L'amère gorgée de bière.


L'amère, pas la première gorgée de bière. Car ce n'est pas nouveau que je vous parle de jus de houblon ici. D'habitude, c'est pour en dire du mal, plutôt pour dire du mal de ces millions d'hectolitres de binouzes industrielles sucrailleuses et artificiellement aromatisées qui prennent d'assaut les côtes espagnoles tel un tsunami de mauvais goût. J'évoquais notamment dans cette chronique (ça rime avec chimique…) la "merveilleuse" Inedit d'Estrella Damm, une mousse DeLuxe qu'on ne manquera pas, j'en suis persuadé, de servir dans les monstrueux casinos d'Eurovegas (si jamais cet odieux projet voit le jour) auxquels elle me semble parfaitement assortie. Pour mémoire, grâce notamment aux efforts constants de certains de ces gargottiers étoilés, la consommation de bière en Espagne a atteint 84,5 litres par an et par habitant, soit un niveau comparable à celui de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne (mais pas avec les mêmes produits…). Parallèlement, la consommation de vin a décliné jusqu'à frôler les dix litres, c'est-à-dire cinq fois moins qu'en France ou en Italie.


Mais c'est d'amertume positive dont je veux vous entretenir, celle de la Lug de L'anjub, une bière artisanale brassée au bord de l'Èbre, entre Priorat et Terra Alta. J'ai adoré la précision de cette bitter de fermentation haute, très peu alcoolisée (3,5°), très sèche et extrêmement digeste, voire digestive. Une mousse blanche abondante, une couleur assez claire, ça se vend en bouteilles de trois-quart de litre et ça se boit avec allégresse, surtout dans la moiteur de cette fin de juillet; je la verrais bien également à table sur des tapas de la mer, des moules, en remplacement des vins blancs si difficiles à trouver en Catalogne*. La brasserie L'anjub produit également d'autres styles, dont une extra stout Juliett, qui rappelle vaguement la Pelforth brune, en plus net, plus corsé aussi, plus malté, avec des arômes de café noir et de chocolat amer.


C'est tout bêtement au cours d'une fête de la bière que j'ai découvert ces deux canettes. Pas à Munich ou à Strasbourg, non, à Barcelone, à la Fira del Poblenou qu'organisait samedi dernier une excellente petite boutique de bières régionales et importées*. L'occasion, entre Hell's Angels tatoués en catalan et néo-bab's adeptes de la Birckenstock (ça ferait une bonne marque de pils, ça d'ailleurs!) de découvrir une fois de plus la popularité de cette boisson. Comme nous le disait David Perramon, le caviste du quartier, une fête du vin n'aurait sûrement pas fait le plein de cette manière. Son explication ne manquait pas de pertinence d'ailleurs, estimant que pour les gens normaux, en Espagne, le vin, ça fait trop snob, trop prétentieux et donc, ça les en éloigne. Il est vrai que pendant une vingtaine d'années, entre parkérisation à outrance et wine éducation gâte-plaisir, les pisse-froids ont fait du beau boulot dans ce pays pour rendre frigides les palais et les bouteilles…


N'empêche que grâce à une des charmantes lectrices d'Idées liquides & solides, Stéphanie, j'ai trouvé lors de la Fira del Poblenou le chaînon manquant entre le vin et la bière: la Garnatxa Beer, une pale ale refermentée en bouteille avec du moût de grenache du Priorat. Franchement, vu l'indication "criada en roure francès Allier" sur l'étiquette, je craignais le pire, je me suis même dit que les Espagnols avaient trouvé là l'occasion d'apporter au monde de la bière leur incontestable savoir-faire en matière de "pipes à Pinocchio". Pas du tout! Même si on n'a pas l'originalité de la Lug de L'anjub, le résultat est amusant, pas sucrailleux comme le veux la tradition locale, avec même un côté tannique assez intéressant qui vient bien retendre l'ensemble. Je n'en boirais pas toute ma vie, mais je suis bien content de l'avoir goûtée, surtout là où se tenait la fête, sous les fenêtres des Alcohólicos anónimos du quartier.



* Ne râle pas, Ivo, je n'ai pas oublié tes Sirenes de Cadaqués!
** La Cervecita, C/ Llull, 184 08005 Barcelona.


Commentaires

  1. Eurovegas... Voir dans les archives online de La Vanguardia un récent article intitulé "España, pais de putas y camareros"

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