belleza imperfecta.


Qu'elle était sexy! J'en ai encore le souvenir sur le bout de langue, les muqueuses toutes émues. Cette douceur, cette grâce, cet entrain. Je vais vous dire, c'est la première fois qu'une fillette de ce genre me fait un effet pareil. Sur le papier, pourtant, ce n'était pas gagné d'avance. Avouons-le, j'avais de sérieux à-prioris; ses défauts (probables) me sautaient aux yeux, je les imaginais comme le nez au milieu de la figure, tellement évidents. Tel un mauvais maquignon, soupesant, tâtant.
Pourtant, je vous promets, je ne goûte pas au défaut, en négatif, cela fait longtemps, si longtemps que l'académisme m'ennuie. J'essaye toujours de dépasser l'apparence, de regarder les choses qui se cachent derrière les choses. En fait, ce qui me dérangeait le plus avec elle, c'était son côté "in your face", ce mauvais côté de l'Espagne, le maquillage outré, la télé qui parle fort, la surabondance d'or à quatorze carats. Tiens, j'y pense, je ne sais pas comment on dit bling-bling en castellano.


Eh oui, Priorat! C'est écrit sur la boîte. Sur la bouteille, en tout cas, la fillette (37,5 cl) puisque c'est tout ce qu'il restait. Le Priorat, vous voulez que j'y revienne? Une région qui pourrait être la transcription vinicole du "miracle espagnol", d'une époque où "tout allait bien", où, au sud des Pyrénées, on était riche, si riche de l'argent qu'on empruntait… De Porrera à Gratallops, sur ces routes encombrées de cuves à roulettes, c'était à celui qui aurait la plus grosse. La plus grosse bodega, la plus grosse voiture, la plus grosse note. Jay Miller, l'âme damnée d'Uncle Bob passait par là, chaperonné ou pas par son prof de tennis, et distribuait des 100/100 à la pelle. Le plus dur n'était pas de faire le vin, mais de déterminer, à l'avance, son prix, à coup de centaines d'euros.


Le problème, c'est qu'une fois dégagé du charme magnétique de cette région qui me rappelle les hautes-Corbières, une fois éteint le moteur de la Ferrari, les vins n'avaient plus le même goût. À la maison, les bouteilles spectaculaires ne valaient plus grand chose, si ce n'est leur poids (parlons de lourdeur) en verrerie, en chêne massif et en acidité volatile. Le roi, généralement, était nu, aussi nu que l'arbre de la chanson de l'idole catalane, Lluís Llach (qui lui aussi vigneronne là-bas). Souvent, il n'y avait pas loin de la note capitale à l'évier de la cuisine.
Certes, pendant que le Priorat n'en finissait plus de se caricaturer lui-même, des nouveaux ont commencé à travailler vraiment, à essayer de mettre dans les bouteilles des jus qui tentaient de justifier les tarifs démesurés qu'on leur avait collé sur le dos, cette réputation artificielle, ce gros coup de bluff. Mais, verre en main, on se demandait toujours au nom de quoi, de quelle légende urbaine, de quels arrangements politiques, cette Denominación de Origen avait pu, à l'égal de La Rioja, accoler le rarissime épithète Calificada à sa DO.


Eh bien donc, cette bouteille, ce priorat buvable, je l'ai bu. Enfin! Presque par hasard. Le vin du dimanche soir qu'on débouche comme ça, pour redescendre sur terre, parce que le midi on a bu quelques petites merveilles et qu'il faut se réhabituer à la vie de tous les jours. On débouche, on sort deux verres et, surprise! D'abord, il y a ce nez, "un peu nature" me souffle-t-on à l'oreille, mais je ne l'entends pas sur le ton du reproche. Au contraire. On est dans un côté "nature-jus-de-fruit", très exactement (ce qui va vous sembler extravagant), dans une gamme aromatique qui n'est pas sans rappeler certains rouge-clairs du Jura, le 2011 d'Overnoy-Houillon, le Trousseau d'Amphore de Tissot. Voire du tavel à l'ancienne, rosé foncé. C'est plus une histoire de style que de cépages, de ne pas avoir voulu tirer le raisin, l'avoir résumé à un jus, avant "que ça fasse trop vin".
Là, dans Pim Pam Poum, c'est du grenache. Un grenache de charme, tout en dentelle, rafraîchi par une pointe végétale. Il a l'air mûr, au nez comme en bouche, mais glisse comme de l'eau de rose; on en vient presque à se demander s'il y a de l'alcool dans cette histoire*. Pourtant, je me suis renseigné, c'est effectivement un grenache qui ne pèse pas: 12,5°, 13 au mieux. Décidément, ce vin, dont j'aurais bu un tonneau, est un mystère.


Puisque ce mystère me dépasse, tentons d'en connaître l'organisateur. Je le connais bien d'ailleurs, c'est Fredi Fresquito Torres, Fredi, le Dj de Gratallops, le plus Suisse des Espagnols, aussi à l'aise pour l'ouverture de la saison à Ibiza qu'avec sa mule dans une vigne escarpée de Catalogne ou de Galice. Et Fredi de me répondre avec sa voix d'enfant que c'est juste un accident. Que c'était parmi les pires raisins qu'il avait rentré dans sa vie. "C'était à peine mûr, mais je n'avais pas le choix, j'étais pris par le botrytis". Pas des vignes de llicorella, le schiste noir sur lequel le Priorat a bâti son image de marque, mais plantés sur un terroir argilo-calcaire de sables limitrophe du Montsant. Ces sables que l'on méprise mais qui à Châteauneuf-du-Pape ou à Saint-Émilion nous ont offert quelques jolis canons. Les rendements, j'ose à peine vous le dire, la parcelle d'un demi-hectare a bien "pissé": six mille kilos. En Champagne ou à Bordeaux, passe encore (avec des densités supérieures), mais dans la région, c'est surnaturel!
"Et tu sais, si je l'ai appelé Pim Pam Poum, c'est parce que la vinification, je l'ai faite comme ça, Pim Pam Poum!" Des grappes entières, dix milligrammes de SO2 à l'encuvage, une semi-beaujolaise, aucun pigeage et une macération de sept jours à peine. Un léger élevage dans l'inox, et en voiture, mise en bouteilles sans ajout de sulfites. Je vous assure, le résultat est incroyable.


Fredi m'a-t-il dit toute la vérité? Après tant d'années de recherche, a-t-il, tel l'alchimiste, trouvé la formule magique du Priorat qui rend buvables les vins qu'on y produit? Je pense surtout que c'est une formule logique qu'il a appliquée. Qu'il n'appliquera plus d'ailleurs à Saó del Coster, la bodega de Gratallops qu'il avait fondée avec des investisseurs suisses. Pour faire sobre, on va dire qu'il a décidé de s'en aller**. Mais, évidemment, il est parti avec sa connaissance du terroir et ses formules dans la poche. Et quelques jolies parcelles aussi (qui s'ajoutent à celles de son projet galicien).
Mon souhait le plus cher, c'est, vous vous en doutez, qu'il profite de sa liberté retrouvée pour laisser libre-cours à sa créativité, pour que Pim Pam Poum fasse des petits. Qu'à nouveau, au pays des starlettes aux seins refaits, l'on puisse s'émouvoir sur la beauté imparfaite mais réelle, sur la belleza imperfecta de vins qui ont quelque chose à dire.




* Parce qu'on n'est pas non plus dans ce style vert-pomme inventé il y a quelques années à Terroir Al Limit, le plus parisien des priorats; vendange en sous-maturité et regardez comme je suis frais! Remarquez que ce domaine vient de changer son fusil d'épaule pour revenir à des vins mûrs comme me l'annonçait très récemment son distributeur.
** J'espère d'ailleurs, comme les innombrables amis de Fredi, que le divorce se terminera bien, dans la loyauté et la bonne humeur.


Commentaires

  1. Bonsoir Vincent,
    Je viens - encore - vous remercier car j'ai goûté avec grand plaisir le 2013 de la cuvée "montsant" signée fredi Torres et Antoine Touton, et c'était absolument superbe, un jus de grenache tout en délicatesse et en fraîcheur, je me suis retenu de siffler la bouteille à moi tout seul... Il m'a vraiment rappelé le domaine des tours de Reynaud en plus frais... Décidément que de belles choses à découvrir en ces terres de grenache !
    Encore un grand merci

    Julien

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