En Bierzo, un Catalan peut en cacher un autre…


C'est vraiment le genre de rendez-vous improbables dont le monde vigneron a le secret. Vous arrivez de Barcelone en T-shirt, à León, un vent glacial vous rappelle que la Méditerranée est huit cents kilomètres derrière vous et vous acclimate à l'idée qu'au col suivant, dans le fog (nous sommes quelques centaines de kilomètres à l'ouest de Londres…), au Manzanal, c'est la neige, une neige printanière, qui va vous accueillir en Bierzo.


La surprise passée, il faut gagner Ponferrada, par dessus les viaducs du Sil*, la rivière locale qui creuse le pays à la façon du célèbre Duero. De prime abord, Ponferrada, ce n'est pas la plus belle ville d'Espagne. Au loin, une sorte de gratte-ciel moche tente de donner le change et de rappeler que les mines d'or des environs ont donné naissance à quelques grandes fortunes ibériques, mais à part quelques magnifiques églises galiciennes, parfois perdues au milieu des zones commerciales, l'ambiance n'est pas très réjouissante, surtout dans le fog


Heureusement, nous trouvons enfin notre vigneron, Mario Rovira. Rovira, c'est un nom catalan? Eh oui, comme José Mas dont je vous parlais hier, il n'est pas originaire du Bierzo mais d'une région qui se trouve à l'opposé. Et comme José Mas, il a compris que pour essayer de faire des beaux vins en Espagne, il fallait mettre le cap à l'Ouest.
Les présentations faites, on se gare près des l'auberge des pèlerins de Saint-Jacques (un business important par ici, et nous voila partis pour San-Lorenzo, dans la banlieue sud de Ponferrada. Là, au propre comme au figuré, l'horizon s'éclaire: d'abord parce qu'au premier plan mon regard croise des poteaux de rugby, sur un terrain vert irlandais s'entraînent Los Jabatos* del Bierzo, le club local, des solides; ensuite parce qu'au loin, le soleil perce les nuages sur les cimes des monts Aquilianos, nids d'aigles tout juste repeints de blanc.


Là, en vue des montagnes sur deux coteaux opposés dont la pente dépasse allégrement les 15%, Mario Rovira possède ses plus belles vignes de mencia mais aussi de blancs (dont un étonnant listán venu se perdre dans le nord). Des parcelles-musée, bien vivantes pourtant, dont le sol tantôt d'argile sur schistes tantôt de sables granitiques sur quartz est travaillé "façon jardin" (comme nous l'avons vu hier avec José Mas), des parcelles plantées il y a soixante ou soixante-dix ans, où on a eu le bon goût de préserver et d'entretenir les fruitiers. En fait, tout cela a été sauvé grâce à la coopérative du coin qui assurait un débouché aux petits propriétaires et entame maintenant sa conversion en bio.


Reste a faire connaissance avec les vins. Je précise que ce domaine qui porte le nom d'Akilia est tout jeune, avec une seule vendange à son actif, ce sont donc des jus en cours d'élevage que nous nous apprêtons à goûter. Pour ce faire, il nous faut rejoindre une grosse cave du coin où Mario Rovira loue un espace, au bord de la route de Vigo, derrière un motel aux néons très sixties. Franchement pas super engageant, mais il faut faire avec…


Ce qu'on goûte, en revanche, est plus qu'engageant! Une excellente surprise! L'important travail qui a été fait à la vigne a mis en valeur par une vinification précise, délicate; il faut dire que Mario Rovira n'est pas vraiment un débutant, il a notamment travaillé à Lafleur-Pétrus et dans un domaine de Marlborough. Dans un premier temps, nous puisons dans deux cuves, l'une en inox, l'autre en ciment (étonnant d'ailleurs de voir l'écart entre ces deux jus, originellement identiques, très net avantage de définition au béton!): il s'agit de mencia issue d'une parcelle nommée Chano Villar, constituée d'argile sur schistes et orientée vers l'est ce qui lui permet d'éviter en partie les coups de chaleurs estivaux de l'après-midi. Le vin apparaît délié, avec des jolis arômes de fruits rouges, une note fumée et une pointe de salinité, comme rafraîchi par le vent (glacé vendredi), qui déboule des monts Aquilianos. Peu d'extraction, couleur assez peu marquée, on est allé chercher la finesse, la pulpe dans des raisins vendangés relativement tôt, sans sous-maturité pour autant. En forçant un peu le trait, si je vous parlais hier de mon bordeaux du Bierzo à Mas Asturias, il s'agirait plutôt ici avec Akilia d'un bourgogne du Bierzo. Tel quel, ce vin fin est très séduisant, d'ores et déjà d'une remarquable buvabilité.
En l'état, je l'avoue, je suis beaucoup moins séduit par les jus de l'autre parcelle, Lombano (photographiée ci-dessus), orientée, elle, au soleil du soir: le jus me semble plus espagnol, un peu plus lourd et, surtout, a été traité "couleur locale", c'est-à-dire dans du bois, en partie neuf, et marque le vin de façon relativement importante, pas comme dans un bon gros priorat ou ribera-del-duero, mais quand même… N'oublions pas cependant qu'il s'agit d'un premier millésime, que Rome ne s'est pas faite en un jour et qu'il y aura évidemment des réglages à faire.
Akilia produit également un blanc, pas inintéressant, assez vif, salin lui aussi, qui vient d'être mis en bouteilles. Comme souvent en Espagne (si l'on excepte les jerez et montilla), le supplément de classe des rouges m'attire davantage.


À ce jour, les vins de Mario Rovira ne sont pas encore distribués (et pour cause, ils ne sont pas en bouteilles!) mais je ne me fais pas trop de souci pour lui, il a une façon de raconter dans le verre ce vieux pays aux maisons de bois noir qui ne devrait pas laisser indifférent. Voila sûrement un viñeron, encore un, qui montrent qu'ici et là l'Espagne se réveille.


* rendus célèbres par la jolie étiquette du Gaba do Xil, un vin commercial qui a contribué à faire découvrir cette région mais qui n'a pas su (ou voulu) évoluer et qui, du coup, n'est plus vraiment au niveau des meilleurs crus du Bierzo.
** littéralement, les jabatos sont des marcassins, mais des marcassins qui auraient bouffé du lion…

Commentaires

  1. Tuve la suerte de catar el joven blanco antes de embotellar y solo con el aroma que
    desprendía tuve suficiente para situarme mentalmente en algun lugar privilegiado de
    Francia y sus vinos. Los rojos que hace Mario, aun sin embotellar, tienen distintos
    matices, toda vez que se está estructurando, pero ya se percibe una grandeza dentro
    de la suavidad de los Burdeos mas logrados. Creo que "su punto" álgido, después de 1
    año en barrica, será degustarlo pasado otro año que tranquilice en botella. Felicidades para el autor

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