Après Parker? Le village gaulois…


Qui va succéder à Robert McDowell Parker Jr? Qui va succéder à César? Voila le sujet "qui fait le buzz"! Depuis une bonne journée, dans la sous-section du World Wild Web qui se consacre à la chose pinardière, on ne parle que de ça. Plus spécifiquement, dans la sous-sous-section dédiée au vin cher, parfois hors de prix. Celui sur lequel on écrit, on publie, on fait de la réclame. Celui qui prend souvent l'avion pour aller sauver la Terre. Celui dont on espère que les paillettes nous donneront bonne mine, dont la noblesse sent au mieux la robe. Celui (rendons-lui grâce) qui améliore le pitoyable résultat de la balance commerciale de la France. Celui que l'on achète et que l'on revend, sur lequel on spécule plus qu'on ne le boit. Le vin dont on vit plus qu'on ne le vit.
Qui va succéder à César? Ou, avec plus de finesse, plus de rouerie aussi: que sera "l'après-Parker"? Diantre, messieurs*, un peu de délicatesse! Même le plus mauvais des croquemorts de jadis aurait senti sous sa dent (qui, elle, ne rayait pas le parquet) que le cadavre bougeait encore, que son sang sucré et glycériné, chargé de globules de rouge et d'échardes de chêne, continuait de circuler vivement**, suscitant encore et toujours la convoitise des vampires de la Finance. Ayons la délicatesse de ne pas commencer à déboucher les bouteilles et décacheter l'enveloppe du notaire avant l'issue fatale. Contenons-nous! Réprimons nos instincts.


Voici donc, avant la fin du match, l'ouverture de la tertulia. Soit. Occupé par la recherche des faits sur les conditions exactes de la vente du Wine advocate, je ne me suis pas encore laissé aller au commentaire. J'ai d'ailleurs été pris à partie sur ce sujet, notamment par mon cher ami Nicolas de Rouyn qui, pour le coup, m'utilise comme boute-en-train lui permettant d'introduire la pensée du critique Michel Bettane (dont il se fait pour le coup l'organe officiel) sur cette question de "l'après-Parker." D'autres ont emboîté le pas, jouant des coudes pour être sur la photo, vendant un à un leur camelote, prêchant pour leur paroisse.
Las, je ne suis pas devin, ni voyante, ni oracle. Si je tue une bête, ce n'est pas pour lire dans ses entrailles mais pour la bouffer. Je ne suis qu'un pauvre buveur de vin. Un consommateur, un "anonyme" comme on dit désormais à la télé, un de ces "anonymes" dont on fait les foules. Dans ces (médiocres) conditions, je ne vais pas vous dire, n'étant pas assez malin, ce que je vois dans ma boule de cristal mais ce que je souhaite. 
Évacuons d'abord les considérations sur Robert Parker lui-même, et surtout son œuvre. J'avais eu l'occasion de l'exprimer lors d'une autre sépulture, celle de Jay Miller, son impayable numéro deux. Vous trouverez tout cela à la fin du texte qui est au bout de ce lien. Et si vous voulez en savoir plus, si l'intelligence ne vous rebute pas, vous ne pourrez pas mieux faire que lire l'article limpide publié hier par un de mes blogueurs favoris, le marchand de vin helvète Jacques Perrin. Pour le reste, je n'ai pas envie de tomber dans l'algarade inutile ou l'irrespect braillard. D'ailleurs, chacun le sait, on ne dit pas de mal des (presque) morts. Vous me permettrez quand même, messieurs, même si je conçois la nécessité des propos de circonstance, de ne pas trouver "globalement positif" le bilan du parkerisme et accepterez que je laisse à d'autres le soin de jouer le rôle du "petit télégraphiste" de Monkton***.

