Les artistes, la cochonne et le patois.


Je me méfie depuis toujours des artistes qui font de la politique. Bien sûr, "Coluche Président", en France, c'était sympathique, mais avec le temps, on apprend à faire le tri entre les belles et les bonnes idées. Là, depuis dimanche, on nous bassine avec ce comique italien qui dit lui aussi des choses très généreuses et qui pratique avec enthousiasme et sincérité, sûrement, un gauchisme de café du Commerce. On peut comprendre l'électorat transalpin qui a déjà plébiscité d'autres clowns. Il y a sûrement du bon dans tout cela, à commencer par une nécessaire (mais utopique) remise en question d'élites politiques plus préoccupées par leur destin personnel que par le sort de ceux qu'elles aspirent à gouverner. N'empêche que les artistes qui font de la politique, ça m'inquiète un peu (le contraire aussi d'ailleurs, regardez le chanteur Tapie). Surtout quand s'y greffe un zeste de nihilisme et une bonne dose de populisme, je repense toujours à petit peintre autrichien, raté, qui triompha dans les années trente, au sortir d'une crise où déjà l'on dénonçait les banksters et la déliquescence de la classe dirigeante.


Des artistes qui font de la politique, on n'en manque pas non plus en Catalogne. Comme le veut la mode de l'époque, le populisme ne les effraie pas, ils y ajoutent même souvent ce poison qui fit lui aussi basculer l'Europe des années trente dans l'horreur absolue: le nationalisme. "Maladie infantile", "rougeole de l'Humanité" affirmait Einstein. Paradis des beaufs, aussi, qui vocifèrent contre "l'étranger" (ici, l'Espagnol, l'Andalou, le Madrilène si semblable et dont il faut à tout prix se différencier*) en brandissant trop ostentatoirement des drapeaux et en adulant des fantoches qui, eux, ne pensent qu'à leur faire les poches.


Parmi les "artistes-phares" du national-populisme catalan, María Lapiedra, née Pascual, une fille de cette campagne plate, triste à mourir des environs de Lérida. Elle a quitté sa bourgade de Mollerusa pour aller conquérir sa capitale à elle, Barcelone. Et comme elle avait un joli cul, elle l'a montré dans des films éponymes, n'oubliant pas au passage de l'offrir au très catalaniste Joan Laporta, ancien président du Barça, temple local du nationalisme. Mais ce n'est pas seulement pour publier sa photo (et augmenter encore le nombre de lecteurs de ce blog) que je vous parle de María Lapiedra, pas non plus pour évoquer ses nombreux exploits politiques en faveur de l'indépendance de sa région, mais à cause de ses origines géographiques, car elle nous conduisent directement, après moult digressions, à mon sujet du jour. La région du Pla d'Urgell est en effet un haut lieu de l'élevage porcin, elle est envahie de dizaines de porcheries industrielles dont l'aspect sinistre évoque, toute proportions gardées, les camps de concentration.


C'est dans ce goulag pour animaux qu'on fabrique un produit présenté en Catalogne comme une des sept merveilles du Monde: le porc ibèric. Porc ibèric, ça sonne bien, surtout pour nous, Britanniques ou Français qui y voyons une presque traduction de l'authentique cerdo ibérico.
Or, quand on traduit d'une langue à l'autre, il faut se méfier de ce qu'on appelle les "faux amis". Et, là en voici un, qui se cache, sournois, entre l'Espagnol et le Catalan. Le cerdo ibérico, les gastronomes connaissent (jusqu'à Paris!) cette viande exceptionnelle, issue d'un race fameuse, noire, aux origines africaines (cousine de nos cochons gascons, bigourdans ou basques) et qui bénéficie dans le sud-ouest de l'Espagne et au sud du Portugal d'un élevage en semi-liberté et d'une alimentation (à base de glands) parfaitement naturels. À l'export, on la connaît le plus souvent sous forme de salaisons ; pourtant, certains de ses morceaux, du côté de l'échine (presa, pluma et secreto notamment), sont tout aussi merveilleux à consommer frais, juste grillés, servis aussi saignants que du bœuf. Quelques grains de sel, et c'est un délice absolu!


