Le vin est-il meilleur quand il est nu ?


Ils ne vendent pas nécessairement les bouteilles qui font vibrer les emmerdeurs comme moi, mais, Naked wines*, en Grande-Bretagne, est un des évènements, une des sensations de ces dernières années en matière de distribution de vin. De quoi s'agit-il? D'un vendeur par correspondance, tout simplement, mais à la sauce Internet, une sorte d'Amazon de la bouteille. VPC? Vin? Internet? Je vois déjà certains Français froncer les sourcils et appeler la police ou leur avocat tant l'association de ces trois univers rappelle à certains d'entre eux l'affaire 1855.com, dénoncée par Jim Budd, le Monsieur Propre de la presse pinardière britannique, affaire où, pour simplifier, une entreprise hexagonale est accusée d'avoir transformé des "bouteilles de rêve" en chimères.
Naked wines ne travaille pas du tout sur le même créneau, leur boulot à eux, c'est le vin quotidien, le vin populaire, le vin de masse, celui qu'on achète pour boire pas pour spéculer, ni même fantasmer. Leur catalogue est un cauchemar pour les buveurs d'étiquettes**, ils proposent, souvent en exclusivité, des vins inconnus produits par des vignerons inconnus, nouveaux dans le métier ou, pour le moins, ignorés des médias. Et si l'on en croit les chiffres, le succès est énorme, on parle de sept millions de bouteilles vendues en 2011, après trois années d'activité, visiblement "grattées" à la grande distribution.

I
l faut dire que derrière le site web de Naked wines se cache une entreprise qui semble tourner comme une horloge: l'horloge, la pendule qui égrène les secondes est d'ailleurs une des clés de cette réussite, elle vous explique que si vous commandez avant cinq heures de l'après-midi, vous serez livrés le lendemain. Même si vous panachez votre caisse! Vous imaginez la logistique que cela représente, l'organisation que cela nécessite, bref, c'est du travail de pro mis en place par des pros (comme le fondateur Rowan Gormley passé notamment par Virgin) et dotés de moyens considérables (les capitaux sont allemands). Visiblement, la success-story continue puisque, même si ce n'est pas officiel, Naked Wines met actuellement la dernière main à sa version américaine.
Alors, allons-nous tous, dans un futur proche, acheter nos vins sur le Web? La question a été maintes fois posée et pour ce qui est de la réponse, je n'en sais fichtre rien. Je me borne à constater que dans de nombreux domaines nous aurions du mal aujourd'hui à nous passer de l'e-commerce***. Mais le vin est-il un commerce comme un autre? Les générations futures ne connaitront-elles pas le plaisir d'aller rendre visite au caviste du coin? Par parenthèse, dans les générations actuelles, ils sont déjà nombreux qui ont décidé de se passer de ce plaisir-là, préférant aller se faire plumer et pousser un caddie dans un entrepot bruyant d'une banlieue sordide tout en maugréant contre la désertification des centre-villes, la déliquescence du tissu social, le sourire perdu de la crémière et la fin des charmantes petites boutiques d'antan…
Et puis, vous le savez tous qui, régulièrement, avez à porter des caisses: le vin, c'est lourd, c'est lourd et c'est encombrant. Cet aspect du problème n'est pas anodin. Du point de vue du consommateur (qui est de plus en plus souvent une consommatrice), la livraison à domicile est un bonheur; les bons cavistes le savent bien qui, quand ils le peuvent, proposent ce service, les autres feraient bien d'y songer. Du point de vue du marchand de vin, la logistique peut souvent se transformer en casse-tête: coût, problèmes de température de transport, gestion du panachage, tout le monde n'a pas les moyens de Naked wines.

Pour autant, le modèle séduit et, visiblement, dans d'autres pays, certains ont envie de tenter leur chance, à l'image de ce copier-coller de Naked Wines en projet en Espagne. Ça peut étonner, dans un pays dont l'informatique n'est pas le point fort et où l'on ne sent les habitants que très moyennement enclins à acheter sur Internet. Le projet en question (qui n'en est qu'à ses balbutiements) est monté par un ancien de la maison Torres (Sangre de Toro, etc…), Franck Massard qui exporte déjà des crus ibériques de façon traditionnelle au travers de sa structure Épicure-Wines et… de Naked Wines. Ça ne va pas jusqu'à s'appeler Vinos desnudos mais Vinomoción, ce qui nous rapproche davantage des codes publicitaires du terroir de la Seat Ibiza.
On peut juger le pari osé en Espagne où, outre la non-implantation de l'e-commerce, la consommation de vin a chuté de façon catastrophique ces dernières années pour s'établir à un niveau cinq fois inférieur à celui de la France ou de l'Italie. En même temps, n'est-ce pas non plus l'archaïsme des systèmes de distribution locaux qui suscite cet effondrement lequel, précisons-le, a débuté bien avant la crise qui pour le coup a bon dos? Bon vent, en tout cas, au Naked wines made in Spain!





* À ne pas confondre avec Naked Wine, le livre d'Alice Feiring paru l'été dernier sur les vins sans soufre, maintenant traduit en français comme le relate dans son blog Antonin Iommi-Amunategi.
** et le mundillo londonien du vin complètement court-circuité par ce système où c'est le client final, par son vote, qui fait la pluie et le beau temps en matière de recommandation, un mélange étonnant de "démocratie directe" et d'internet.
*** j'avoue avoir acheté il y a peu ma première caisse de vin online, sur vinmalin.fr et je reconnais que ça s'est très bien passé.

Commentaires

  1. Bon, j'ai quelques barreaux à mon échelle et me demande si dans 40 ans je pourrais encore porter ou aller chercher mes pifs, constatez que ce dernier me rend optimiste sur la durée de vie, donc je ne ferme pas mon clavier. J'aurais quand même perdu ce plaisir de rencontrer dans tous les coins de France, de vrais gaulois un peu allumés et passionnants. Perdu aussi, en sortant d'une librairie qui m'a remis à flot l'esprit, cette liberté d'échange avec un vrai caviste, tout aussi déjanté, qui vous ouvre des quilles uniquement pour vous prouver que vous pouvez faire confiance à son palais d'exigence. Bref, à 100 ans, j'aurais peut-être obscurci mon avenir, si je n'échange que virtuellement, avec la crainte de boire quelques années plus tard du virtuel miséricordieux, que Dieu me pardonne, mais jamais le paradis n'a été dessiné avec des vignes.

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  2. Notre ami Benjamin sur la une de Naked Wines...Ca le fait...!

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