C'est combien?


Bien sûr qu'il n'y a pas de mal à parler d'argent! En matière de vin, la notion de rapport qualité/prix est à mes yeux fondamentale. Quand je goûte, c'est une des premières questions que je pose, après. Le tarif (mais aussi le coût) des bouteilles justifie en soi plus qu'un billet, un bon rayon de bibliothèque. Je m'en suis une nouvelle fois rendu compte hier, de retour à Barcelone, à La Música del Vi, fastueux off organisé depuis douze ans par Vila Viniteca, à l'occasion du salon de la malbouffe de luxe, Alimentaria, où les bodegas (de préférence industrielles) sont reléguées au fond, près de la porte des toilettes.


La Música del Vi, c'est un cadre qui en jette, la Loge de Mer sur le Port vieux, haut lieu de la tradition marchande catalane, ça représente une grosse centaine d'exposants et plusieurs milliers de visiteurs. Pour autant, même si l'on essaye de ne pas tomber dans les idées préconçues (j'y reviendrai), il y a finalement assez peu de vins à goûter, sauf, chacun ses goûts, à vouer un amour immodéré aux pipes à Pinocchio. Tous les vins avec "gourmette en or et jantes larges" sont d'ailleurs présents, de Pingus à L'Ermita en passant par Clos Erasmus ou Telmo Rodríguez; les amateurs du genre ne s'y trompent pas qui prennent d'assaut les stands concernés, à la resquille de quelques millilitres de ces "précieux nectars"…


Heureusement, il y a aussi de belles choses à goûter, à commencer par les remarquables jerez d'Equipo Navazos distribués internationalement par Vila Viniteca; en goûtant la manzanilla, je ne peux réprimer un sourire en pensant à un couillon de publi-reporter qui, dans une revue spécialisée française, expliquait que cette boisson était emblématique de Barcelone alors même que la répugnance des Catalans pour les vins andalous est quasi-proverbiale! Encore un qui a œuvré pour la crédibilité de la Presse. Passons…


Quelques jolies bouteilles donc, ici et là, à l'image de la cuvée Las UMBRÍAS du désormais célèbre Comando G, association d'œnologues et de vignerons spécialisés dans le grenache d'altitude qui sévit dans la DO Madrid. Leur petit rouge dont j'ai perdu le nom (une histoire de sorcières) est assez banal, la cuvée supérieure nous a semblé un rien oxydée, en revanche Las UMBRÍAS 2010 est un des plus charmants grenaches de soif qu'il m'ait été donné de goûter en Espagne. Ce n'est pas sans rappeler des millésimes comme 2006 du Domaine des Tours (VdP Vaucluse), avec peut-être un poil de profondeur en moins. Comme diraient les Bourguignons que j'ai côtoyé la semaine dernière, "vraiment un bon canon!" 
Dans le même ordre d'idées, grenache, en un peu plus dense, j'ai très bien goûté le gentil côtes-du-rhône 2011 du Domaine de Marcoux à Châteauneuf-du-Pape. Et aussi El Signo 2009 de Finca Sandoval en DO Manchuela que j'ai même davantage apprécié que lors de ma première rencontre avec lui (racontée ici).
Mais vous allez me dire qu'enivré par tous ces jolis jus j'en ai oublié de demander l'addition. Eh bien non! Et c'est malheureusement là que le bât blesse: El Signo vaut dans les quinze euros TTC, le petit côtes de Marcoux, douze euros et Las UMBRÍAS?…


Las UMBRÍAS? Ça vaut soixante euros! Quatre fois plus cher qu'El Signo, cinq fois plus que Marcoux, six fois plus que le Domaine des Tours! Évidemment, à ce prix-là, quel que soit le charme de ce petit grenache de soif, on ne joue plus. J'ai même envie de dire que ce tarif est totalement ridicule pour un vin qui vient de nulle part ou presque. On se la joue nouveau riche, boursicoteur, grossier (si c'est cher, c'est bon) et à vouloir se la jouer, on tombe dans une vulgarité, dans une prétention qui, à mon sens, n'est pas pour rien dans la colossale désaffection des Espagnols pour le vin.
D'ailleurs, hier, si vous vouliez du "gros" grenache, genre très vieilles vignes de Châteauneuf-du-Pape, bas de La Crau, sans bois intempestif, sur le toucher, la finesse et des promesses d'avenir, le grand rapport qualité/prix, vous l'aviez pour un tiers moins cher que chez le Commando G. Et vous savez où? Je vous avais dit au début qu'on parlerait d'idées préconçues… Ce châteauneuf délicat, je l'ai trouvé, nous l'avons trouvé chez Michel Tardieu. Cuvée spéciale 2009. Ça vous en bouche un coin? Strictement rien à voir avec certains Tardieu-Laurent qu'on a connus à une époque.


Et tant qu'à surprendre, j'ajoute à cette flopée de grenaches un vrai beau tempranillo (rehaussé, re-dynamisé, c'est vrai, d'une pointe de carignan): ça s'appelle IMAGES DÉRISOIRES, ce qui se traduit par manga en japonais. Mais ce manga-là est tout à fait abouti. Et lui aussi élevé en douceur, à l'abri du bois neuf. Où? Par qui?…


Où? En Roussillon, sur le versant sud des Corbières, à Vingrau. Par qui? Hervé Bizeul, qui a visiblement beaucoup discuté avec les Fées de son Clos sur la façon d'élever ses vins. On le ressent sur cette cuvée de tempranillo, intense, dont la longueur se fait sur la fraîcheur (mais aussi sur son Vieilles Vignes qui prend un air nouveau, plein de gourmandise). Et tout ça à un tiers du prix de notre "grenache de soif" de la DO Madrid…

Commentaires

  1. Putain, j'apprends beaucoup et je partage ton point de vue sur le prix de certaines bouteilles, cela tient la comparaison avec les 4X4 ou autres car frime, c'est vrai qu'à Neuilly les trottoirs sont plus hauts qu'ailleurs, alors le 4X4 est indispensable mais de marqué étrangère, la nationalité ne se défend que dans les hommes, le tout au prix d'un 3 pièces de 100 m2 à Albi (par exemple)eh bien ton pinard à 60 €, il se vendra très bien dans cette catégorie, alors garde nous les adresses des vins normaux.a ce propos et sans t'obliger, toi connaisseur des vins et de l'Espagne, ai bien noté cinq ou six vins espagnols,si tu en as d'autres, je prends, mais où les trouver en Aragon. Merci d'avance, eh oui, la gloire a des contraintes (je plaisante)

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