Malheureusement, cela fait plusieurs fois que je le constate, cerdo ibérico ne se traduit pas dans le patois catalan**. L'autre jour encore, salivant d'avance, j'ai commandé du porc ibèric dans un restaurant barcelonais et, en lieu et place de cette noble viande, est arrivé dans mon assiette un succédané blanchâtre, insipide et vulgaire, qu'on aurait dit tombé d'un cargo en provenance des épatantes usines à viande du nord de l'Europe! Visiblement, une fois de plus, il ne s'agissait pas de cochon noir, à la chair sombre, délicatement entrelardée, abondamment persillée, mais d'un bon vieux large-white (race productive inventée par les gourmets d'Outre-Manche), éventuellement nourri aux farines d'origine incontrôlée dans une porcherie industrielle du pays de María Lapiedra.


On me dit qu'ici et là, se sont installés récemment des élevages moins brutaux qui produisent réellement du  cerdo ibérico, pas du large-white, ni même du duroc. En attendant d'en avoir goûté, je suis assez circonspect. Comme je le suis d'ailleurs avec une bonne partie de la production agricole locale où l'on drape son peu de respect de l'identité et du patrimoine gustatifs dans d'opportunes bannières nationalistes.
Car, ce qui est fort de café, c'est que ce porc ibèric, mi-cochon, mi-catalan mais pas vraiment ibérique, vaut pratiquement le même prix que l'authentique cerdo ibérico en provenance du sud-ouest de la péninsule que ne servent que de rares restaurants barcelonais. Donc, ça ne choquera personne en ses temps de cannelloni au cheval et de kebab au porc, méfiez-vous du patois, demandez l'origine du cochon qu'on vous vend si vous ne voulez pas qu'on tente de vous faire passer des vessies pour des lanternes. En tout état de cause, si on vous apporte une presa ibérique blanche comme les fesses de María Lapiedra, c'est qu'on vous aura pris pour un gabatx…




* Le plus triste, c'est qu'à force d'aigreur nationaliste, cette différence commence à  vraiment exister et que le Catalan, c'est juste l'Espagnol qui fait la gueule, moins accueillant, moins généreux que les autres.
** Je sais, ça ne se fait pas de dire patois mais comme c'est à quelques détails près celui que j'entendais, gamin, en Ariège, dans les montagnes du Couserans et qu'on appelait ça le patois, j'éprouve une certaine nostalgie à utiliser ce terme. La "langue catalane" telle qu'elle se présente aujourd'hui est d'ailleurs une invention très récente, dans la lignée des régionalistes provençaux, rassemblant depuis à peine plus d'un siècle une vingtaine de dialectes locaux de l'actuelle région espagnole; le premier dictionnaire de Catalan fête lui cette année ses cent ans. Pour certains linguistes, elle est une langue latine à part entière, pour d'autres, un dérivé de l'Occitan.


Commentaires

  1. ...mais les bouffons du Roi, les "artistes" proches du pouvoir, pouvaient revêtir une certaine menace. Au fond, ce sont souvent eux qui ont bien emmerdé l'ordre dirigeant ... parfois avec finesse, comme notre cochonne de la cambrousse catalane, à n'en pas douter !
    M'enfin, au niveau de l'Art... euh de l'Art ?! Non DU lard, bien sûr !!
    (quelle perche, Vincent...)

    Tom B.

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  2. J'en ai ramené de l'ibèric l'autre jour, acheté au marché de Barceloneta. Pas cher, mais je confirme, sans intérêt gastronomique ! Pas même suffisamment bon pour accompagner mes pâtes ! Merci Vincent.

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