Il faut que je mette de l'eau dans mon vin.


C'est un bon ami, fin connaisseur de l'Espagne, qui m'a mis en garde il y a quelque temps: "je prends un immense plaisir à te lire mais, sois prudent, tu vas te faire des ennemis". Et de me conseiller de "mettre de l'eau dans (mon) vin". Ouais… Je comprends sa crainte, la Presse ici, de droite ou de gauche, sur papier ou numérique, a davantage la culture du "sujet-verbe-compliment" que celle du coup de gueule. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et l'habileté d'un journaliste (plus encore quand il est pinardier) se mesure encore à celle de sa langue. Je veux parler de la langue qui lèche, pas celle qui goûte ou celle qui s'exprime…
"Mettre de l'eau dans son vin", vaste programme et sujet tabou. Sujet tabou quand on parle de vin justement, de vinification. Et pourtant! Si l'on accrédite la thèse du réchauffement climatique, il faudra bien, entre autres solutions, que l'on se penche sans fausse pudeur sur cette technique. Oui, il s'agit d'une technique, d'une technique vieille comme le Monde (sans qu'il soit utile de remonter jusqu'à la piquette pour en voir l'utilisation). Autorisée dans certains pays comme les États-Unis, elle est formellement interdite en France. Mais, les professionnels le savent, couramment pratiquée depuis longtemps. Mouiller le vin, dit-on vulgairement, le "bénir" préfèrent les Provençaux donnant ainsi à cette méthode un accent mistralien. Car, "mettre de l'eau dans son vin", c'est une histoire de soleil, de chaleur, de Sud. Dans les zones méridionales, avec des cépages méridionaux (notamment le grenache), en rouge, ce n'est pas la maturité qui pose problème, mais les excès alcooliques qu'elle suppose (sans qu'il soit pour autant question de surmaturité).

On peut bien sûr "vendanger vert" (pas vendanger en vert…), vendanger pas mûr, avant la maturité des peaux et des pépins, mais, en rouge encore une fois, ça ne trompera que des bricolos de la dégustation* ou des becs de zinc amateurs de malique. De plus, difficile de faire, avec ces raisins-là, de belles bouteilles de garde car la verdeur ressort le plus souvent avec le temps. On peut aussi acidifier, (certains le font avec tellement de talent qu'on ne peut même pas les soupçonner), mais bon, ça ne résout pas le problème, qui est celui du degré… Intervient donc cette fameuse "bénédiction" qui, par parenthèse, peut s'opérer, selon les spécialistes, à plusieurs stades du processus de vinification.
Ça va sembler bizarre à certains mais se pose alors un problème majeur: la qualité de l'eau que l'on va ajouter. Chacun sait l'impact que peut avoir ne serait qu'1% de tel ou tel vin dans un assemblage, à 1% près, on fait basculer un équilibre, eh bien, c'est pareil pour l'eau. La minéralité joue un rôle important, son côté ferrugineux ou pas (je ne plaisante pas…), et avant tout sa teneur en chlore, le chlore étant l'ennemi absolu. Dans le Sud, on dit parfois qu'une bonne cave, c'est aussi une bonne source, cela évite notamment ce dernier problème car on évite du coup de "bénir" avec de l'eau du réseau forcément traitée. Pour ceux qui n'ont pas cette chance, il existe des machines-miracle, qui en traitant par osmose inverse parviennent à éliminer les composés chlorés, responsables de nombreux faux-goûts. L'affaire est suffisamment sérieuse pour que des entreprises se penchent sur le problème et démarchent discrètement des vignerons rhodaniens ou languedociens.


J'entends d'ici les cris d'orfraie! D'abord ceux, fonctionnaires sourcilleux, qui vont rappeler qu'il s'agit d'une fraude, punie en tant que tel. C'est exact, mais d'un autre côté, un vigneron qui prend le temps de laisser mûrir complètement (sans surmarité, je le répète) ses raisins accepte par là-même de les voir "fondre" leur volume en eau comme neige au soleil dans les derniers jours**. La bénédiction ne fera que contrebalancer en partie cette perte; qui plus est, c'est pour améliorer les qualités organoleptiques et l'équilibre des vins, dans l'intérêt du consommateur, que le vigneron fait ça, pas pour tricher sur les quantités! Un aggiornamento, correctement encadré, serait peut-être nécessaire.
Vont ensuite me tomber dessus, comme la vérole sur le bas-clergé, les non-interventionnistes. J'ai envie de leur répondre qu'il s'agit-là d'un geste œnologique somme toute assez "naturel" et utilisé depuis longue date par des vignerons dont ils ont sûrement vénéré les vins. Je n'y sent pas en tout cas de volonté sous-jacente de tricher ou de maquiller le vin, même si effectivement on modifie son équilibre originel (qui était peut-être déséquilibré). À cet égard même si ça n'a rien à voir, je suis infiniment plus choqué par l'utilisation qui est faite souvent in fine, dans les vinifications "non interventionnistes" de la flash-pasteurisation qui techniquement transforme un produit vivant en Caprice des Dieux.
Bref, c'est un sujet assez complexe que de mettre de l'eau dans son vin, mieux vaut y réfléchir à deux fois…


* "Quelle fraicheur! Quelle tension!" Bouffe des pommes vertes, patate…
** par évaporation, mais aussi à causes des nuisibles, les sangliers et les oiseaux qui, comme les amateurs de vin, préfèrent systématiquement les raisins mûrs.

Commentaires

  1. C'est pas demain la veille que nos "bons" fonctionaires des Douanes nous autoriseront cette pratique vieille comme Hérode et que pourtant, changement de climat oblige, nous serons contraints d'utiliser à moins que...tout le monde ne le fasse déjà sans en parler forcément à son douanier ! Allez, l'eau est un produit dangereux à consommer avec une certaine prudence...(future mention obligatoire ?)

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  2. La plus grande millésime pour "Chateau Lapompe" ?
    2003 évidemment !!! tout le monde en a bu sans le savoir,et même du très cher!
    Maintenant pour ce qui est du mouillage,je considère qu' aujourd'hui c'est "indirectement" autorisé en IGP par le biais de l'irrigation .
    Bonne soirée.

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    1. Gus, pas qu'en 2003, et heureusement!
      En revanche, l'irrigation et le mouillage, ça n'a pas les mêmes conséquences; l'un évite les blocages de maturité du raisin, l'autre rééquilibre le vin.

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  3. Hervé Bizeul8 mai 2012 à 19:07

    "bouffe des pommes vertes" : de temps en temps, tu as des éclairs de génie, il faut en convenir ;-)

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