Mieux que naturel, le vin spirituel.


José Luis Mateo est un grand. Je vous ai déjà parlé de ce type, vigneron espagnol atypique. Parce que vigneron, justement, dans un pays où le vin se fabrique généralement à l'usine. Je vous ai raconté ses vignes, son amour de la terre, sa recherche sur l'identité gustative des montagnes de Galice. Je vous ai dit à quel point j'aimais ses rouges, séveux et frais, à commencer par son "petit" Alanda, jus paysan, profond mais si facile à boire.
Là, ce sont deux mots de lui, précis, qui ont retenu mon attention, deux mots à la fin d'un message, où, bonheur, il confirme qu'il pourra nous vendre les bouteilles que nous espérions. Il y est question de Manuela et François Chidaine, les vignerons de Montlouis qu'il vénère, et de la Loire qu'il aime autant que nous. "La Loire, conclut-il, c'est une des réserves spirituelles du monde du vin." Réserve spirituelle, c'est encore plus beau que réserve naturelle, ça humanise et ça transcende à la fois. Et si, finalement, il était là, le lien, le plus petit dénominateur commun entre tous les vins qui me transportent: l'esprit.


"Un vin sincère, ça n'existe pas" m'avait balancé un jour dans la figure un comptable du plaisir. Je repense à cette phrase, parce que j'imagine sa tête si aujourd'hui je lui parlais de vin spirituel. Évidemment, la spiritualité, ça ne se mesure pas, ni avec un double-décimètre, ni avec un pied à coulisse, ça ne se note pas non plus, ni sur vingt, ni sur cent. La spiritualité, ça s'éprouve, ça se ressent, c'est ce qui transforme notre soif animale en émotion. C'est ce qui nous transforme et, souvent, nous rend meilleur. J'ai presque un peu de peine pour ceux qui n'y sont pas sensibles et qui risquent, tels des épiciers, de n'y voir que de la poésie gratuite.
Si José Luis Mateo est un grand, c'est aussi parce qu'il a le Verbe. Au commencement est toujours le Verbe, qui polit la matière brute, qui civilise la Nature. Et je l'approuve pleinement dans sa vision de la Loire, où des vignerons paysans, épris de Sagesse, expriment sans brutalité la "substantifique moelle" du terroir, opèrent une synthèse spirituelle entre une culture, des cépages, des usages, un sol. Intelligence et constance.


Ces vertus, on ne les retrouve évidemment pas que dans les vignobles ligériens, la France est riche de certains de leurs plus beaux gisements au Monde. Les Bourguignons vous parleront de la Bourgogne, les Jurassiens du Jura, je pense moi, entre autres, à ce formidable Sud-Ouest dont je ne comprends pas, en ces temps de quête d'authenticité, qu'il ne soit pas encore porté au pinacle par les buveurs de tendances. Tous les ingrédients sont là dans cet inépuisable conservatoire de cépages originaux, spécifiques, identitaires, du braucol au tannat, de l'auxerrois (qui n'a rien à voir avec les malbecs au nez refait…) à la négrette, du prunelard à l'abouriou. Même si les rouges sont parfois un peu virils, avec tanins poilus (ce qui ne colle pas à la mode métrosexuelle du moment), les bouteilles "pas assez" coûteuses, le Sud-Ouest a, me semble-t-il, tous les atouts pour offrir ces vins spirituels que José Luis Mateo et moi appelons de nos vœux. On pourrait aussi évoquer la Corse, la Savoie, à moins que tout simplement l'on se penche sur les délicieux bordeaux ruraux, ceux qui ne se maquillent pas comme des voitures volées mais dont on parle trop peu, car n'étant pas équipés "d'attachées de fesse".


J'entends d'ici les critiques et les quolibets des amateurs de classements et de concours de quéquettes. "Techniquement, va-t-on me dire, qu'est ce qui différencie un vin spirituel d'un autre?" On peut bien sûr répondre que ça se sent "à l'instinct", un peu comme un cheval qui refuse de boire dans une flaque d'eau parce qu'il "ne la sent pas" et se dirige vers une autre. Je crois, oui, qu'il faut faire confiance à son instinct, être davantage à l'écoute, ressentir, comme je l'écrivait plus haut. Comprendre aussi que c'est rarement sous des tonnes de chêne, dans des jus fardés, apatrides, "internationaux" que va se glisser cette spiritualité pas si évidente que ça à expliquer. Mais le côté "défectueux à tout prix", pour faire genre, n'est pas non plus une garantie, il y a aussi une question de juste milieu. Reconnaître, enfin, que statistiquement, ils sont plus souvent produits par des agriculteurs que par des boursicoteurs. Et que comme toujours en matière de plaisir, le bon goût universel n'existe pas, le premier et le meilleur n'étant que des chimère commerciales oublieuses de nos inclinations personnelles.


