Espagnol, méditerranéen… et digeste!


Oh, ce n'est pas du "grand vin", mais on ne va pas revenir là-dessus, sur la façon dont ça se mesure. Commençons plutôt par nous en servir un verre, par le boire, et voyons donc si nous avons envie d'y revenir. Tiens, je me dis d''ailleurs pour que c'est peut-être pour ça qu'il n'est pas mauvais ce petit rouge de Terra Alta: on a évité le piège dans lequel tombent généralement les voisins du Priorat, on n'a pas cherché à faire du grand vin. Juste du bon, du qui s'avale avec allégresse, sans lourdeur malgré ses quatorze chevaux et demi.
Et c'est vrai que ça fonctionne bien. Une extraction sans violence, un élevage bois présent mais pas envahissant, sans gourmette en or ni klaxon bi-ton, façon come-pastillas en Seat Ibiza de la côte catalane. On n'a pas non plus cherché à tricher sur la sous-maturité, à nous prendre pour des jambons en confondant sciemment verdeur et fraîcheur, le fruit est là, mûr, de jolis arômes de quetsche fraîche, un peu de cannelle, la bouche soutenue par une belle acidité, soulignée par de beaux amers. C'est espagnol, méditerranéen mais digeste! Allez, on se ressert!


Par parenthèse, le côté "aérien" de ce Templari 2010 est joliment mis en exergue par ce verre que j'aime décidément de plus en plus, singulièrement sur des vins sudistes. C'est un Zalto, modèle Universal, un cristal autrichien, très particulier, extrêmement élastique, certains dégustateurs le trouvent un peu déroutant, je dois dire que je suis tombé sous le charme.
Mais revenons au vin, issu de la Denominación de Origen (AOP) Terra Alta, située à l'extrême sud de la région catalane, aux confins de la Communauté de Valence et de l'Aragon. La DO Terra Alta, c'est, comment dire? Peut mieux faire. Cette zone de petites montagnes est assez semblable, du point de vue du relief, au Priorat (il se trouve juste de l'autre côté de l'Èbre) ou, pour faire français, aux Corbières. La différence géologique, c'est qu'on n'y trouve pratiquement que du calcaire, et que, globalement, on continue d'y travailler comme en Priorat avant que ne tombe la pluie de millions, c'est-à-dire mal, très mal, pour fournir les villes environnantes en rouges, blancs et rosés a granel, en vrac. Le résultat, ce sont des vins "à l'ancienne", mais pas vraiment au bon sens du terme, sauf si l'on place la migraine au rang des plaisir masochistes; je pense en particulier à des rosés ou à des blancs dans lesquels les doses de soufre sont si élevées qu'on est obligé de parler de "vins minéraux"…


Le Celler Bàrbara Forést qui élabore El Templari essaye, lui, de se démarquer en rompant avec les mauvaises habitudes locales. D'où ce rouge clair, vi vermell revendique l'étiquette, ce qui nous repose un peu des traditionnels vins negres catalans. Vendu une douzaine d'euros (pour l'Espagne, c'est bon marché), son encépagement est remarquable, car outre le grenache, on y trouve en proportion importante, majoritaire (55%), du morenillo.
Le morenillo est un vieux raisin de cuve espagnol encore présent dans cette région, dans des proportions toutefois très faibles puisqu'il couvre selon les chiffres officiels moins de un pour cent des 5895 hectares de l'appellation.
Si vous écoutez un Catalan, il vous jurera ses grands dieux que le morenillo (pas très catalan, ça, comme nom, ça sent l'ail et l'huile d'olive) est un pur cépage autochtone, qu'il vénère la Senyera, qu'il vote en faveur de l'indépendance, etc, etc… En fait, ceux qui s'intéressent à l'ampélographie le savent, il faut souvent diviser le nombre de noms de cépages par le nombre de patois* pour trouver le nombre exact de cépages existants.


Car, vous vous en doutez, le morenillo se fiche comme de sa première feuille des frontières et des mesquineries humaines. Comme toutes les lianes, il aime courir, voyager. À travers la péninsule, il semble** que l'on trouve sa trace de La Rioja à Valence en passant par Saragosse, régions dans lesquelles il utilise d'autres pseudonymes: mandón, mandó, galmeta ou galmete. Galet le décrit de la façon suivante: "cépage de cuve noir espagnol, feuille moyenne orbiculaire, quinquelobée, à sinus supérieurs moyennement profonds, étroits et fermés, sinus inférieur en V, à peine indiqués, sinus pétiolaire en U ouvert ; dents ogivales, moyennes, en deux séries ; dessous du limbe aranéeux. Grappe petite, conique, compacte ; baie moyenne, sphérique, noire bleuté, pulpe juteuse." Les experts F. Martínez de Toda, J.C. Sancha et P. Balda de l'Université de La Rioja à Logroño jugent son potentiel œnologique intéressant, louant son caractère "aimable, enveloppant, son pH et son acidité". des qualités qui pourraient bien intéresser pas mal de vignobles sudistes dans la perspective du réchauffement climatique.
En Terra Alta, le morenillo serait arrivé par l'Aragon voisin, comme son célèbre et plébéien cousin, le carignan. Et ici comme partout, pour "faire riche", on s'est empressé de le remplacer par du cabernet-sauvignon et du merlot, d'autant qu'il a la réputation, bien que vigoureux, d'être assez sensible au Botrytis et de ne pas donner de couleur. Dans le décret de la DO Terra Alta, il ne figure d'ailleurs ni parmi les variétés "recommandées", ni parmi les "traditionnelles", il est à peine "autorisé", toléré.
Moi, dans ce Templari 2010 (comme dans le 2009), il me plaît pourtant de croire que c'est de ce cépage méprisé (que certains commencent déjà à comparer un peu hâtivement au pinot noir), de ce morenillo que jaillit cette belle élégance. celle-là même qui donne envie de se resservir. Ah, la bouteille est vide!



* Surtout en Catalogne où l'on pense avoir tout inventé, de l'Amérique aux pâtes.
** J'écris "il semble" car au delà des descriptions et des caractéristiques, nous ne disposons pas de l'ADN du morenillo. Comme c'est souvent le cas pour les cépages méconnus.

Commentaires

  1. Pauvre suisse tombé amoureux de Javéa (Pais valenciano donde se habla valencian y no "catala") depuis 1981, "afficionado" de cette terre qui ressemble à nos Alpes ("rasez les montagnes, qu'on voie la mer"), proveedor de mes amis espagnols de chocolats et de vins (les blancs liquoreux du Valais ne cèdent en rien aux meilleurs français et les pinots sont premiers dans vos concours parisiens), Don Quijote sans son Pancho ("io soltero en la vi") mais marié depuis 31 ans et avec 3 enfants nourris au biberon espagnol dês leurs 3 mois, MERCI de défendre avec tant de vigueur et d'esprit les choses simples de la vie, celles qui nous font jouir, celles qui nous conduisent vers le paradis.
    Cariñosamente,
    Losreyes

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  2. Vincent,sóc Maria Carme Ferrer del Celler Bàrbara Forés, ens podries traduir el que dius? Quasi quasi l'endevinem, però ens falta el matís.
    Una abraçada.

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    1. Si, Maria. La semana que viene, habremos la traducción en inglés: http://www.webflakes.com/liquid-and-solid-ideas

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