Pas liquide, solide!


Ces grappes, je les ai achetées pour quelques piécettes au marché de Vilanova i La Geltrú, à cinquante kilomètres au Sud de Barcelone. C'est du xarel·lo. La vendeuse, d'ailleurs, avait écrit "xerel·lo" sur sa pancarte: "c'est comme ça qu'on l'appelle ici", m'a-t-elle précisé.
Le xarel·lo blanc (il existe aussi un gris) constitue une des variétés autochtones du nord-est de l'Espagne. On en trouve beaucoup dans le Penedès, près de neuf-mille hectares. On explique qu'il donne du corps au mousseux du coin. Du volume aussi, car le gaillard a la réputation d'être foutrement productif sur les terres riches de cette région, précoce, également, et plus résistant aux maladies que son cousin le maccabeu*. Son nom proviendrait de l'italien chiaro/ello, qui signifie "clair, clairet"; pas de trace officielle de lui, pourtant dans les vignobles de la Botte, pas de lien non plus semble-t-il avec les clairettes françaises. Localement, en Catalogne, on l'appelle aussi pansa valenciana, panser, pansal, pansalet, cartoixà; premsal blanc o moll, pansa blanca, aussi dans la micro-appellation côtière d'Alella, au nord de Barcelone. Aux Baléares, à Mallorca, le parlé insulaire le transforme en palop, planta valenciana ou planta bona.


Ce raisin, vous l'avez compris, a le cul entre deux chaises. Entre la table et la cuve**. Ce n'est pas d'ailleurs une tare absolue. On a en France quelques exemples de raisins à-tout-faire qui ne sont pas pour autant des bons-à-rien. Immédiatement me vient à l'esprit ce cousin du cinsault, les œillades, l'œillade noire qui elle aussi peut se croquer replète mais qui, chez des vignerons qui savent lui faire entendre raison, donne naissance à des rouges fins, poivrés, fleuris. Je pense là, les amateurs l'auront reconnu, au gouleyant Vin d'œillades de Thierry Navarre à Roquebrun, près de Saint-Chinian, dans l'Hérault.
Hélas, en Espagne, je n'ai pas encore goûté de blanc (ou de rosé) de xarel·lo qui me fasse vibrer comme le rouge de Navarre. Les mousseux, je passe mon tour, je n'ai pas de grand penchant pour la bulle catalane, un peu trop rustaude, trop sucrailleuse, trop industrielle à mon goût***. Alors, peut-être un jour, un blanc tranquille, un canon sans prétention****… Pour l'instant, je n'ai vu que de l'épais, du lourdaud, du qui-donne-soif…
Restons toutefois indulgent: quoi de plus insoluble problématique des "petits blancs" du Sud? Car, si sur les meilleurs terroirs des pays de soleil on peut produire d'admirables blancs de garde, le gentil vin blanc de comptoir ne va pas sans dire. Il y a des exceptions bien sûr, rares, des exceptions à cette "fatalité" maudite qui veut que l'on tombe de Charybde en Scylla, laissant peu d'espace entre le techno-pop exubérant et le vert-tendu tendance verjus. Deux "solutions", vous l'avez compris, qui ne m'enthousiasment guère.
En attendant, donc, qu'un vigneron apparaisse et trouve la voie, ce délicieux xarel·lo, doux et croquant, ce "xerel·lo" pour respecter le patois de Villanova, je m'en régale. Mais pas liquide, au fond de mon verre, juste comme ça, sur table, en version solide, avec une tome chèvre-brebis des Pyrénées catalanes, une bonne tranche de pain de campagne de la Barceloneta, et un dé à coudre d'oloroso***** 30 años des Bodegas Tradición. En dessert de septembre, en attendant les vendanges.




* Amoureux de l'ampélographie, les faux amis sont nombreux, on m'a dit que le maccabeu ou viura (en Rioja) pouvait ici et là prendre le nom de xarello.
** Pas en France où il ne peut être utilisé que comme raisin de table, il est interdit pour la cuve.
*** Pourquoi ne vont-ils pas jeter un coup d'œil juste de l'autre côté de la frontière espagnole, et s'inspirer de Limoux où l'on produit désormais des effervescents, blanquettes ou crémants, de très belle tenue? Il est vrai que les règles y sont beaucoup plus strictes que dans la région barcelonaise, avec notamment une obligation de vendanges manuelles, comme en Champagne.
*** On (qui comme le veut la règle ici n'est pas pas un con, pas une conne en tout cas) me conseille toutefois, pour avoir une idée du xarel·lo liquide, de vous faire goûter Nun Vinya del Taus de Cal Raspallet, enfin si vous y tenez, parce que de ce cépage roturier, ils ont fait, comme souvent en Espagne, un cru à prix de nouveau Russe, plus de 35€ la bouteille! Achetez plutôt Navarre!
**** Parce que quand même, en Espagne, le grand blanc, c'est en Andalousie que ça se passe!

Commentaires

  1. Curieux car certains cavas sont constitués de parallada, xarel-lo ET maccabeu.

    L'Andalousie de la tête et des épaules pour les vins fortifiés.

    Vinya dels Taus un peu trop boisée. On peut goûter Improvisacio, un peu moins chères, du même producteur.

    Ne pas oublier :
    Txacoli pour l'apéritif
    Lopez de Heredia Grand reserva 1991 ou 1981 : blancs de classe
    Rias Baixas (Francisco Alonso Pedralonga, Pazo de Senorans, ...)

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