Sommelier ou loufiat ?


Je me souviens, dans une autre vie, d'un vieux patron de Presse qui disait: "un journaliste enfermé dans un bureau, c'est un journaliste malade". Cette phrase m'est récemment revenue à l'esprit, alors qu'on m'entraînait dans une interminable tertulia, une "discussion d'après" sur ma critique de la carte des vins bling-bling, hors-sol, du restaurant basque Etxebarri. Depuis, d'ailleurs, je sais qu'un petit jeu s'est mis en place pour tenter de percer le secret de cette carte sans âme, sans amour, sans finesse, "quel sommelier a bien pu la créer?" se demande-t-on dans le mundillo pinardier espagnol, catalan en particulier. Question à laquelle j'ai envie de répondre: "n'importe qui, sauf un sommelier". Car il faut s'entendre sur la définition de ce terme "sommelier".


Malheureusement, on voit trop souvent le sommelier comme un loufiat chargé de déboucher les bouteilles et de remplir les verres avec un cérémonial plus ou moins pompeux, en prenant un air plus ou moins compassé. Pour ma part, s'il ne s'agit que de ça, que d'un croquemort portant le deuil de votre soif, d'un gâte-plaisir qui rend le vin triste, d'un intercesseur obligé entre le flacon et soi*, je m'en passe volontiers. Surtout de ce côté-ci des Pyrénées, où ce pénible modèle-là tient lieu d'archétype.
Peu importe. Passons à la vitesse supérieure, grimpons les échelons. Si le préposé aux boissons a, en plus, le bon goût de s'intéresser au vin et à la nourriture, notamment à celle préparée dans l'établissement qui vous reçoit, de vous suggérer des façons de les marier l'un et l'autre, je veux bien admettre un début d'utilité à ce corps de métier.
Envisageons, soyons fous, qu'en plus des conditions précédentes, l'employé en question aime le vin**, cherche à stimuler vos envies, à faire qu'éventuellement un verre en appelle un autre, qu'il fasse preuve d'une certaine empathie, qu'il ait de l'esprit, qu'il arrête de faire systématiquement où on lui dit de faire… Vous imaginez le plaisir que ça serait?


Et tant qu'à rêver, délirons. Imaginons que cet individu décide de jeter au feu les guides des vins convenus, les encyclopédies para-commerciales à réciter par cœur et arrête de compiler les notes de Parker et des autres télé-évangélistes du même tonneau. Imaginons, et c'est là que j'en reviens à mon vieux patron de Presse qui n'aimait pas les journalistes casaniers, imaginons qu'il mette le nez dehors, qu'il sorte de son univers clos pour partir à la découverte des vignobles. Déjà, ça lui donnerait meilleur mine. Mais, surtout, loin des poncifs et des certitudes, à l'opposé du Mondovino où 1+1=2, il rencontrerait ces gens bizarres qu'on appelle des vignerons, ces gens aux mains calleuses et à la générosité proverbiale, ces gens qui connaissent le vin au quotidien, de l'intérieur et donc, au moins aussi bien (humour…) que ceux qui en font des livres. Il boirait avec eux, desserrerait un peu son nœud de cravate, cesserait progressivement d'être une pièce rapportée, finirait par vous rapporter des trésors de cave connus de lui, et de lui seul. Vous étonnerait. Bref, deviendrait tout simplement un sommelier.
Alors je sais, des gens comme ça, des "vrais" sommeliers, ça existe, j'ai quelques noms sur le bout de la langue. Mais il y a encore trop d'endroits, en Espagne en particulier, où ça reste un rêve, où le loufiat engrappé tient le haut du pavé. Et donne envie de boire tout, sauf du vin.



* avez-vous remarqué que plus le restaurant se veut chic, plus la bouteille ou la carafe sont posées loin de vous, hors de portée?
** car il en existe de plus en plus qui n'éprouvent pas le moindre sentiment pour le vin, lequel est juste un "outil de travail", qu'ils ne boivent pas, dont il ne pensent absolument pas à déboucher une bouteille en dehors du cadre professionnel.

Commentaires

  1. Quelle grande vérité. Combien de Sommeliers son pompeux et récitent ce qu'ils ont appris à l'ecole?
    Et comme tu dis ils y en même qui ne boivent pas de vin et ne transmettent aucunes envies de boire. Pour moi un mec qui aime le vin c'est aussi un type qui ne se prend pas la tête ni au serieux et qui sait lire ta requète et te fait boire ce que tu as demandé et non ce que lui à a vendre ou dont il sort ses plus grosses marges.
    Je me rapelle de ce qui pour moi fut un super souvenir. Nous étions 4 et avec une envie commune celle de boire un canon et comme nous étions en week end sur la coteje lance l'idée de boire un bon Bourgogne pas loin était le villa mas. 3 min plus tard nous arrivons sur cette terrasse. Je passe ma requête a Carlos qui me répond..."ok j'ai ce que tu veux..." la partie magique c'est qu'il revient litérallement bouteille sous le bras.(non,non ce n'est pas un jeu de mot) il aporta la bouteille sans panier sans artifices...ouvert entre ses jambes mais....avec de superbes verres et le vin était a temperature. Je me souviens ce fut un de ces rare 2003 bien fait et de Vosne Romanée...
    C'est un peu ca que je recherche aussi chez le Sommelier et que je ne trouve que très rarement.

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    1. C'est sûr, mais Carlos est tout sauf sauf un sommelier. Il s'en méfie d'ailleurs comme de la peste.

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  2. Oui je sais mais imagine un sommelier comme lui dans un bon bistrot ou bar a vin?? Ce serais bien plus rassurant pour le consomateur.
    Salut

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