Les climats, oui, mais aussi les caractères de Bourgogne.


Ça se passe hier soir sur le coup des vingt heures, place Carnot, à Beaune. Nous venons d'arriver de Volnay pour aller dîner, devisant sur le vin et tant d'autres choses, y compris sur cette actualité qui nous interpelle tous. Nous, c'est Isabelle, ma femme, moi-même et un des vignerons que je respecte le plus, Hubert de Montille. La voiture est garée, nous nous dirigeons vers le restaurant en longeant les bistrots, quand nous entendons derrière nous une gentille cavalcade: un groupe de jeunes, une vingtaine d'années chacun, tout sourire. "Monsieur de Montille! Monsieur de Montille!" Ce sont des élèves-sommeliers nous expliquent-ils, ils n'ont d'yeux que pour cet homme dont l'âge n'a affecté ni l'apparente bonhomie ni la prestance. Ils veulent juste le saluer, lui toucher la main, lui dire tout le bien qu'ils pensent de lui, du symbole qu'il représente.
Oui, Hubert de Montille est un symbole. Dans ce Mondovino si poli qu'il en devient parfois visqueux, il est un des rares, avec François des Lignéris, à avoir osé dire non. Avec humour, avec gentillesse, mais il a dit non. Il a refusé ce mouvement (déjà démodé pour ceux qui regardent devant, qui se projettent) qui a voulu travestir le vin en une version luxueuse mais tout aussi sucrailleuse, vanillée et vulgaire du Coca-Cola. Certains commerciaux à chaussures pointues, ou d'autres, âmes déchues, qui tentent de faire perdurer le "miracle", me diront que j'ai tort, que je n'ai rien compris, que la parkérisation est inéluctable. Je leur renvoie au visage ce matin cette image, cette unique image d'une soirée enchanteresse dont je ne dirais rien d'autre, l'image de ces gamins fous de joie d'avoir l'honneur de rencontrer un vieux monsieur dont le sourire, cristallin et coquin à la fois, demeure aussi frais que celui de son petit fils Léonce, quatre-vingts ans de moins que lui.
Je vous laisse tirer la morale de ces quelques lignes. Je dis juste que ce à quoi devraient songer tous ceux qui se regardent pédaler, c'est que la postérité, souvent, retient uniquement les noms de ceux qui ont compris qu'il fallait avoir le courage de dire non. Qu'on peut dire à quelqu'un, si on le pense sincèrement et de façon fondée, qu'il ne vaut pas plus cher que le franc symbolique qu'on lui réclame en justice. Qu'il y va parfois de notre culture, de notre patrimoine et, chemin faisant, de notre honneur. J'ajouterai, en direction des professionnels du marketing et des rois du brain-storming qui dépensent tant d'argent, d'énergie et de mots creux pour faire aimer le vin aux nouvelles générations que, plutôt que de s'intéresser à la façon de dire les choses, ils devraient d'abord s'interroger sur le fait de savoir s'ils ont quelque chose à dire.
La liberté d'Hubert de Montille, sa détermination, voila ce pourquoi ces jeunes nous couraient derrière, émerveillés, sur cette place de Beaune. Cette rencontre a été pour eux un grand jour de Bourgogne, une Bourgogne dont nous sommes tous fiers qu'elle soit en voie de faire reconnaitre la valeur patrimoniale de ses climats mais dont je me dis qu'elle devrait aussi penser à classer la richesse de ses caractères.



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