Soufre et hygiénisme.


On le sait, dans le Mondovino, face à certaines clientèles, le "sans-soufre" affiché, clamé, revendiqué est un argument marketing de première bourre. Pourquoi pas, après tout, il en vaut bien d'autres, au moins aussi minimalistes: est-il plus ridicule de ne juger un vin qu'au travers de sa dose de sulfite que de s'intéresser à un cru uniquement parce qu'il coûte cher, qu'il est classé et que son propriétaire à une grosse bagnole*? Tout cela est une question d'opinion, de choix politiques, "d'avoir ou pas une Rolex à cinquante ans", soyons respectueux des idées des autres.


La limite de l'argument marketing du "sans-soufre", à mon humble avis, c'est quand il commence (passez-moi le mauvais jeu de mots) à faire souffrir le vin. J'en discutais fort civilement ce matin avec Antonin Iommi-Amunategui, blogueur engagé; il y a peu, via Rue89, il a choisi de donner plus de visibilité à un rapport de l’Agence nationale de Sécurité sanitaire, rapport étudiant le contenu de ce qu'ingèrent les Français. Il se trouve que quelques lignes de ce rapport de vingt pages spécifient qu'une "faible proportion des adultes (3 %) dépasse la dose journalière admissible des sulfites, principalement en raison de la consommation de vin (environ 70 % des apports de sulfites) et de certaines boissons alcoolisées". L'Anses suggère donc de "poursuivre les efforts déjà engagés pour réduire les expositions par une diminution des usages des sulfites et par un abaissement des fortes consommations d’alcool". Très bien.
Sous la plume d'Antonin Iommi-Amunategui, cela devient: "À cause du vin, un million de Français en surdose de sulfites", ce qui est déjà plus inquiétant, surtout dans un webmagazine à vocation généraliste. On se met même à trembler quand, un peu plus bas, en caractère gras, on lit: "Les sulfites, un «risque toxicologique»". Là, on est quelque part entre Seveso et Fukushima.
Pour de nombreuses raisons, en tête desquelles mon amour immodéré du vin, je ne suis évidemment pas partisan d'un matraquage des jus, ni au SO2 ni à rien d'autres. Je n'ai pas spécialement envie non plus de me faire l'avocat du soufre, je veux bien lutter contre les idées reçues mais la perspective du martyre de saint Sébastien ne m'enchante guère, pas plus que celle de débats scientifiques à l'iranienne avec des détenteurs de bacs littéraires. Je veux juste répéter ici ce que je disais ce matin à Antonin Iommi-Amunategui. Il me semble que si l'on réduit le vin à ses possibles effets nocifs sur la santé, le boomerang va vite nous revenir dans la figure. Au delà de cette histoire de soufre, d'une certaine façon sanitairement assez anecdotique, est-ce le rôle des amoureux du vin que d'apporter de l'eau au moulin du Pr Got et sa clique hygiéniste? Ne vont-ils pas sauter sur l'occasion pour nous expliquer à quel point le vin est un poison? Le tout sur l'air de "on vous l'avait bien dit ma pôv' dame…" Mais, eux, il ne vont pas jouer à touche-pipi avec quelques milligrammes de sulfites, on va parler de grammes, de grammes toxiques, de l'alcool contenu dans chaque bouteille et du nombre de décès annuels qui en découle. "Regardez, ajouteront-ils, perfides, ces cirrhoses et ces cancers du foie, jusque chez les vignerons!" Car effectivement, il n'auront pas tort, avant que dans le vin nous absorbions des doses létales de soufre, l'alcool nous aura tué depuis longtemps!
Donc, oui, j'en suis convaincu, Antonin, vendre le vin ou une catégorie de vins en faisant cause commune avec l'hygiénisme est une pente savonneuse. Ne nous trompons pas de combat.



* ou un hélicoptère, ce qui est quand même moins vulgaire (au sens propre du mot "vulgaire", ordinaire, quoi)
** À cet égard, il faudra un jour qu'on parle des substituts du soufre qui sont parfois aussi assez diaboliques.


Commentaires

  1. Bon, les comm s'égarent…
    Je disais que non, Got et sa clique ne peuvent pas revendiquer le qualificatif "hygiéniste". Ils n'ont jamais fait avancer l'hygiène publique. Ils sont des prohibitionnistes, rien d'autre.

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