Le vrai luxe. En oubliant l'heure…

La poularde de la ferme des Rovira, simplement rôtie.
Encore un grand repas, sans adjuvants de zone industrielle, sans faux-semblants, sans paillettes. C'était samedi soir à Els Casals cette ferme-auberge des Pyrénées catalanes, ce phalanstère dont je vous ai déjà parlé il y a quelque temps. De grands produits, viandes ou légumes, issus des terres familiales ou, au pire, de celles des voisins et la classe d'un chef de cuisine, Oriol Rovira, qui a suffisamment d'humilité pour s'effacer devant la matière première. Nous sommes, avec un poil de précision en moins dans la lignée de la merveilleuse Ferme de La Ruchotte, ce bijou bourguignon, antithèse absolu des "meilleurs restaurants du Monde" tels que les conçoivent les amateurs, branchés ou ringards, de cuisine-avec-plume-dans-le-cul.
Je vais vous épargner la pénible psalmodie des plats que nous avons mangés et des bouteilles que nous avons bues. Par parenthèse, il n'était absolument pas question de menu-dégustation, ce "supplice de la goutte d'eau" comme l'écrit si joliment le chroniqueur François Simon; non, du vrai, du simple, entrée-plat-fromage-dessert, avec un peu de jambon-maison et deux babioles à l'apéritif. Dans une ambiance où il était question d'asperges sauvages (amis languedociens, prenez-en soin, ça vaut la peau des fesses, ici!) et de pois chiches fondants, un plat extraordinaire a retenu mon attention: "le cochon, de pied en cap". Vous l'avez compris, le porc de la ferme (ibericoXduroc) est servi en pièces détachées, sous différentes formes, boudin, andouille, saucisse, coustelous… une entrée généreuse, accompagné de lingots du jardin.

À Els Casals, le contraire des repas où l'on regarde sa montre…
Cet épithète, "généreux", me fait d'ailleurs penser, en creux, à l'embryon de dîner que j'avais fait la veille dans un prestigieux bar à vins de Barcelone dont la cuisine en revanche, avare et et approximative, n'est vraiment pas à la hauteur de la cave. Après des beignets de morue huileux, on tentait de m'y faire passer pour comestibles des ris de veau bouillis archi-cuits, accompagnés de légumes miniatures (vous savez dans le genre de ce que servaient les chefs maniérés il y a quinze en ans en France et qu'on achète aujourd'hui sous blister au "rayon frais" des hypermarchés); grand souvenir notamment de carottes aussi tendres que des matraques de Mossos* (pour reprendre les termes de mon voisin de table, compagnon d'infortune)! Genre de repas où l'on joue nerveusement avec sa montre en attendant que ça passe. Digne d'un deux étoiles Dunlop
Rien de tout cela, évidemment, à Els Casals où le chef semble plus occupé à cuisiner qu'à se regarder pédaler. Comme en a également témoigné la poularde que nous nous sommes ensuite partagés; cuisson parfaite, chair remarquable d'une qualité pour moins inconnue en Catalogne où la volaille a une forte propension à jouer de la batterie. Seul bémol, après présentation, la découpe a été réalisée en cuisine, on aurait bien aimé y assister, je trouve que ça fait partie du rituel. Un mot pour les desserts, d'une justesse rare, à l'image du flan aux œufs et de ces petits choux à la crème dont j'aurais avalé une pièce montée, du service, efficace, gentil sans être visqueux, les ingrédients d'une bonne soirée sont réunis, le genre où l'on oublie justement de regarder l'heure.


Je sais que certains s'étonneront que je n'évoque pas la carte des vins, je l'avais fait lors de notre première visite, en février: elle est en construction, évolue mais on y trouve d'excellentes choses comme cette cuvée Dis, vin secret, de Françoise Bedel à quarante-deux euros; tout le monde a adoré la bulle évanescente de cet élégant champagne "rassis, à tendance oxydative. N'oubliez pas non plus le patxaran maison, devant la cheminée, avant d'aller se coucher…

* Les Mossos d'Esquadra sont les policiers de la région catalane, bien connus pour leur entrain.

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