Gastronome branchouille? Un boulot pour James Bond!


Juste une petite histoire, comme ça, sur le coin de la table. Vous l'avez sûrement lue dans vos journaux, moi, je l'ai vécue différemment.
C'est l'histoire, donc, de deux gastronomes barcelonais, Rafa et Juan Luis. Enfin, gastronomes, même un peu plus que ça! Rafa est un des meilleurs chefs de la ville, Juan Luis, lui, est un passionné; la semaine, il a un boulot très sérieux dans l'informatique, et le samedi, il vient donner la main à Rafa, en cuisine. Et là, il avaient décidé d'aller faire une virée à Londres, voir des lieux, goûter des trucs différents. Car Rafa a un projet…


En Catalogne, évidemment, on est très impressionné par le classement du World 50 Best Restaurants. Il s'agit d'une pantalonnade, certes, tout le monde ou presque est au courant, mais, après El Bulli, c'est encore un établissement de la région que le World 50 a sacré "meilleur restaurant du Monde". Alors, même si je sais que les deux potes n'y croient pas trop, ils décident quand même, "pour voir" comme on dit au poker (c'est bien de poker dont il s'agit…), d'aller visiter une des génies planétaires de la bande à Nestlé et Monsanto, la star anglaise: Heston Blumenthal. Blumenthal, c'est avec Adrià l'expérimentateur en chef, le chimiste assumé. Contrairement à Adrià qui camoufle sa molécularité, tente vaguement de se repeindre en vert et de nous raconter quelques vagues fadaises sur le terroir, lui poursuit sur sa lancée dans l'ultra-créativité (juste rehaussée d'une touche médiévale). Remarquez, dans un pays où la plupart des gamins ont été poussés à la jelly, aux céréales à cochon et au soda sucrailleux, il aurait tort de se priver! Ses gammes de produits pour les supermarchés britanniques sont d'ailleurs un succès.


Mais voila qu'en fin de semaine dernière, Rafa et Juan Luis ont reçu un email de Dinner, le restaurant du Mandarin Oriental où officie Heston Blumenthal (entre autres*). Un courrier d'annulation de la table qu'ils avaient réservée pour vendredi prochain. La suite de l'histoire, révélée hier, vous l'avez lue dans vos journaux: Dinner, deux macarons Michelin, 7e au classement des empoisonneurs est temporairement fermé après avoir filé la turista à vingt-quatre clients. La faute à qui? Évidemment pas à cette cuisine qui fait fondre l'émail des chiottes, la faute à un norovirus. 


Le norovirus, dans le (mauvais) film de la cuisine à effets spéciaux portée au pinacle par le classement de la bande à Nestlé et Monsanto, c'est celui qui joue le rôle du méchant, un peu comme Blofeld du Spectre dans les vieux James Bond. Dans l'épisode précédent, tourné l'an dernier au Danemark, sur les très photogéniques docks de Copenhague, c'est également lui qui avait envoyé au tapis soixante pauvres clients du Noma, à l'époque "meilleur restaurant du Monde" du bric-à-brac 50 Best. Encore avant, en 2009, dans la superproduction également tournée en Angleterre, chez le même Heston Blumenthal**, ce diabolique norovirus avait fait cinq cents victimes. Et on vous passe les collectors, starring Sean Connery et Roger Moore, tournés en Cinemascope, dans les criques idylliques de la Costa Brava. Même si le scénario semble finalement assez répétitif, avec l'éternel retour du méchant, on ne s'en lasse pas, car il y a de l'action.


Tout cela nous prouve que gastronome branchouille, ce n'est plus une occupation pépère. Rafa, Juan Luis, vous l'avez échappé belle et votre lunch au St. John sera infiniment moins dangereux (et beaucoup plus naturel)! Parce que pour aller manger chez Blumenthal et sa bande, vous n'êtes pas équipés, il faut au moins une Aston-Martin bardée de gadgets! La cuisine créative est devenue un sport à risques. Que dis-je, un boulot pour James Bond!




* Son Fat Duck est 33e à cette même pantalonnade du WTF 50 Best…
**  Heston Blumenthal, lui, en fait, jouerait plutôt le rôle de Pierre Richard dans La chèvre…).

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