Car, pour conclure, je pense que cette recherche du vin spirituel est une quête personnelle, loin des modes et des gourous, des prêtres et des églises. C'est une façon d'être attentif à cette petite histoire que notre verre nous raconte (ou pas), à cette éventuelle lumière intérieure, à ce possible supplément d'âme. Un peu comme la biodynamie exige d'être attentif à la plante, d'établir un dialogue, une intimité avec elle (je crois que c'est son aspect le plus intéressant), il s'agit de pénétrer le vin, le fouiller et établir, le cas échéant, un lien qui dépasse le charnel. Sentir en lui les mains, l'esprit de ceux qui l'ont modelé, comme Georges Charpak voulait lire le passé, l'humanité, dans le tour des potiers. Comprendre le Temps. Trouver enfin dans la matière ce qu'elle recèle de plus précieux: l'esprit.

Commentaires

  1. Nouvelle confirmation que votre blogue n'est peut-être pas le plus meilleur mais certainement mon favori.

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  2. Merci pour ce superbe texte, Vincent. Je partage entièrement ce point de vue.

    J'en avais déjà parlé de manière plus maladroite et moins aboutie dans ce billet (http://leptitblancsanscol.viabloga.com/news/supplement-d-ame), quand je parlais du "supplément d'âme" qui caractérise pour moi les "grands" vins. Ceux dans lesquels on creuse. Dans lesquels à l'instar d'oeuvres musicales, par exemple, j'y trouve une part de contemplation et de spiritualité. Ce sont indéniablement ces vins qui restent et qui resteront gravés dans ma mémoire.

    Quant au manque d'intérêt et de reconnaissance pour les vins du Sud-Ouest, je ne peux que partager ton avis, devant la merveilleuse diversité des vins produits dans cette grande région viticole. Les vins de Loire, chers à mon coeur, souffrent également (même si c'est dans une moindre mesure), je trouve - hormis dans un cadre d'amateurs éclairés - d'une injuste mésestime (notamment les rouges, trop souvent considérés comme des "p'tits vins légers à boire frais"...).

    A nous, blogueurs, cavistes, sommeliers... de faire découvrir toutes ces merveilles et d'aiguiser la curiosité.

    Les non-curieux resteront toujours gonflés de certitudes et d'a priori, en se référant à tel ou tel classement et notations.

    Je les plains, ils ne savent pas ce qu'ils manquent.

    Amitiés,

    Eric

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  3. Parfaitement d'accord avec tout ça.
    C'est par le ressenti, l'échange avec le vivant, qu'on peut comprendre le fond des choses et faire ce qui doit être fait.
    Je crèe mes cuvées par le ressenti... les dégustations d'assemblages champenois classiques sont un lointain souvenir, car je peux aller bien au-delà en utilisant tout mon corps dans la perception du vin... c'est plus puissant que le mental !

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  4. Merci Vincent pour ce beau et juste billet.

    Pour le Sud Ouest comme pour la Loire, la Savoie... il nous reste à espérer que la spiritualité et la rechervhe de sincerite se propage.

    Si en cuisine egalement nous revenions à des mets plus "simple"(comprendre moins concours de design et de provenance d'épices ou autres ) les vins suivraient certainement ?

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  5. Ah bravo bravo bravissimo. En tant que natif de la Loire et donc pas forcément impartial je ne peux qu'approuver. Il y a quelque chose dans nos chenins et nos cabernet francs que les autres n'ont pas... Et ce n'est pas "juste" le terroir. Il y a un supplément d'âme aussi. Cette âme qui m'a bouleversé il y a 20 ans en buvant un Clos du chêne vert 89 et qui a déclenché l'envie de travailler dans ce milieu. Comme un appel. Alors oui il y a des vins spirituels. Bravo encore. Santé !!!

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  6. article plein d'esprit…Passionnant comme toujours

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  7. à ce sujet, venez nous voir à Ambonnay
    benoit marguet
    www.champagne-marguet.fr
    www.champagne-sapience.com

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