Y'a pas débat !


Qui l'a gagné ce débat? Je vous le dis tout net, y'a pas photo! Évidemment, les non-Français* vont se demander de quoi je parle et quel est ce débat dont l'issue m'interpelle. Je leur signale que ce blog, malgré son exotisme, les sombreros et les mantilles, conserve un certain penchant hexagonal et qu'hier soir "les meilleurs d'entre nous", les deux éventuels futurs présidents débattaient de leur avenir en France.
Qui a gagné? Pas la viande, c'est sûr! Parce qu'un débat, c'est bien, mais ça ne remplace pas le dîner qui l'accompagne, un dîner viandard, saignant comme les coups que l'un et l'autre ne vont pas manquer d'échanger. Avoir envie, au débotté, d'un beau bout de bœuf, ça va à Paris, à Madrid, à Toulouse ou à Bordeaux**… Mais, à Barcelone, c'est la cata! Cette ville est vraiment fâchée avec la viande. On vous rebat les oreilles de vedella ou de bou, baby-bœuf ou vieux veau au choix, mais, la plupart du temps, débarque dans votre assiette de la jeune vache molle construite dans des usines du côté de Gérone et servie bien trop fraîche. Un jour, j'ai même entendu un cuistot récompensé jadis du titre (honorifique?) de "meilleur jeune cuisinier catalan" raconter fièrement qu'il n'avait jamais goûté de viande de Galice, pourtant la référence en Espagne***!
Hier soir encore, alors que cette envie subite et bovine me tombe sur le râble à l'improviste, avant que les taurillons n'entrent dans l'arène, je me rends au marché en quête de l'oiseau rare. Devant les étals, impossible de ne pas se rendre à l'évidence: je suis à Barcelone. Pas de viande "sérieuse", des entrecôtes maigres et rosâtres. Pour dire (l'envie est tenace…), je me tourne vers le seul morceau acceptable, passable: "carne del Nebraska" me précise fièrement, en castillan, la vendeuse (la figure tutélaire du boucher n'existe pas en Catalogne, le prix fait la qualité). Ici, identité culturelle ou pas, langues régionales ou pas, l'Amérique, ça continue de "faire riche"


Franchement, quelle couillonnade que d'aller chercher une histoire pareille à sept mille kilomètres de chez soi! Je m'assois sur mes principes, tente l'aventure, paye fort cher**** (bien plus que chez mon cher boucher toulousain, Dedieu, pourtant réputé fort cher!) une tranche d'entrecôte molle, trop jeune et trop fraîche, que je mettrai lentement à température et que je travaillerai au gras. Je m'enquiers au passage auprès de la boutiquière, pour la énième fois, des raisons de l'absence des meilleures viandes du pays dans sa belle boutique. Visiblement, l'entrecôte n'est pas son métier (pas plus que celui du cuistot sus-cité), elle le connaît aussi bien que je maitrise le point de croix… Je me sauve en achetant des petits pois, pesols comme on dit localement; avec un oignon Figueres, de l'huile majuscule de Baena puis une pointe de fino, sautés à la poêle, ça rattrapera le coup de la bidoche immigrée (j'écris ce mot, "immigré", pour faire tendance, mec qui lit les journaux; apparemment, d'un côté comme de l'autre, il n'y a que ça qui fasse ventre, comme si l'on ne se nourrissait qu'en regardant dans l'assiette du voisin).


Boudin en boîte du Poitou, excellent, réfrénant la douceur du gentil muscadet-château-thébaud 2007 (encore bien trop jeune) de chez Poiron-Dabin, pain portugais, voila les hostilités lancées! Les pois sont cuits, agrémentés d'une légère touche de gras de jambon d'Els Casals. La viande, j'essaie d'en faire ce que je peux, lui faire oublier sa flasque condition: caraméliser, dynamiser, retendre… me voila chirurgien plastique en Californie! À la télé, on se chamaille, entre "c'est mieux chez nous" et "l'herbe est plus verte ailleurs" (allez y faire un tour ailleurs, vous verrez qu'il n'y a pas grand chose à brouter…). La viande, elle, est mignonne, elle se prête au maquillage.
Et là, sans hésitation, le vainqueur se dessine. Ce nez profond. Cette attaque fraîche. Aux urnes, citoyens! le score est digne d'une république bananière: 100% des voix. Remarquez, nous sommes deux à table, donc ça fait juste deux voix sur deux. Il a mis du temps à venir, une heure ou deux en carafe, c'est un bordeaux, je vous avais dit que j'en avais envie, mais j'en voulais un grand, pas un modèle pour touristes asiatiques ou américains. Majorité absolue! Pourtant, surprise, ce n'est ni un cabernet, ni du merlot. La fin du bipartisme? Dos à dos, les grands crus autoproclamés? Révolution! C'est juste un vin de vigneron, un petit-verdot du pays du petit-verdot. Papin 2008 de Xavier Landeau, à Saint-Vincent-de-Paul, l'orée de la Presqu'île. Des notes fumées, presque viande de renne, d'élégants petits tanins vifs, comme gorgés de jus de griotte. Altier mais proche du peuple, d'une longueur infinie. Vive la France!
Grand seigneur, il se joue de la viande, lui laisse croire qu'elle est belle, la fait passer pour une comtesse. Élégant vous dis-je, ni Corrézien, ni de Neuilly, mais de belle extraction, un vin qui préfère la vérité au mensonge, auquel l'avenir ne fait assurément pas peur. Tout sauf une contrefaçon*****. Oui, y'a pas débat, je vote pour lui. Même à l'aveugle…


* comme le font les hommes politiques, je caresse dans le sens du poil, je me suis rendu compte au travers des statistiques de fréquentation que, malgré ma francophonie, plus de la moitié de mes lecteurs ne sont pas connectés en France
**et dans une multitude de villes françaises grandes ou petites (ah, Parthenay…) mais pas que françaises évidemment.
*** et sûrement une des plus belles viandes du Monde. Galice, cette terre magique, pour le coup s'entend au sens large du nord-ouest de l'Espagne, pas au sens administratif actuel.
**** plus de 40 euros le kilo!
***** nous tentons d'ailleurs, l'unanimité étant telle et la bouteille se vidant vite, d'ouvrir un de ces cabernet & Cie qu'on fait hors zone et qu'aimaient tant Jay Miller et les suceurs de planches qui l'escortaient, peine perdue, le roi est nu!

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