, plus clinquant, plus médiatique que la sobre gastronomie qui sentait la pierre, l'eau de montagne et le sous-bois de ce cher Francis Roussel.


Alors, comme un jeu, je me suis amusé à inventer des recettes à faire se trémousser la volaille qui fait l'opinion. Des accords géniaux, follement extravagants, tellement surprenants, pour réveiller les appétits blasés, l'anorexie latente des faiseurs de modes du Mondogastro, des tenants de cette gastronomie apatride, sans racines, "internationale", cousine greenwashée de ces vins "internationaux" désormais honnis.


Alors, j'ai consulté la bible de la créativité, l'Alpha et l'Omega du tecnoemocional, bréviaire à côté duquel le catalogue œnologique le plus costaud fait figure de profession de foi pour Europe-Écologie-Les-Verts. J'ai réouvert ce fameux catalogue Sosa (n'hésitez pas, cliquez sur le lien, c'est instructif), secret de famille des cuistots modernes. Et j'ai donc rêvé.
Ris/chips de betterave/essence de fumée.
Ris/vapeur d'huître/algue aonori.
Ris/farine d'olive noire/essence d'anchois.
Ris/poudre de pomme verte/café.
Ris/sorbet murasaki-imo/espuma truffe…
Je vous laisse à votre tour rêver sur le graphisme, sur les chatoyantes couleurs de ces assiettes aux cheveux coupés en quatre qui, comme il se doit, arriveront sur table aux trois-quarts vides, et je retourne en Aveyron & autres campagnes. Chez des gens simples, vulgaires, "franchouillards" comme je l'entends parfois avec un rien de condescendance. Je retourne manger. Me nourrir. Loin des usines et de la cuisine techno des chefs de la télé. Je m'en vais dépecer des sangliers. Attendre la saison des truites qu'on attrape à la main et qu'on cuit au vieux lard. Guetter les champignons. Boire du rouge dans des verres Duralex. Serrer des pognes crevassées mais franches. Me rappeler qu'il n'y a "pas de pays sans paysans". Ignorer les petits marquis sans caste. Les artistes sans talent.


Commentaires

  1. Mais comment arrivez-vous à chaque fois à formuler aussi parfaitement ce que nous pensons tout bas sans parvenir parfois à l'exprimer? Bravo!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. je suis d'ac avec vous, j'avoue que c rageant ....

      Supprimer
  2. Quel fumet! Un jour, fatalement, il se trouvera un génie du commerce pour mettre de l'esprit de Vincent Pousson en poudre. Un tablier couleur du temps, un chapeau couleur de ciel, des baskets couleur de terre et puis.... de l'extrait de dictionnaire avec un tour de moulin étymologique et un trait d'humour épicé. ON le vendrait très cher, plus c'est cher, plus il y a de ....clients pour l'acheter. Dieu merci, on profite encore de l'original!

    RépondreSupprimer
  3. Vincent, du poireau de vigne, et de l’asperge sauvage, nous en mangeons à pleines poignées pour l’instant. L’ex-mari de Christine, grand chasseur solitaire (avec son Springer-spaniel qui a fin nez), range sa cartouchière quand la saison de chasse tire à sa fin, mais continue à arpenter la garrigue et ramasse tout ce qui est bon. Il a la gentillesse de nous en offrir. Et nous, quand on y pense, on lui file quelques quilles.
    Pour les ris, je ne te suis pas tout à fait quand tu trouves que leur donner un petit bouillon, cela fait « has been ». Je t’offre ma recette (pour du veau, mais les plus petits animaux font l’affaire aussi) : quelques dizaines de secondes dans l’eau bouillante avec du cerfeuil et un peu de vinaigre blanc, pour pouvoir éplucher les membranes. Puis les escaloper en tranches pas trop fines que l’on pane finement. Et hop, à la friture (huile végétale neutre genre « tempura ») pour bien les dorer. Et je sers avec une sauce tartare. Cela marche avec la cervelle aussi, mais c’est encore beaucoup plus riche en cholestérol !
    Tes recettes, que j’aime aussi, elles doivent avoir la même odeur que ZAZ après un tour de chant : quand la petite ne dérive pas – sans le savoir – vers une droite du genre chasse, pêche et tradition, je lui pardonne ses petits écarts. J’aime les parfums du Rouergue et les poèmes de Paul Fort.

    RépondreSupprimer
  4. Coucou,
    Souvenez vous

    http://www.youtube.com/watch?v=5Mn2j-sKg78

    http://www.youtube.com/watch?v=e2Q8Op7XEIE

    Oui en ce moment plein d'asperges sauvages, de poireaux, et gaffe aux morilles...

    RépondreSupprimer
  5. Les bloggeurs / chefs / critiques allant beaucoup au restaurant, ont besoin de nouveautés, de sensationnels pour s'émerveiller, pour s'enthousiasmer.
    Il est tout a fait possible d'éveiller l'interet de ces differents "acteurs" avec des produits magnifiques mais pour cela il faudrait que ces "journalistes" et meme les cuisiniers passent plus de temps a decouvrir, a apprendre l'histoire de ces porduits. Pour l'instant Instagram et Twitter semblent plus attreyants. La reconnaissance direct et rapide etant plus valorisante aujourd'hui que la connaissance. Mais tu peux faire ce constat dans beaucoup d'autres domaines. La micro information, la puissance de l'image prennent de plus en plus d'importance, c'est enfonce une porte ouverte que de dire cela.
    Il en decoule une evolution des gouts egalement. Cette habitude de l'insipide, des purees, du pre-mache tendent vers une uniformisation des saveurs. Bien malheureusement.
    Et en France vous pouvez vous estimez tres privilegie, bien plus que dans d'autres pays.
    Heureusement il semblent que de plus en plus de personnes se mettent a la production de qualite et c'est bien le plus important.
    L'essentiel est de soutenir ces producteurs.

    Pardon pour l'orthographe et les accents, j'utilise un clavier etranger

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés