Perpignan plus sexy que Barcelone? (1ère partie)


C'était en fait un match retour. Parce que je vais vous révéler un secret, la gare de Perpignan, quand vous avez raté votre train, c'est tout sauf le centre du Monde! Il y aurait d'ailleurs, au delà des fantasmagoriques élucubrations de Dali, matière à s'interroger, à philosopher, à disserter sur cette centralité, sur la signification profonde, politique, de ce nombrilisme ferroviaire. Mais, ce n'est pas le jour.
Le jour est à l'amour. À cette lettre d'amour que je veux écrire à la capitale du Roussillon. Et que je veux ouvrir à ses habitants. Perpignan, je vais vous dire, je m'y amuse davantage qu'à Barcelone. Oh, c'est très personnel! Il y a là-dedans un mélange confus de souvenirs, de fêtes sans fin et de baisers à pleine bouche. Il y a ces gitans qu'on croirait sortis d'un film des années cinquante. Il y a de la folie, de cet esprit si particulier que l'on trouve dans certaines villes-frontières, sortes de ports terriens de la géographie politique.


Perpignan, comme tant d'autres, comme toutes les autres, noyée dans ses bidonvilles commerciaux et ses métastases pavillonnaires, n'est malheureusement pas belle de loin. Si, ou alors vraiment de loin. Quand tu descends comme moi des Corbières, par les sublimes routes de Vingrau ou d'Opoul, que le regard porte des effluves italiennes du mont Saint-Clair aux caps espagnols, que le soleil bronze les dernières rondeurs du Golfe du Lion. Que l'ultime courbe française de la Méditerranée, ample, te fait penser à celles des Maillol*, à ces fesses de métal vert que les enfants, jeunes ou vieux, ne peuvent s'empêcher d'aller flatter.


Match retour à Perpignan, donc. Pas de rugby pour autant. Ni Stade, ni USAP. C'était d'un autre sport national dont il s'agissait. De vin. Par les hasards de la vie, le fruit du nationalisme ferroviaire**, je me retrouvais en train de rendre à mon camarade l'écrivain-journaliste-blogueur-vigneron Michel Smith la visite qu'il m'avait faite l'an dernier à Barcelone. Comme nous l'avions fait de l'autre côté de la frontière, en Espagne, nous sommes partis en goguette et, en attendant que les Pyrénées s'ouvrent devant moi, avons écumé les bars à vin de Perpignan.


Car, ici, il y a le choix! Quand je vous dis que je m'y amuse davantage qu'à Barcelone, c'est parce que dans cette ville, on peut boire du vin, tranquillement, simplement, de façon bien plus naturelle que de l'autre côté de la frontière. Des bouteilles et des zincs, on en trouve à tous les coins de rue. Ça ne date pas d'hier mais l'homme au chapeau me l'a une nouvelle fois prouvé alors que nous usions nos godasses sur le pavé roussillonnais. Perpignan aime bien plus le terroir que sa voisine espagnole, nimbée de gin-tonic, de malbouffe moléculaire et de cocaïne. Et je n'écris pas ça seulement parce que l'herbe est plus verte ailleurs, j'y joue un peu à domicile, en proche voisin en tout cas.


Parmi les adresses, il y a d'abord les classiques, les marchands de vin. Ceux qui se battent depuis des lustres pour "pousser" le vin du coin. Je pense bien sûr au Comptoir des Crus de Jean-Pierre Rudelle. Il est caviste, certes, mais il a toujours le tire-bouchon à portée de main. D'autant que sa boutique, face au nouveau théâtre, est flanquée du bistrot éponyme (dont je vous ai parlé avec tendresse ici).
Plus petite, montée par un ancien de Lavinia surfant sur la vague naturiste, Les Indigènes joue carrément sur le registre de la cave-bistrot. On m'a même annoncé qu'on allait bientôt, sous la houlette d'un nouvel arrivant le Parisien Nicolas Lefèvre, y installer un bar et s'équiper afin de mieux conserver les bouteilles, actuellement entreposées à température ambiante. Ce qui pour des vins sans-soufre est assez risqué. Cela mis à part, aux Indigènes, l'ambiance est là. Lionel Gauby, le chouchou roussillonais de Parker, boit un verre en terrasse tandis qu'à l'intérieur on rigole verre en main. Tiens justement, puisqu'on parle d'ambiance, je repars sur mon "comparatif" avec Barcelone; imaginez la même dans Le Born ou le Gothic, quelques éclats de rire dans la rue et, un quart d'heure plus tard, sur dénonciation des voisins ("nous sommes de bons Catalans, et en tant que bons Catalans…"), vous voyez débarquer les Mossos d'Esquadra***.  Volem un barri digne! Là, non, tout se passe bien, on nous sourit. Et avec l'homme au chapeau, on tombe sur une côte-rôtie de Jamet, un 2000 un rien poussiéreux, mais en terrasse, ça détend.


Puisqu'on en parle, l'ambiance "à la barcelonaise", celle du Barcelone phantasmé, qui ne se couche pas de la nuit, chante et joue de la guitare, où les filles tombent la veste, on la trouve à quelques encablures de là, à l'entrée du quartier gitan. Ça ne s'invente pas, le rade s'appelle le Bar Célone, il n'ouvre que les fins de semaines et il ne fait pas le voyage à vide! Un joyeux bordel au look vintage plus étudié qu'on ne le croit, en cuisine, c'est la révolution permanente et pour boire, il vaut mieux attendre les glaçons. Pourtant, ça a son charme avec notamment cette spécialité locale dont je ne me lasserai jamais, les Catalanes à talons hauts, très (trop?) élégantes, entre deux âges, aux cheveux noir de jais, exagérément noirs certes, mais les yeux vont avec. Bref, le Bar Célone, c'est chic-roussillonnais, BoBo, déluré, comme vous voulez, ça sent la frite, mais il faut y passer. Là aussi, je ne vous raconte pas, dans la vraie Barcelone, celle du nationalisme rabougri, une ambiance pareille on vous envoie la police anti-émeutes!


Dans la série des lieux improbables, pensez à faire un tour chez le Baron. On se croirait à Paname! Pas de crus locaux, ici, de l'exotique, du chinon, du gevrey, du bourgueil (gentil, le bourgueil l'autre soir!), du rully, du beaujolais. Un petit côté vin des rues, quand, le godet bien tassé, il faut se pencher pour le laper sur le bar en étain tandis que le taulier brûle d'envie de causer politique à "môssieur Schmitt". Les poivrots attendent le coup de balai. "C'était mieux avant". Pour un peu, l'heure aidant, on imaginerait le fantôme de Blondin pousser la porte et commander un jaune. Je reconnais que l'endroit est propice au souvenir. Presque trop. Pour le vin, c'est un peu brumeux, mais avec de belles éclaircies. Les riches y boivent du bourgogne signé Dominique Laurent (la romanée-conti de la maison); il y a des jours où il vaut mieux être pauvre. "Qu'est-ce que vous voulez, ma bonne dame, y faut d'tout pour faire un monde!"

(à suivre…)





* Puisqu'on parle de sculpture, outre les merveilleux Maillol des rues et de la mairie de Perpignan, pensez à rendre une visite à l'atelier de Marcel Gili, au Mas Genegals, en Corbières sur la route de Vingrau. Gili était un élève de Maillol qui a ensuite développé sa propre vision de la sculpture. Incontournable.
** Vous en voulez de la stupidité, de la vraie, de l'épaisse? Le tunnel sous les Pyrénées est ouvert depuis longtemps et les ronds-de-cuir des transports ferroviaires n'arrivent toujours pas à mettre en place un TGV direct entre Barcelone et Perpignan. Au delà des discours et du folklore, la frontière est la bien là, l'AVE, côté espagnol, est juste un train régional rapide qui relie le chef-lieu à Gérone et Figueras.
*** On n'en a pas parlé en France, mais la brutalité de la police autonomique catalane (qui n'est un mystère pour personne) est en train de faire scandale en Espagne. plusieurs sales affaires lui collent aux rangers dont la dernière, le passage à tabac d'un homosexuel barcelonais, mort à la suite d'une arrestation "à l'ancienne".


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