Trop d'expo tue…?


À Vauban, cela valut la disgrâce. "Trop d'impôt tue l'impôt!" dit-il, en substance, bien avant que ne soit établie la Courbe de Laffer, en fait le vrai auteur de cette maxime. Plus que l'ultra-libéralisme, ce que prônait l'infatigable architecte, c'était une forme d'équilibre fiscal, d'arrêter de "tuer la bête". Louis XIV, noyé dans la poudre et les perruques, fit là une nouvelle erreur, de celles qui, quatre-vingts ans plus tard, coûtèrent peut-être le pouvoir à ses successeurs. N'oublions pas Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban; personnellement, je pense à lui chaque fois que je longe le Canal du Midi*.
"Trop d'expo tue l'expo" serais-je tenté de dire pour le plaisir de la formule alors que s'accumulent dans ma boîte à messages les annonces de salons, de rencontres, d'évènements pinardiers. Je sais, la fin de l'année et ses réjouissances obligatoires arrivent à grand pas, c'est le moment ou jamais, il faut vendre! Salon des vins comme ci, rencontre des vins comme ça, en cette saison, on se demande avec tous ces vignerons en ville s'il en reste encore dans les vignes pour la taille.


À côté des grosses machines, qui tournent depuis un bout de temps, comme Le grand tasting de Bettane & Desseauve (qui se tient aujourd'hui et demain au Carrousel du Louvre), est apparue ces dernières années, ces derniers mois une foule d'évènements qui s'adressent aux particuliers. Tout cela est généralement d'un abord éminemment sympathique, se déroule dans une ambiance qui hésite entre l'associatif, le militantisme et le rabelaisien. Les producteurs parlent aux consommateurs, on est à fond dans la tendance. Le plus souvent, j'y perçois des tonnes de bonnes intentions, mais ne sont-ce pas celles dont on pave l'enfer?
Laissez-moi le temps de déballer ma banderole du Cid-UNATI, et je vous explique le fond de ma pensée. Ces salons sont organisés, bénévolement ou pas, par des gens qui ont par ailleurs un vrai métier. Mais il se trouve que vendre du vin, en ville, le distribuer, jour après jour, à une clientèle qu'on essaye de fidéliser, de convaincre, d'éveiller, c'est aussi un métier, celui que tentent de faire les derniers cavistes, ceux que le rouleau compresseur de la grande Distribution n'a pas écrasé.


Moi, ces gens-là, les cavistes, que voulez-vous, je les aime. Leurs boutiques ont remplacé dans mes rêves le magasin de jouets de mon enfance, avec ce qu'il faut de trains électriques Märklin, de maquettes Revell et de voitures Solido. Ce n'était pas loin de chez moi, je faisais le détour en rentrant de l'école pour aller contempler sa vitrine de Noël. Parce qu'à l'époque, le bonhomme au traîneau n'allait pas se fournir en banlieue… Oui, je les aime, ces petits cavistes, tous. Y compris les gros cons qui vendent de la daube en toute connaissance de cause, les vieux cons qui oublient de faire vivre l'héritage familial, les sales cons qui vous prennent de haut, les jeunes cons qui se font photographier sur Facebook avec les étiquettes à la mode. Je ne fais pas le tri, aucun droit d'inventaire, c'est l'idée qui me plaît, celle du type au coin de la rue qui me vend mon vin quotidien. Vous savez que je me méfie comme de la peste de la ritournelle du c'était-mieux-avant, mais j'en ai marre d'avoir à courir après les souvenirs, à fouiller les vieux bouquins pour retrouver les images de cette France boutiquière, symbolisée entre autres par le nez rouge du bougnat.
Le mois de décembre qui s'ouvre fait partie de ceux où les cavistes sont censés réaliser une bonne partie de leur chiffre d'affaires. Trente, quarante, jusqu'à cinquante pour cent du total annuel. Amis consommateurs, la fin du Monde qu'on nous prédit pour le vingt-et-un ou le vingt-deux du mois, je ne sais plus, sachez que, si vous oubliez qu'ils existent, pour eux, elle aura bien lieu. Au delà des fanfaronnades, certains d'entre eux commencent à entretenir avec leur banquier un lien épistolaire trop intense pour être durable. C'est de survie dont il est question.


Allez donc dans les salons serrer la louche de votre vigneron préféré, ou de celui qui deviendra votre vigneron préféré. Continuez de courir les caveaux, en me pinçant le nez, j'accepte même (péniblement) l'idée qu'en cachette vous alliez occasionnellement pousser un caddie de vins foireux, mais ne tirez pas trop sur le caviste.
À quelqu'un qui me posait récemment une question macabre "quel serait le dernier vin que tu aimerais boire avant ta mort?", je ne savais pas vraiment quoi répondre. C'est un peu le truc du bouquin sur l'île déserte, et encore, là, on peut embarquer une encyclopédie! Eh bien, je crois que j'ai trouvé. Vivant en Espagne, cette question de l'ultime bouteille prend d'ailleurs un tour assez particulier, car ici, entre gens bien élevés, on n'évoque jamais le dernier verre. Même au bistrot, on ne le commande jamais, pas de "p'tit dernier pour la route!" Ça porte malheur. Plutôt que le dernier, en Espagne, on dit l'avant-dernier, el penúltimo, c'est ainsi. Donc, avant que "trop d'expo ne tue le caviste', mon penúltimo, il peut venir de plein de terroirs de France et de Navarre, mais ce qui me ferait plaisir, par dessus tout, c'est que cette petite bouteille ait été achetée chez le type de la petite boutique, au coin de la rue.


* sans son intervention salvatrice, à la fin du XVIIe siècle, avec l'aide d'Antoine Niquet, le Canal du Midi était inutilisable, prêt à être abandonné car ruiné, ensablé. Il rejoint ainsi dans la légende de l'ouvrage Thomas de Scorbiac, celui qui semble-t-il trouva la clef, à savoir l'alimentation en eau du Canal, et qui fut dépossédé de son idée par Riquet, lequel profita du protestantisme de Scorbiac, pas très en vogue sous Louis XIV.

Commentaires

  1. Oui tu as raison Vincent : sauvons les cavistes. Et ne pas oublier que les cavistes en ligne, même si ils sont derrière leur ordinateur ou leur smartphone la plupart du temps sont aussi des gens sympas, accessibles et prêts à vous aider ;o)

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  2. Ce serait pas mon genre de poser une telle question !

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  3. Bonjour Vincent,

    c'est un point de vue, mais ne pensez vous pas que ce genre de manifestations alimente au contraire la curiosité et l'intérêt des gens pour le vin et les vignerons qui se tourneront peut être ensuite vers un caviste plutôt que vers leur supermarché! Il me semble que toute dynamique de contact direct dans ce domaine est bonne à prendre...

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  4. J'aime bien l'article sur le "trop d'expo". Je suis plutôt d'accord avec l'esprit de défendre les cavistes, mais les actions directes des vignerons ne sont pas inutiles. En revanche, beaucoup de manifestations surfent sur l'engouement des gens pour le vin et ne servent pas toujours l'intérêt bien partagé caviste-vigneron. Néanmoins, je suis bien placé pour savoir que plus on parle du vin mieux c'est. D'autant que la demande de rencontres sur le vin est forte de la part des particuliers et que beaucoup de vignerons souffrent de la mévente.

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