Sans chimie, Barcelone peut avoir du fond.



Il est évident que, au-delà des falbalas farineux, des cris d'extase poussifs des élégantes anorexiques, le niveau de la cuisine catalane n'est en aucune façon celui quon décrit complaisamment sur papier glacé. Pas à cause d'un problème culturel: on a su, avant que les sunlights ne s'allument, bien manger. Non, il s'agit plutôt d'un problème de fond (pas de fonds, ils ont coulé à flots ici des années durant). Le fond, vous savez, le contraire des paillettes, de l'opportunisme et de la poudre aux yeux, le contraire des maudites Texturas®. Le fond (ou le fumet) qui est aussi l'axiome, le fondement de la cuisine vraie.
“Il n'y a pas de cuisine sans fond!” Quand vous entendez un jeune chef de Barcelone vous tenir ce discours à la fin d'un dîner, vous êtes à deux doigts de remettre le couvert. Par son classicisme assumé, Rafa Peña abolit la loi des garçon-coiffeurs et des vendeurs de fringues selon laquelle on est, dans l'Eixample, ce New-York du pauvre à la sauce catalane, obligé d'ingurgiter (en trouvant ça génial) une nourriture aussi spectaculaire qu'ennuyeuse.


Soyons honnêtes, c'est un secret de Polichinelle, on n'arrête pas de vous le répéter ici, surtout dans l'intimité de ceux qui fréquentent par devoir les tables “institutionnelles”: pour bien manger dans la ville haute, pour "se faire plaisir", il faut aller au Gresca. Et ça commence très fort, dès l'apéro, sponsorisé par le melon de Bourgogne, vous êtes pris à partie par un jus de veau relevé de noisette. Puis, déboulent en renfort des ris de veau impeccablement sautés, finement citronnés, dopés par une pointe de coriandre; ce garçon connait les sauces, mais aussi il maîtrise aussi le feu! Pour ne pas faire plouc, je tente une des spécialités maison, l'œuf soufflé; c'est gentil, surtout la patate-ravigote du dessous, c'est photogénique, mais globalement, à côté des ris, ça m'en touche une sans faire bouger l'autre…

On revient tout de suite à ce qui semble être l'esprit de la cuisine de Rafa Peña avec les plats: à ma droite une langue de veau au champignons, à ma gauche un pigeon au gingembre. À mon goût, léger avantage à la langue, caramélisée comme une pomme d'amour mais pour un volatile espagnol, le pigeon ne se désaile pas! Dans les deux cas, les jus, profonds, collants, interminables me rappellent mes copains du Sud-Ouest, l'Horloger d'Auvillar et l'homme au sourire de tueur de cochon, dont on discutera un jour. Cette cuisine n'évoque pas, elle affirme et on la laisse nous envahir avec plaisir.


Évidemment, comme dans ce cas-là, c'est bon et naturel, ça ne peut pas être de la soit-disant haute gastronomie, la seule qui trouve(ait?) grâce aux yeux des lèche-culs locaux. Donc, pour en parler, il faut trouver un biais, on va vous ressortir le vieux néologisme bistronomique, usé avant d'avoir servi. Peut importe son nom, cette cuisine est tout simplement goûteuse, profonde.
L'endroit, lui n'est pas mal, une sorte de couloir un peu vide. L'éclairage style "garde à vue", typique lui aussi du quartier, rappelle que dans le coin, juste avant qu'on devienne des accros du design, la fée électricité accrochait au plafond des néons blafards. Heureusement, le service enjoué, parfois hésitant mais souriant, rattrape le coup. Par parenthèse, mieux vaut ces imperfections que de se fader des loufiats à la Manuel (le revoilà, notre sommelier catalan binoclard etc…) qui récitent parfaitement leur méchante leçon et vous mettent de l'acide dans l'estomac!


Tant qu'à parler de sommellerie, un mot de la carte des vins qui oscille entre éclectique, sympathique et bordélique. Elle a ses coquetteries et ses flatteries, glisse d'un Barral à un  hautes-côtes-de-nuits de la Romanée-Conti en passant par de bonnes petites idées comme le mourvèdre de Nidolères ou le rully de Jacqueson; attention quand même aux absents, on sent que le stock n'est pas énorme (sauf peut-être pour les potages de merrain du Priorat qu'on ne se bat pas apparemment pour dézinguer…)
Mais, globalement, c'est vivant et plus original que le veulent les coutumes locales, il y a de bons coups à boire, raisonnablement tarifés.
¡La cuenta, por favor! C'est très raisonnable pour la qualité: dans les 40 euros à la carte, menus à moins de 20 euros le midi. On reviendra et on ira même, aux beaux jours, jeter un coup d'œil à ce grand restaurant de L'Escala que Rafa Peña doit bientôt superviser avec une équipe de qualité. Stop! Je n'en dis pas plus, on me souffle que c'est encore un secret…


Commentaires

  1. Christophe Brunet2 février 2012 à 20:58

    Ceci dans une cuisine de 10 m2 ! Service élégant, chaleureux et qui passe presque inaperçu. Vraiment une superbe adresse.

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  2. J'ai découvert ce restaurant grâce à votre article. Ce fut un régal, merci.

    Seul petit bémol, et j'en suis responsable, ce Bourgogne 2011 de Denis Mortet dont la finesse se perd dans un élevage malheureusement bien trop marqué.

    Loïc

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