Pour l'avenir, parce que c'est ce qui nous intéresse, je le répète, n'enterrons pas César trop vite, même si nous savons tous comment est orchestrée la communication lors des cessions d'entreprises, dans la Presse notamment. Le Wine Advocate, s'appuyant sur la statue du Commandeur et vendant sa crédibilité, pourrait bien devenir une formidable machine à pognon en Asie. Je vois d'ici les "produits dérivés", les revues sur papier glacé distribuées dans les hôtels de luxe et les avions, les salons, les cours de dégustation, les conférences où Uncle Bob en chair et en os viendra faire risette devant des foules ébahies. On mettra même peut-être au point un Comité de Sélection qui acceptera ou pas l'obole, forcément généreuse, de clients, pardon, de partenaires, qui viendront soutenir l'action éducative du Maître. Moi, je vous le dis, ça aura de la gueule****! Évidemment, dans tout ça, le côté "héritier de Ralph Nader", critique indépendant, défenseur du consommateur va légèrement se patiner. Arrivera alors la fin de la fin de la Pax parkerana instaurée depuis trente ans sur le monde du vin spéculatif, avec la bénédiction de plusieurs grandes tribus de producteurs conquis.
Ce que je souhaite, donc, en tant "qu'anonyme", en tant que buveur de vin, c'est très clairement le retour au village gaulois. Que le bordel de la fin de l'Empire, avec ses risques mais aussi ses opportunités, augure une période de relative anarchie. Que les valeurs solidement établies sous César (et généralement reprises par ses légats et ses tribuns), parfois même sans qu'il n'en donne l'ordre, puissent être bousculées. Pas pour le plaisir de briser des idoles ou de décapiter des statues, ce n'est vraiment pas le genre de la maison, mais pour que l'on revienne au temps du grand Pan, avant le monothéisme, dans la joyeuse et païenne incertitude du vin. Pour que l'on renoue, devant chaque bouteille, avec la part de mystère, un peu comme l'on regarde une femme qu'on n'a pas encore vue nue. Pour que nous tous, lascifs et jouisseurs, dévergondés, puissions, toute honte bue, nous abandonner à nos sens, nous laisser aller à nos émotions. Qu'après celui des comptables vétilleux arrive le temps des hédonistes. Pour qu'il soit possible officiellement de penser autrement. Ce que beaucoup d'entre nous, esprits "barbares", ne s'étaient pas privés de faire…
J'espère du coup que le métier de marchand de vin sera revalorisé, qu'à nouveau on osera, que le doute sera permis, qu'on en finira avec ces diafoirus qui vous récitaient des listes de cotations et des courbes de valeurs. Vous me direz qu'avec la perte d'influence de César, les quelques bosses faites à sa cuirasse, la troupe enflait de ceux qui contrevenaient à la loi romaine (tel Jacques Perrin cité plus haut). À cet égard, ce n'est pas le moindre intérêt du mouvement du vin "nature" que d'avoir servi de Réaction à l'internationalisation du vin que bâtissaient les légions de Parker. Qu'arrive le temps de l'équilibre!


La grand' messe annuelle des Primeurs bordelais risque bien sûr de perdre progressivement de son éclat. Tout était bien rôdé, les Châteaux sortaient l'argenterie, les nombreux participants faisaient semblant de noter consciencieusement des maquettes de vin, en prenant des airs pénétrés de vendeurs d'Airbus, chacun était persuadé que son avis comptait au moins pour une voix, alors qu'en fait, comme au Circus Maximus, on n'attendait que le geste de César, tremblant qu'il ne baisse le pouce. Et si l'on en finissait avec les jeux du cirque, comme l'ont suggéré certains? Arrêter les Primeurs, mais vous n'y pensez pas! Moi, en tant que consommateur (désormais privé d'Advocate), ça m'apporte quoi, les primeurs?
Libérés du joug, les producteurs (pour ceux que ça intéresse encore) pourront peut-être reprendre leur mission agricole, refaire les vins de leurs terroirs, des vins à leur goût et non à celui de tel ou tel. Beaucoup, comme la majorité des Bourguignons, de ceux de la Loire ou du Sud-Ouest, par exemple, n'ont pas plié devant la Pax Parkerana. Dans les domaines avalés par les multinationales et les investisseurs institutionnels (encore un effet induit de cette Pax…), chez les énarques de la barrique, ce sera un peu différent; Parker, en tant qu'agence de notation amie, violemment indépendante mais pas si méchante que ça si l'on filait droit, va beaucoup manquer. Et je sais le trouble immense de certains pays comme l'Espagne où l'on brûlait chaque matin quelques tonnes de cierges en priant pour que l'humeur de César et de ses prêtres soient favorables, où l'on sacrifiait et faisait sacrifier chaque années des milliers de chênes en son honneur… Il va falloir à apprendre à faire sans. Passée la commotion, c'est enthousiasmant!
Parce qu'imaginez, une fois que le bon peuple des "anonymes" aura bien assimilé l'idée qu'un vin à 85 points n'est pas forcément "moins bon" qu'un autre à 95 points, il se pourrait même qu'on se mette à reprendre le goût, dans chaque pays, du vin paysan, artisanal. Il se pourrait que la pièce unique, tricotée main, même imparfaite, ne soit pas moins bien considérée que le prêt-à-porter. Il n'est pas inconcevable que, sans la vénérer, on admette la cyclothymie, les sautes d'humeur, qu'on puisse boire tantôt un "grand vin" à l'ancienne (comprenez comme du temps de Parker…) qu'un jus un peu plus rock n' roll. Que se brisent les dogmes, l'Action et la Réaction, qu'on avale pour le plaisir, que le business et la politique arrêtent de polluer nos verres. Enfin, là, encore une fois, pour les vins de terroir, les vins dont les créateurs ont quelque chose à dire avec leurs mains.
Parce que, franchement, les autres, les vins "parfaits", éventuellement avec des nichons refaits et des lèvres botoxées, on pourra les fabriquer partout, en Chine comme ailleurs. Et les dépositaires de la pensée, les exécuteurs testamentaires de l'Imperator continueront avec allégresse de leur décerner des 100/100 qui ne voudront plus dire grand chose qui feront sûrement frétiller les crédules, les débutants et les impuissants qui ne comptent le pinard qu'en dollars.


Venons-en à la question qui taraude la plupart de ceux qui s'interrogent avec angoisse sur "l'après-Parker": qui succédera à César? Là où je m'accorde avec Nicolas de Rouyn et Michel Bettane, c'est qu'il est difficile d'imaginer, dans des délais brefs, un nouveau messie se lever et triompher à la façon de son prédécesseur. Avant même d'être un problème de casting, c'est un problème de contexte, et d'époque. La critique du vin n'est plus du tout dans le même état aujourd'hui qu'au début des années quatre-vingts; aujourd'hui, ceux qui veulent lire pour se faire opinion ont à leur disposition une multitude de sources, cette multitude morcelant, par voie de conséquence, le pouvoir individuel de chacune des sources. Ce "bordel", que j'évoquais plus haut, je l'appelle de mes vœux. Le village gaulois. Planétaire. Cependant, il est difficile de nier qu'ils seront nombreux (Marc-Antoine, Brutus, Octave…) à tenter d'inventer le possible. Souhaitons-leur juste, s'ils veulent conserver un brin de crédibilité, de commencer par goûter les vins à l'aveugle (ce que les "grands Châteaux" n'accepteront jamais: on joue en Bourse, pas à la Loterie!) et qu'ils tiennent compte de la culture gustative des lecteurs auxquels ils s'adressent, pays par pays.
Mais, à l'époque d'internet, le critique 2.0 n'a-t-il pas d'autre rôle à jouer que celui César? N'a-t-il pas mieux à faire que de nous délivrer des ordonnances? Je veux bien apprécier la qualité du Carrare avec lequel Nicolas de Rouyn me sculpte une majestueuse statue de Michel Bettane en sage impartial: " Je peux mettre de très bonnes notes à des vins qui ne sont pas à mon goût ou qui ne correspondent pas à ma vision du vin, sauf défaut, bien entendu." Le tout m'expliquant, entre deux coups de ciseau, que "les critiques n’établissent pas une « dictature du goût », ils expriment ce que Bettane appelle « le contenu technique du vin et ils en décrivent les saveurs.»" Je veux bien croire à cette belle objectivité, je veux bien. Mais je me dis que si ce fin lettré qu'est le "Parker français" devait remonter sur une estrade, j'aimerais tout autant que ce soit pour m'emmener en balade sur les ailes du vin que pour me donner des listings de notes, dont, personnellement, je me contrefiche. Je pense avoir passé l'âge de mesurer, de peser, de quantifier mes désirs, mes envies, mes amours et mes passions. Avec ou sans César, dont "l'après" pour moi ne date pas d'hier.



* Bizarrement, alors que c'est une femme qui en apparence emporte le morceau, Lisa Perrotti-Brown, peu d'entre elles jusqu'à présent n'ont occupé le terrain de la succession. Le temps des Papesses se fait attendre…
** J'en veux pour preuve les statistiques de mon blog qui se sont envolées alors que j'étais le premier à annoncer en français la vente, totale ou partielle, du Wine Advocate.
*** Les plus anciens comprendront. Pour les plus jeunes, élevés à la vanille et au chocolat, vous trouverez de la documentation ici (pour le "bilan globalement positif") et (pour le "petit télégraphiste")
**** À ce moment précis, je ne sais pas pourquoi, mais je pense à Pancho Campo. Et je compatis. Sincèrement.

Commentaires

  1. Dites, Soo Hoo, vous l'avez inventé, non ?
    http://www.youtube.com/watch?v=MeWC59FJqGc

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    1. Je ne pense pas, non. Nous l'évoquions à l'instant avec Dr Vino (Tyler Colman), n'hésitez pas à visiter son blog, il est maintenant dessus…

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    2. Tiens vous voyez, l'AFP vient de reprendre les $15M dont je parlais hier, pardon que "j'inventais" hier…
      http://sg.news.yahoo.com/parker-sells-wine-advocate-stake-15-mn-report-090649364.html
      Il ne leur reste plus qu'à "inventer" Soo Hoo…

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    3. C'est donc l'AFP qui a financé Soo Hoo. L'AFP est une riche agence qui prête beaucoup et reprend vite. Le taux d'intérêt est-il connu ?

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  2. Plein de choses à répondre, trop. Ça viendra, là c'est moi qui n'ait pas le temps. Alors juste merci pour le double lien. Je te dirais si les stats s'affolent

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  3. Qui remplacera Parker? Mais on s'en branle tous, à vrai dire, et encore plus ceux qui viennent lire ce web. Tournons la page: C'EST FINI!

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    1. C'est drôle comme les avis des anonymes sont systématiquement violents, tonitruants, puissants! Un peu comme les vins qu'aime l'Uncle Bob, non?

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    2. Non, je ne le pense pas ; on n'est pas sur facebook, ici

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